Cet hiver, les campagnes de pub des cadors de la mode exaltent la bande, la clique, le clan. Une configuration ramassée qui séduit les jeunes urbains branchés et qui nous a inspiré Fashion Family, un shooting 100 % mode, 100 % complice, 100 % tendances automne-hiver 07-08. Etat des lieux et décryptage.

Ça n’aura sûrement pas échappé aux inconditionnels des magazines de mode : on se bouscule au portillon dans les campagnes de pub ces temps-ci. Il n’est plus rare de voir trois, quatre ou cinq mannequins se serrer sur une ou deux pages. Si ce phénomène de bandes est déjà bien implanté chez certaines griffes – Versace avait par exemple fait sensation dès 2006 en réunissant une belle brochette de tops devant l’objectif de Mario Testino -, il semble faire tache d’huile cet hiver. Conséquence immédiate : les stars sont souvent priées de laisser leur ego au vestiaire et de partager la vedette avec d’autres grâces, voire d’illustres inconnu(e)s.

Pour la rentrée, Prada, Celine, Chloé, Moschino, Versace, D&G, Dolce & Gabbana, Dsquared2, Burberry, sans oublier Weekend ( voir notre production de mode pages 110 à 141) se sont donné le mot : place au collectif, au groupe, à l’escouade, à la clique, au gang. Aux rangs plus ou moins garnis. Pour le coup, c’est Moschino qui se montre le plus rassembleur avec des bataillons de sept silhouettes pour chacun de ses tableaux ethniques…

Effet miroir

Au premier coup d’£il, difficile de déceler un semblant de cohérence dans cette épidémie d’attroupements. Du moins sous l’angle des genres. Ici, les femmes font cavalier seul, là elles cassent du mâle – ou inversement -, là encore elles filent le parfait amour avec leurs partenaires masculins ou… féminins. Toutes les combinaisons semblent permises.

C’est en y regardant d’un peu plus près que l’on finit par distinguer deux clans, deux familles. Celui des sosies d’un côté, celui des rockeurs au c£ur tendre de l’autre. Anticipant sur le futur d’une société qui a inscrit le clonage sur sa feuille de route, une série d’annonces privilégie nettement les filles et les garçons au look siamois. A commencer par Versace avec une Kate Moss en blonde platine à la puissance 3 dans un univers rouge flamboyant et bleu électrique. D’autres emboîtent le pas à la maison de couture italienne. Comme Pringle of Scotland avec une triplette de jeunes filles en fleurs électrisées par l’£il du photographe Steven Meisel. Ou comme Prada avec ce bouquet de brindilles à poils longs et aux yeux bridés.

Même tendance au dédoublement pour Kenzo avec son jeu de miroirs réfléchissant à l’infini la même image, pour Lanvin avec son ballet insolite de silhouettes  » copiées-collées « . Ou encore pour D&G et Dolce & Gabbana, ici dans un festival sado-maso (décors futuristes high-tech), là dans une évocation empire (pastiches de tableaux napoléoniens), là encore dans un flash-back eighties glamour (imprimés léopard et ambiance disco). L’excentrique duo italien n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Depuis longtemps, il émaille sa communication de scènes de groupe. Le plus souvent en y glissant un zeste de provocation porno chic. On se souvient de ces footballeurs en sous-vêtements, tout muscles dehors, pris sur le vif dans leur vestiaire. Ou de cette parodie de tournante qui a valu au sulfureux tandem quelques déboires avec la justice de leur pays.

Modèles réduits

Dans le camp d’en face, autre son de cloche. Le vent de la révolte prend ici le pas sur le mimétisme technoïde. Burberry, Zadig & Voltaire ou Celine (avec Bruce Weber à la man£uvre) propulsent sur le devant de la scène une jeunesse rockeuse aux sonorités dandies. Le caméléonisme n’a pas disparu, mais il se dévoile dans l’allure générale plus que sur les visages.

Cette vague de concentrations a-t-elle une signification particulière ? La mode fait rarement les choses par hasard. Véritable tensiomètre de notre époque, elle prend le pouls de nos petites et grandes obsessions. Le diagnostic est donc clair : les bandes sont de retour. Attention, par bande, on entend bien un cercle restreint d’individus, pas une marée humaine. Finis les tribus des années 1990 chères au sociologue Michel Maffesoli. A l’époque, tous ceux qui se ressemblaient de près ou de loin pouvaient intégrer une tribu. Ce qui leur donnait des airs d’océan aux rives invisibles tellement elles brassaient large… On parlait sans autre précision des écolos, des festivaliers, des altermondialistes, des grunges comme on dirait des provinciaux, des ouvriers ou des artisans.

Mais qui trop embrasse mal étreint. A force de se diluer, la tribu ne disait plus grand-chose de ses pensionnaires. Qui ont fini par créer des îlots plus conviviaux à l’intérieur de la vaste étendue liquide. Les 15-45 ans en particulier ont jeté par-dessus bord ce gigantisme encombrant pour revenir à un horizon social plus accessible, plus intime. Les réseaux resserrés, élagués forment désormais l’ossature des nouveaux rapports humains. La jauge de ces mini-tribus volontiers élitistes indique 10, 20, maximum 30 fidèles, qui sont comme les atomes d’une molécule. Pour intégrer le crew, la sphère, la bulle, il faut montrer patte blanche. Autrement dit, prouver son attachement viscéral et inconditionnel à ce qui lui sert de levure, d’engrais, de combustible : une passion dévorante, une histoire commune, un état d’esprit.

Effet de contagion

Des exemples ? Les bandes de la nuit (artistes, DJ, touche-à-tout qui organisent des événements labellisés comme les soirées Bulex ou Gazon à Bruxelles), les bandes de copains et copines d’enfance (par-delà les aléas de la vie, ils ou elles continuent à se voir et à s’entraider), les bandes de gastronomes  » alternatifs  » (ils se retrouvent chaque semaine pour éplucher toutes les saveurs de la cuisine bio), les bandes de lecteurs de polars (ils animent un site, publient une revue et pratiquent l’autodérision à haute dose), les bandes de fêlés du tuning (ils peuvent démonter et remonter une boîte de vitesses les yeux fermés), etc. Ce sont des styles de vie, des affinités, qui les mettent en relation, et leur servent ensuite de ciment.

Ce n’est pas Le Club des 5 mais il y a un peu de ça. La solidarité et l’échange sont aussi importants que l’objet social de la bande. Cette bulle rassurante permet de recréer du lien là où la chute des grandes idéologies avait laissé un trou béant dans la couche d’ozone du social. Dans le vaisseau en perdition du présent, ce voisinage tient chaud et distille un réconfortant sentiment de sécurité.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce modèle de la congrégation bourgeonne sur d’autres terrains, le politique notamment. Pour le meilleur et pour le pire. On parle ainsi du retour en force des corporatismes de tous poils. Des petits actionnaires aux épargnants en passant par les cyclistes, tout le monde a au moins une bonne raison de se coaliser pour défendre ses intérêts particuliers.

Certes, on est loin ici du carambolage de quelques élégantes sur l’écume du papier glacé. N’empêche, tout se tient. La mode ne fait que marcher sur les… plates-bandes d’un système en voie de  » confettisation « .

Laurent Raphaël

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