Ceci n’est pas une maison standard, c’est même tout le contraire. Derrière ses traits inachevés, voire bruts de décoffrage, le repaire de l’artiste gantois Yvan Derwéduwé témoigne d’une nouvelle façon de bâtir. En toute sobriété.

Lorsqu’on pénètre dans l’habitation d’Yvan Derwéduwé, on comprend instantanément qu’y vit un personnage atypique. Dans un coin gît un coq inanimé. Mort à première vue, mais en proie, de temps à autres, à quelques mouvements saccadés.  » Sam, c’est son nom, coûtait 5 euros, s’exclame le propriétaire. Mais il est malade et les frais médicaux s’accumulent. Je l’alimente à l’aide d’une sonde depuis deux semaines et lui donne des antibiotiques. J’ai parfois droit à un bref moment de résurrection durant lequel il vagabonde brusquement.  » L’homme est artiste et sur les murs en béton de son hall d’entrée, dont les nombreux défauts sont délibérément visibles, on croise Benoît van Innis et Raoul De Keyser.  » J’aime les matériaux bruts. Les imperfections confèrent un supplément d’âme, pourquoi les cacher ?  » s’interroge le propriétaire avant d’entamer la présentation de son QG.

Il y a deux ans, Yvan Derwéduwé a fait l’acquisition de ce terrain de 738 m2, à Gentbrugge, non loin de Gand. Situé dans une rue de lotissement stéréotypée, où se dressent de coquettes demeures avec pelouses soignées et haies parfaitement taillées, la maison du créateur fait figure d’exception. Et pour cause, les façades, qui semblent à première vue recouvertes de briques blanches, sont en réalité revêtues d’un simple matériau d’isolation. Quant au numéro de boîte, il est simplement tagué en orange sur la devanture.  » Des tuiles laquées noires vont être placées mais j’ignore encore quand. Cette maison ne sera peut-être jamais terminée « , se sent obligé de préciser l’habitant, comme pour répondre au sourire amusé de son ami, l’architecte d’intérieur Tom Callebaut du bureau tcct, qui s’est joint à la visite. Tous deux se connaissent depuis leurs études artistiques.  » Yvan remet tout en question, ce qui a le don d’être à la fois exaspérant et fascinant « , analyse Tom.  » Je réfléchis à chaque détail et si cela prend du temps, c’est qu’il doit en être ainsi « , complète l’intéressé. D’où l’absence actuelle de caches aux prises de courant et de poignées aux portes…

LA NOUVELLE SOBRIÉTÉ

En réalité, cette maison un peu brouillonne illustre bien une tendance émergente en matière d’architecture qui met sur un piédestal la normalité, soit des constructions qui apparaissent banales et sobres de prime abord mais qui s’avèrent finalement tout sauf communes. Elles ont une forme sans audace apparente et sont conçues avec des matériaux basiques. Mais, a bien y regarder, il y a un twist, par exemple dans l’appareillage des blocs, dans la structure de toiture ou dans un détail d’aménagement. L’accent est réellement mis sur l’aspect finition. Ainsi, dans l’antre de l’artiste gantois, le mur du W.-C., en briques rouges nervurées, laisse apparaître le travail de maçonnerie.  » Ces nervures créent un beau jeu de lignes « , souligne-t-il. De même, du multiplex de pin polonais habille la cuisine tandis que des panneaux-sandwichs – souvent utilisés pour les chambres froides – prennent place dans le jardin d’hiver –  » ceux-ci sont à la fois esthétiques et très isolants « . Quant à l’escalier, aujourd’hui à l’état de chantier, il devrait un jour être peint à l’aide de dix coloris superposés :  » du bleu, du vert, du jaune, du rouge et ainsi de suite… Puis, enfin, une couche de noir, précise Yvan Derwéduwé. Avec les années, des teintes inattendues remplaceront celui-ci. C’est ça la poésie de l’usure « .

Les produits de construction standards dévoilent donc ici une richesse insoupçonnée.  » Ils sont ce qu’ils sont. Ils ne sont pas supposés être beaux et ça les rend particuliers « , se réjouit le maître des lieux. Il ne faut toutefois pas confondre cette nouvelle façon de bâtir avec cette mouvance qui consiste à donner aux bâtiments un air de squat, version chic –  » Les murs n’ont pas été expressément abîmés pour leur donner un style brut, comme c’est par exemple le cas à La Superette, à Gand (NDLR : la boulangerie du chef Kobe Desramaults) « , ajoute le concepteur.

COLLECTION HÉTÉROCLITE

L’originalité de ce logement réside également dans son organisation : un jardin d’hiver, qui se transforme, selon les envies, en atelier, garage ou hall d’accueil, trouve place entre deux  » tours « . Un bureau et un autre atelier ont pris place dans la première, tandis que la seconde accueille l’espace de vie et les chambres. Selon Tom Callebaut,  » l’architecture ne doit jamais être un but en soi mais un moyen de donner une âme à un lieu « . La spécificité de cette demeure réside en effet dans les perspectives qu’elle offre en plusieurs endroits. De l’escalier menant au bureau, on peut ainsi voir le living. Cela donne de la profondeur, mais aussi un sentiment de communauté. Malgré les matières utilisées, froides et brutes, il règne d’ailleurs, au sein de ce foyer, une ambiance chaleureuse et agréable. Les dessins des neveux de l’artiste, accrochés aux murs, y sont sans doute aussi pour quelque chose.

Un fauteuil Ikea, un autre hérité d’une grand-mère, une chaise longue vintage Artifort, un support pour plantes sauvé in extremis du parc à containers… Un bric-à-brac assez hétéroclite meuble l’espace. Détail amusant : les sièges rouges de la salle à manger ressemblent étrangement à une création des frères Bouroullec mais viennent en fait d’un hypermarché ! Dans la pièce de vie principale, les murs en béton sont gribouillés d’opérations mathématiques. Le pense-bête de l’entrepreneur qui a volontairement été conservé ?  » Pas du tout. Il s’agit d’une oeuvre artistique de Denicolai & Provoost, un duo réalisant des cachets de calculs. En édition limitée, cinq au maximum. Il faut être rapide.  » Un peu plus loin, un bubble-gum rose bonbon se balance dans les airs depuis le plafond. Cette création, baptisée Pink Mobile Structure, est signée Herman Van Ingelgem.

 » Ce type d’habitation ne tente pas de se distinguer à tout prix de la banalité ambiante mais distille subtilement sa beauté, sans se mettre trop en avant extérieurement « , observe Hans Maes, curateur, l’été dernier, d’une expo sur  » la nouvelle sobriété  » en architecture, au centre C-Mine à Genk. Un propos qui rejoint celui de Rem Koolhaas. L’architecte néerlandais a fait de cette thématique l’axe central de la Biennale d’architecture de Venise, dont il est commissaire cette année et qui se tient jusqu’à la fin novembre, plaidant ainsi pour un retour de sa discipline à ses bases élémentaires. Une piste de réflexion somme toute intéressante – tant esthétiquement que financièrement – pour prendre ses distances face à l’architecture-spectacle qui avait tendance à occuper le devant de la scène ces dernières années.

www.tcct.be

PAR VEERLE HELSEN / PHOTOS : LUC ROYMANS

 » Je réfléchis à chaque détail et si cela prend du temps, c’est qu’il doit en être ainsi.  »

 » L’architecture ne doit jamais être un but en soi mais un moyen de donner une âme à un lieu.  »

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