Le point commun entre Prada, Hermès, Bisazza, Louis Roederer ou Louis Vuitton ? Ces labels de prestige ont tous créé une fondation pour l’art qui porte leur nom. Un geste d’esthète qui profite aussi pleinement à l’image de marque.

L’ animal n’est qu’à moitié sorti de terre que déjà on s’affaire. La Fondation Louis Vuitton pour la création – c’est acté, décidé, approuvé – sera l’événement parisien de 2014 ! Et à voir les grandes écailles d’acier et de verre qui s’assemblent dans le bois de Boulogne avec la précision d’un horloger suisse, on comprend les prédictions. Avec ses 3 400 panneaux de verre hors normes, cintrés un à un dans la forge, le bâtiment sera à n’en pas douter une oeuvre en soi. Il est signé Frank Gehry, l’architecte star du musée Guggenheim à Bilbao. Après l’ouverture de deux espaces culturels, à Paris puis à Tokyo, qui portent le nom de la célèbre marque au monogramme, Bernard Arnault, le grand patron de LVMH, passe à la vitesse supérieure. Il n’est pas le seul dirigeant de son secteur à se lancer dans l’aventure de la fondation pour l’art. Une aubaine pour l’image de marque et un plus pour le portefeuille. Depuis le début des années 2000, une loi française offre de substantiels avantages fiscaux qui permettent de déduire jusqu’à 65 % des investissements. De quoi encourager les vocations.

UN RÉSEAU DE CONNIVENCES

Il y a pourtant des pionniers. Comme Cartier dès les années 80, et dont le nom est rattaché à la superbe fondation éponyme, imaginée en 1994 par Jean Nouvel à Paris. Un modèle du genre pour la profession. Un an après, en 1995, c’est Miuccia Prada qui se lance. Et puis vient Hermès en 2008, la maison de champagne Louis Roederer l’an passé, le leader de la mosaïque de verre Bisazza au même moment et dans quelques mois, Louis Vuitton.  » Le luxe et l’art sont faits pour s’entendre, estime Edmond Francey, spécialiste du département Art contemporain chez Christie’s. Le premier se porte bien et aspire à des valeurs universelles, intemporelles que peut lui offrir le second. La fondation marque un engagement plus fort que le simple mécénat, c’est une politique de soutien à long terme, initiée par des personnalités qui sont, elles-mêmes, très sensibles au Beau.  »

Bernard Arnault, esthète bien connu, ne s’est-il pas imposé comme le protecteur et producteur du plasticien japonais Haruki Murakami, en le propulsant au sommet des  » charts  » ? Certes, tous n’ont pas la même ambition mais rares sont ceux à ne pas être des collectionneurs avisés, parfois discrets, comme Jean-Louis Dumas, le président de Hermès décédé en 2010, admirateur d’Antoni Tàpiès, Pierre Soulages ou Serge Poliakoff, tandis que sa femme, Rena, architecte d’intérieur, marquait un penchant pour le design contemporain.

Cinq ans après sa création, la Fondation Hermès, qui mobilise huit personnes, est présente sur tous les terrains : soutien aux métiers d’art, financement de résidences artistiques, programmes d’insertion socioculturels. Pour le grand public, le sellier est aussi associé à six espaces d’exposition qualitatifs dans le monde, dont Bruxelles, Séoul, Tokyo ou Londres. Tous sont situés dans la continuité spatiale des boutiques de la marque, ce qui représente parfois un frein pour les puristes. Les muses et le commerce feraient-ils mauvais ménage ?  » Le clivage est surtout marqué en Europe, nettement moins en Asie « , corrige Catherine Tsekenis, directrice de la Fondation Hermès. Malgré une fréquentation contrastée de ses galeries accolées à ses magasins, la Fondation est bien décidée à ne pas créer un centre unique qui serait, une fois pour toutes, distinct de ses flagships.  » Nous n’avons pas envie de nous limiter à un endroit en particulier, poursuit Catherine Tsekenis. Nous tissons un réseau de connivences auquel nous tenons beaucoup.  » Un réseau qui devrait encore s’intensifier car au 24, faubourg Saint-Honoré, l’art s’écrit plus que jamais avec un grand H. Pour son deuxième mandat qui vient de débuter, la Fondation a doublé son budget, avec une enveloppe de 40 millions d’euros sur cinq ans.

SCÉNOGRAPHES ATTITRÉS

La vision de l’Italien Bisazza, qui a inauguré en juin dernier sa  » Fondazione « , est bien différente. Nettement moins diversifiée, l’activité du mosaïste se focalise sur une et une seule galerie de 6000 m2 juxtaposée à son siège social, situé entre Rome et Pérouse. Une adresse qui met l’accent sur ses collections permanentes et des accrochages temporaires autour du design et de l’architecture. Jusqu’au 28 juillet prochain, on peut y découvrir une rétrospective consacrée au célèbre bâtisseur américain Richard Meier. Pour réaménager cet ancien atelier de production en salles d’exposition immaculées, de style néo-classique, Bisazza a fait appel à Carlo Dal Bianco, qui dessine les showrooms de la marque.

C’est aussi à un architecte  » maison  » que Miuccia Prada, engagée corps et âme depuis deux décennies dans la défense et le soutien aux artistes, a confié le nouvel écrin de sa fondation qui devrait ouvrir à Milan en 2015, après des années de retard. Il s’agit du bouillonnant Rem Koolhaas à qui l’on doit La Casa da Musica à Porto ou le siège de la CCTV à Pékin. Elu en 2008 par Time parmi l’une des 100 personnalités les plus influentes dans le monde, le Néerlandais est également le scénographe attitré de la maison de mode transalpine. Pour son amie Miuccia, il va transformer un ancien complexe industriel baptisé Largo Isarco en un centre d’art majeur de 16 000 m2 qui devrait aussi accueillir un bâtiment expérimental de son cru dans la veine déconstructiviste qui le caractérise. En attendant la fin des travaux, Prada occupe un sublime palais vénitien du XVIIIe siècle le long du Grand Canal.

Mais comme le dit Edmond Francey de Christie’s,  » si le but de toutes ces fondations est de renforcer la cohérence de leur mécénat, toutes n’ont pas les mêmes moyens « . La maison de champagne Louis Roederer, qui a l’habitude depuis le début des années 2000 de s’associer à des expositions de haut vol – voire de les produire comme avec la photographe Bettina Rheims pour Rose, c’est Paris, en 2010, à la Bibliothèque nationale de France -, s’est engagée l’an passé sur la voie de la fondation pour l’art. Elle va dépenser 3 millions d’euros jusqu’en 2017 en partenariats, commandes et acquisitions avec un attrait marqué pour la photographie. Comme Hermès, c’est une entreprise familiale qui veille farouchement à son indépendance et peaufine son image d’artisan d’exception transmettant de génération en génération son savoir-faire.  » La façon de travailler nos vins est née en 1776 d’une passion, explique Michel Janneau, secrétaire général. D’une certaine manière, nous poursuivons une oeuvre et cette oeuvre trouve son prolongement dans notre engagement pour la culture.  » Si Roederer travaille fréquemment avec le Palais de Tokyo et la BnF à Paris, la maison va créer en parallèle son propre espace, à Reims. Il s’agit d’un sublime cellier de 1 000 m2 qu’elle va transformer pour 2015 en un centre d’art qui portera son nom. Un membre du conseil d’administration est déjà pressenti pour la scénographie des lieux. Son nom ? Philippe Starck.

PAR ANTOINE MORENO

UNE AUBAINE POUR L’IMAGE DE MARQUE ET UN PLUS POUR LE PORTEFEUILLE.

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