Saveurs du monde, fusion food, finger food, lounge… Aujourd’hui, les bars à vins se mettent au pas des nouvelles tendances gastronomiques. De Paris à Bruxelles, en passant par Anvers, Weekend vous emmène découvrir les adresses very hype.

Paris. Une table de mixage trône sur le comptoir du Verre volé. Le jeudi soir, les DJ’ de passage s’en servent pour doper l’ambiance. Les disques en vrac disputent les étagères aux bouteilles de vin. Le jazz – Sonny Rollins, John Coltrane et Charlie Mingus – côtoie le rock de Lou Reed et les plages  » ambient  » de musique atmosphérique. Etrange et généreux chaos dans un lieu dédié au vin. Pour l’amateur de grands crus habitué aux bouteilles bien rangées et aux dégustations policées, difficile de trouver ses marques dans un tel environnement.

Situé rue de Lancry, dans le périmètre branché du canal Saint-Martin, le Verre volé, l’établissement de Cyril Bordarier, illustre à merveille le nouvel esprit qui souffle sur les wine-bars. Chaussures Nike high-tech, lunettes années 1950 et pantalon en toile de parachute, le jeune homme ne correspond pas exactement à l’image d’Epinal que l’on se fait d’un sommelier. Seul son accent qui chante l’Auvergne trahit une immersion au coeur des terroirs.

Il y a deux ans, Cyril a décidé d’ouvrir son propre bar à vins. Le but : sortir le genre de ses conventions. Le Verre volé propose ainsi une petite restauration facile à faire pour contourner les pièges de la fameuse Licence IV (qui interdit, en France, à ceux qui ne l’ont pas de servir de l’alcool sans nourriture) et surtout pour faire naître une vraie convivialité.

Pour gagner son pari, Cyril recherche les meilleurs fournisseurs du pays; sa passion pour le vin lui interdisant de proposer ses crus avec autre chose que d’authentiques produits du terroir. Son assiette de fromages? C’est l’un des meilleurs maîtres affineurs de France qui la lui livre depuis Saint-Malo. Côté charcuteries, il a choisi ce qui se fait de mieux dans l’Hexagone : Joël Meurdesoif – un nom qui ne s’invente pas – se charge d’acheminer boudins noirs, andouillettes et caillettes ardéchoises.

Le Verre volé offre aussi une vision  » révolutionnaire  » de la viticulture.  » Mon credo, ce sont les vins non sulfatés, c’est-à-dire sans ajout de soufre, précise Cyril. La majorité des producteurs sont obligés d’en mettre parce qu’ils n’utilisent pas de levures indigènes, propres au terroir. Ils utilisent des levures de laboratoire qui nécessitent l’ajout de conservateurs. Cela se traduit par des symptômes anormaux : le fameux « château la barre » qui plombe la tête ou encore la grosse fatigue après avoir bu un simple verre. D’où le préjugé selon lequel le vin rouge fait dormir. Il faut que les gens sachent que ces phénomènes ne sont pas liés à la nature du vin mais bien à la façon dont on le produit. Le vin est avant tout une boisson plaisir. »

Cyril vante les mérites des  » vins de soif « , une expression qui désigne des vins consommables sans modération (mais avec sagesse) et présentant une complexité de goût. Depuis quelques années, un nombre croissant d’exploitations viticoles s’y sont mis.  » C’est toute la culture du vin qu’il faut changer. Les dégustations actuelles, par exemple, affichent des prétentions beaucoup trop intellectuelles. On analyse le vin, on le démonte. Du coup, les producteurs se sentent obligés de vendre des crus  » bodybuildés  » desquels l’émotion est totalement absente. « 

In the mood for wine

D’autres adresses parisiennes se sont, elles aussi, creusé les méninges pour initier de façon hype aux joies des cépages. Située dans le VIe arrondissement, Fish la Boissonnerie est une enseigne  » world « . Ouverte par un Néo-Zélandais, elle a pris place dans une ancienne poissonnerie. Cadre loufoque, carte de crus originaux, elle vous invite à un beau voyage parmi les plus riches terroirs de la planète : Australie, Nouvelle-Zélande, Chili, Etats-Unis, Afrique du Sud, Hongrie. Au menu : des mets simples qui privilégient les ingrédients du monde, du poivre de Setchouan au jambon Serrano, en passant par les dattes et les figues.

 » Upper class « , plus traditionnel, le Willi’s Wine Bar affiche l’une des toutes belles cartes à vin de la Ville lumière. La cuisine de marché séduit par son naturel et ses contours très franco-français. L’endroit possède un superbe comptoir en bois sur lequel des clients viennent à toute heure déguster un bon verre de rouge et une assiette de fromages affinés.  » Dans une ville où boire des canons au comptoir est une tradition, les Parisiens ne pouvaient que se laisser séduire par le second souffle des bars à vins « , note Cyril.

Les experts en marketing le savent et les cantines en tout genre en font l’expérience au quotidien : restaurer ne suffit plus.  » Aussi bon que soit le plat, manger sur un set en papier me désole, commente David, un gastronome averti et découvreur inlassable de nouveaux lieux. L’air du temps n’est plus à ce genre d’expérience.  » Les tables d’aujourd’hui se doivent de proposer  » une valeur ajoutée  » à leurs clients. Le concept est devenu la clé.  » Aller au restaurant n’est pas un acte innocent, il s’agit d’une adhésion par laquelle on engage toute son identité, affirme pour sa part Emmanuel Rubin, chroniqueur gastronomique sur BFM, la radio des jeunes cadres dynamiques. Dans le décor, dans les plats et même dans le service, on veut retrouver des valeurs auxquelles on croit, un  » style de vie  » qui nous correspond. Le lieu que l’on choisit agit comme un miroir social.  » Fini donc le temps où une bonne cuisine excusait un cadre triste et un service déplaisant. Aujourd’hui, on sollicite tous les sens. Au restaurant, le design, la musique et même les chaises… sont devenus autant de leviers pour susciter l’envie. Pour prendre conscience de soi et se rassurer.

