Les atours nocturnes s’invitent dans le prêt-à-porter. Une envie de confort et de nonchalance, qui cadre bien avec l’époque actuelle.

Le temps où Françoise Dorléac fredonnait  » Votre combinaison, le saviez-vous, dépasse…  » dans Les Demoiselles de Rochefort est définitivement de l’histoire ancienne. Non seulement les dessous se portent dessus. Mais le dressing dédié à la nuit s’affiche désormais sans crainte dedans comme dehors, 24 heures sur 24. En témoignent les défilés de marques comme Rochas, Narciso Rodriguez ou Moschino Cheap and Chic, mais surtout ceux présentés par le créateur américain Marc Jacobs, que ce soit pour son label éponyme ou pour la maison parisienne Louis Vuitton.

Sur les podiums, on a ainsi vu des belles qu’on imagine quitter leur chambre d’hôtel sans aucune gêne. Le rouge à lèvres carmin, la mèche plus très nette. Elles ont jeté un pull en maille sur leur déshabillé d’intérieur. Laissent voir des morceaux de dentelle. Réchauffent leur pyjama de soie par un long manteau. Les élégantes insomniaques, dévoilées par la griffe au monogramme pour cet automne, n’ont décidément pas peur de dévoiler leurs atours nocturnes à la lumière du jour.

 » Les vêtements du défilé Louis Vuitton sont élégants et confortables, car ils sont tous inspirés du dressing de nuit – robes de chambre, chemises de nuit, combinaisons et pyjamas « , détaille celui qui a entre-temps quitté la direction artistique de Vuitton. Il avoue par ailleurs être très régulièrement venu travailler en survêtement ou en pyjama, durant l’épidémie de grippe qui a terrassé New York, l’hiver dernier.  » Ce sont des pièces dans lesquelles on se sent à l’aise parce que, même si elles sont très belles et glamour, elles sont avant tout familières et personnelles, elles font partie de notre intimité. Il s’en dégage l’impression d’être enveloppé et étreint par ces vêtements, ce qui est très sensuel.  »

UNE ARME DE SÉDUCTION

Des pièces de nuit et d’intérieur qui quittent la sphère intime : le phénomène ne date pas d’hier. Dès 1908, le pyjama fait une percée dans le vestiaire occidental, comme le symbole de l’émancipation féminine. Durant les années 20, les garçonnes le piquent aux hommes et l’adoptent pour sortir le soir. Quelques années plus tard, Juan-les-Pins est, elle, surnommée Pyjamapolis, tant cette pièce suscite l’adhésion des dames en vacances sur la Riviera. Histoire identique pour le déshabillé qui, à la même époque, apparaît largement sur grand écran, telle une nouvelle arme de séduction, signe d’une féminité exacerbée.

Et puis, il faut aussi compter sur l’engouement pour le homewear, qui ne se dément pas depuis cinq ans et voit bon nombre de marques de lingerie développer un vestiaire  » home sweet home « , à mi-chemin entre la tenue de ville et celle de la nuit. Ce loungewear fait ainsi la part belle aux pantalons en coton colorés, aux pyjamas bordés de dentelle, aux hauts aussi douillets que féminins et aux cache-coeurs en jersey fluide un brin stylés. Autant d’arguments qui remisent l’affreux training difforme au fond du placard et écartent toute crainte d’une visite impromptue, alors qu’on traîne chez soi relax…

 » Ces pièces confortables, douillettes et sensuelles à la fois expriment un bien-être, une nouvelle sérénité, analyse Vincent Grégoire, du bureau de style Nelly Rodi. Elles sont à mettre en lien avec le recentrage constaté sur la maison, comme un lieu convivial et ouvert aux amis. C’est un espace de liberté, où l’on ne doit pas faire attention à ce que l’on dit et fait. Outre un esprit cocooning, on y valorise un certain hédonisme, qui évoque l’oisiveté d’un fumoir à l’ancienne. Cela ne joue ni sur le registre de la provocation, ni sur celui du laisser-aller.  » Et à partir du moment où l’on se sent bien dans sa maison, il est normal qu’on ait envie de le montrer au plus grand nombre, en portant également ces codes à l’extérieur…

Une philosophie  » d’extimité « , comme la surnomme Vincent Grégoire, qui se retrouve dans les collections de prêt-à-porter de cette saison : ces looks  » Bonne nuit les petits  » s’affichent dorénavant en public, dans une version luxe et glamour.  » Les récents défilés ont donné une force nouvelle à cette tendance des vêtements de nuit et de maison, considère Frédéric Godart, sociologue de mode. Elle a été enrichie d’influences stylistiques diverses, comme les années 50 ou le monde des grands palaces. En cela, ces pièces deviennent des éléments fashion qui peuvent être portés dans l’espace public sans (trop) de honte. Par ailleurs, la dimension érotique, évidente chez Marc Jacobs, est également une réinterprétation par le luxe de cette mouvance, qui était jusqu’à présent connotée comme un manque de formalisme.  »

Si on doute que les robes transparentes rebrodées de sequins et autres pièces ultrasexy seront promises à un grand avenir, il n’en demeure pas moins que la mode a su parfaitement capter l’air du temps. Aux Etats-Unis, par exemple, les ados adorent tellement porter leur pyjama au quotidien, par facilité et confort, que le lycée Mount Anthony Union de Bennington, dans le Vermont, a dû interdire le bas de cette pièce de nuit, ainsi que les chaussons, sous prétexte qu’ils témoignent d’un manque de motivation. Un élu local de Shreveport, en Louisiane, a, de son côté, voulu proposer un décret interdisant le port de cette tenue dans l’espace public, selon lui révélatrice d’une fibre morale en perdition.

DES FRONTIÈRES FLOUTÉES

 » La société actuelle présente une structure mystique, analyse le sociologue de mode Frédéric Monneyron, inspiré, à ce sujet, par la pensée du philosophe Gilbert Durant. Apeurée de tout, elle privilégie avant tout le confort et le bien-être. Dans un sens, elle ne veut plus souffrir pour être belle, pour reprendre un vieux dicton.  » Cette jeune génération, qui préfère les baskets aux talons, entretient également un rapport tout autre vis-à-vis de son intimité.  » Elle a une approche beaucoup plus décomplexée, note Vincent Grégoire. Pour elle, il n’y a jamais assez de caméras et d’appareils photo, d’Instagram et de Pinterest. Elle se met en scène et partage sa vie privée avec le plus grand nombre, via les réseaux sociaux. De ce fait, elle n’est pas gênée de sortir en pyjama. Elle expose son intimité, tout en gardant une part de mystère, quand même.  »

De son côté, Frédéric Godart y voit aussi une explication liée à la gestion du temps :  » L’intérêt pour ce genre de tenues témoigne d’une frénésie sans borne, qui nous conduit à ne plus avoir le temps de nous apprêter pour l’extérieur. Ce mouvement de fond atteste d’un effacement des frontières entre vie privée et vie publique, qui se manifeste à travers le télétravail, par exemple.  » Désormais, dans son job comme en mode, on mélange tout ; les zones de délimitation disparaissent, s’entrelacent. Et à partir du moment où l’on répond à ses mails professionnels à 22 heures, depuis son smartphone, pourquoi le nightwear n’aurait-il pas aussi le droit de faire des heures sup’, durant la journée ?

PAR CATHERINE PLEECK

 » Ces pièces confortables, douillettes et sensuelles à la fois expriment un bien-être, une nouvelle sérénité.  »

 » L’intérêt pour ce genre de tenues témoigne d’une frénésie qui nous conduit à ne plus avoir le temps de nous apprêter.  »

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