Le grand retour de l’apéro

Pour Hugues Forget, responsable de la cave à la Grande Epicerie de Paris,  » le  » supermarché des tendances gastronomiques, la nouvelle vague des bars à vins s’explique aisément.  » Ce succès est à mettre en rapport avec celui de l’apéritif. A l’heure où le cocooning perd du terrain, les consommateurs s’enthousiasment à nouveau pour ce moment gourmand, le vin est sans conteste la boisson qui lui convient le mieux.  »  » Il n’y a rien de plus convivial qu’un apéritif, confirme Coralie Mouge, patronne du Un des Sens à Bruxelles. Les gens parlent, la nourriture et le vin sont là pour faire du bien et pour sacrer le plaisir d’être ensemble. On observe de plus en plus de clients qui passent de l’apéritif aux « clubs » sans faire un détour par la case « restaurant ». C’est flagrant. « 

Pour Gérard Mermet, sociologue, l’apéritif doit également son succès aux vertus d’un grignotage dans l’air du temps.  » Il y a un véritable engouement pour toutes les formules qui permettent de déguster un peu de tout, commente ce spécialiste du décryptage des comportements. Un peu à la façon des tapas et des mezzés. Cela correspond aussi à une désaffection de la table qui, à une époque nomade, est vécue comme une prison et à un désintérêt pour la trilogie culinaire classique « entrée – plat – dessert » perçue comme trop lourde. « 

Les gourous des bureaux de style décèlent, eux, une résurgence de la  » finger food « , cette tendance un peu régressive invitant à oublier les couverts pour renouer avec le contact direct main-nourriture. En clair, le lien social, un certain besoin d’être rassuré et la fonction identitaire seraient les piliers de ce nouveau phénomène urbain.

Made in Belgium

En Belgique, les wine-bars sont loin d’être à la traîne. Au contraire, ils ont su prendre le train des tendances en marche. Meilleur exemple de cette ouverture aux nouveaux comportements, Un des Sens, le bar à vins de Coralie Mouge, a séduit le Tout-Bruxelles. Avant d’ouvrir son établissement à deux pas de la place Flagey, cette sommelière française a parcouru le monde et travaillé à Paris. Disposant d’un volumineux carnet d’adresses de producteurs et d’excellents contacts avec les distributeurs, la jeune femme a opté pour un espace cosy aux tons chauds et à l’atmosphère intimiste. Bill, le DJ résident, distille un gros son atmosphérique qui permet aux plus stressés d’atterrir en douceur. Le  » picorage  » s’est emparé de l’assiette : tapas, dégustations de fromages affinés, charcuteries du monde, piments d’Espelette. Dans le même tempo  » lounge « , Coralie n’hésite pas à jouer la carte du sucré en proposant des assiettes du chocolatier belge Pierre Marcolini pour un audacieux mariage vin et chocolat.

La carte des crus se balade de terroirs en terroirs et affiche également un bon nombre de bouteilles sans soufre. Dédié à l’hédonisme, l’endroit se veut aussi idéal pour déguster un bon cigare dans la plus pure tradition des lieux lounge. Soucieuse d’encourager les rencontres et de favoriser les découvertes, la sommelière invite plusieurs fois par mois producteurs et amateurs à des dégustations thématiques. L’occasion rêvée pour faire connaissance avec des terroirs méconnus et des domaines plus confidentiels. Un des Sens n’a pas fini de surprendre : il accueillera bientôt un espace lecture entièrement dédié à l’oenologie.

Bruxelles possède encore d’autres musts en matière de bars à vins. Liées à l’émergence des vins étrangers, deux adresses sont à recommander à qui souhaite se familiariser avec les nectars italiens : Vini Divini et La Buca di Bacco. Situé à Ixelles, Vini Divini, malgré sa petite taille, a tout d’un grand wine-bar. Marino, le patron, a, en effet, réussi une superbe sélection de bouteilles. La Buca di Bacco, pour sa part, se trouve dans une magnifique demeure Art déco qui, à elle seule, vaut le détour. Le patron, Antonio Di Siervi, y présente un large éventail (peut-être le plus important à Bruxelles) de vins de son pays.

A Anvers, Pazzo est un ancien entrepôt à grains. Atypique, il n’en est pas moins exemplatif du nouvel esprit qui souffle sur les bars à vins. La déco faite de poutres au plafond, de tables en inox sablé, de verre et de serviettes en tissu fait merveille. Pour preuve, depuis son ouverture, l’endroit ne désemplit pas. La carte des vins est vaste et promène, pour le meilleur, le néophyte entre l’Uruguay et la Hongrie. Le patron, William Wouters, n’est pas un inconnu puisqu’il a déjà été couronné  » meilleur sommelier de Belgique « . Mais la véritable révolution vient de la cuisine. Avec pour slogan  » Where wine meets food  » – où le vin rencontre la nourriture -, Pazzo se devait d’assurer. Le chef distille une fusion food étonnante. Dans l’assiette se mélangent Est et Ouest. France, Italie et Japon se combinent de façon inédite : carpaccio de foie gras frais, sashimis, miso, champignons enoki.

Plus question de taxer les bars à vins de frilosité. L’audace est bien au rendez-vous. Poussez la porte, c’est votre tour d’oser !

Michel Verlinden Photos: Antoine Moreno

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content