Oméga-3, antioxydants et autres fibres nous sont proposés à grand renfort de pub. Pourtant ces nouveaux ingrédients stars sont présents dans une alimentation simplement réfléchie. On pourrait donc bien manger comme Monsieur Jourdain faisait de la prose… sans le savoir. Des médecins et des chefs planchent sur le sujet.

Carnet d’adresses en page 63.

 » O n est foutus, on mange mal !  » Paraphrasant Souchon, n’y a-t-il pas lieu, en effet, de s’inquiéter ?  » Les prévisions sont alarmantes, martèle le Dr Régine Buidin, puisqu’on annonce une augmentation du diabète de 170 % dans les 20 prochaines années, essentiellement celui lié à notre alimentation. Le véritable défi, c’est que la sécurité sociale n’aura pas les moyens de faire face à tous ces malades.  » Et d’enchaîner :  » Nous nous préparons à vivre plus vieux, mais à être malade plus tôt.  »

Avec l’Institut Aker û un centre médical qui pose des diagnostics sur les maladies liées à l’alimentation et, entre autres, leur effet sur le vieillissement û et son conseil scientifique, le Dr Buidin prépare un congrès destiné au grand public qui aura lieu les 19 et 20 novembre prochain et aura pour thème  » Graisses, sucres, alimentation et maladies de notre époque « .  » Dans l’Egypte ancienne, Aker est le symbole du renouveau, explique-t-elle. Il est particulièrement idoine dans la relation médecine et santé. Puisqu’on sait que les membranes cellulaires du corps (particulièrement des neurones) se renouvellent en fonction de l’apport nutritionnel. Imaginez l’impact d’un changement de nutrition et la rapidité de son action sur l’organisme.  »

Dermatologue, Régine Buidin s’est d’abord trouvée, dans sa pratique professionnelle, confrontée à des symptômes nouveaux d’altération de la peau, chez les femmes notamment.  » Si, dans un premier temps, j’ai appliqué une médecine curative sur la peau en demandant conseil à mes confrères pour l’analyse de ces dérèglements profonds. Dans un second temps, j’ai été tentée par une prise en charge plus globale de la plainte du patient « , poursuit-elle. Certaines pathologies observées en dermatologie pouvant être assimilées à une forme de vieillissement, elle se spécialise en hormonologie. Et, les processus hormonaux étant notamment régis par l’alimentation, elle entreprend alors une formation en nutrition. Sur la base des études scientifiques publiées à ce jour, elle en arrive à une conclusion implacable :  » L’alimentation est déterminante dans l’apparition des maladies de notre société. Reportez-vous au début du xxe siècle, on ne parlait guère d’infarctus, le plus grand fléau du monde occidental. Les Américains, qui furent les premiers confrontés à cette affection, ont déduit que la cause résidait dans une alimentation dominée par les acides gras saturés, dont les graisses durcies d’origine animale (beurre, lard…) à l’origine de taux élevés de cholestérol. Ils se sont alors lancés dans un vaste programme d’oléagineux. Ils ont produit de la graisse végétale liquide, caractérisée par sa teneur en acides gras insaturés. Dans la foulée, ils ont inventé la margarine, sa forme solide. Dès les années 1950, les Américains se sont rendu compte que ces huiles étaient loin d’être la panacée. En 1909, on absorbait 2 g/jour d’huile végétale liquide ; en 1993, on est passé à 30 g/jour. En même temps, l’habitude de consommer des sucres rapides et la sédentarité ont fait passer la fréquence des crises cardiaques de 3 000 par an en 1930, à un million trente ans plus tard. Un Belge sur deux meurt des suites d’une affection cardio-vasculaire.  »

Faut-il en conclure que tout ce que l’on mange est mauvais pour la santé ? Fort heureusement, les effets positifs de certains aliments sont de plus en plus mis en évidence. On sait, par exemple, que le lycopène û produit à partir de la tomate û est actif dans le traitement du cancer de la prostate. On s’est aussi aperçu que le lycopène est plus efficace lorsqu’il est ingéré sous la forme de tomate ou de tomate concentrée qu’isolé sous forme d’additif alimentaire.

Si les effets de la tomate sont encore méconnus du grand public, plus personne ne peut ignorer les vertus de l’alimentation méditerranéenne, parfois appelée régime crétois. Lorsque ces études ont été publiées, tout le monde pensait que la responsable de la qualité de cette diète était l’huile d’olive. On s’aperçoit toutefois aujourd’hui que c’est tout le mode de vie des Crétois qui est à envisager, notamment la consommation de légumes sauvages, riches en antioxydants, comme le pourpier.

Selon le Dr Buidin, l’huile d’olive n’est ni bonne ni mauvaise pour la santé. Si elle est extravierge, elle apporte des antioxydants que l’on trouve aussi dans les fruits. Elle est riche en acides gras oméga-9 et oméga-6, qui sont indispensables à l’organisme. Mais elle est relativement pauvre en acides gras polyinsaturés oméga-3. Or notre alimentation actuelle est déficitaire en oméga-3. Notre rapport entre les oméga-6 et les oméga-3 est généralement de 20 alors qu’il devrait avoisiner 5 !

 » On oublie trop souvent que si l’homme s’est différencié des singes, c’est aussi grâce à la nourriture, souligne le Dr Buidin. 60 % de notre cerveau est constitué de matières grasses, dont les oméga-3. Pour paraphraser une citation attribuée à Hippocrate, je ne pense pas que nous sommes ce que nous mangeons. Mais notre devenir se trouve dans ce que nous mangeons. Les grands chefs sont aujourd’hui nos guides en matière de nourriture. Ils n’ont sans doute jamais eu autant d’importance médiatique. Il suffit de regarder les dizaines de programmes culinaires que proposent les différentes chaînes de télévision britanniques, par exemple. J’ai pensé qu’ils pouvaient donner l’exemple.  »

Le médecin invite donc plusieurs de nos toques étoilées et leur présente l’état de ses connaissances. Yves Mattagne, le chef doublement étoilé du célèbre restaurant de poissons Le Seagrill (Bruxelles) est le premier à réagir et à concevoir des recettes qu’il entend populariser : les oméga-3 constituent un des axes de travail du Dr Buidin et les poissons gras constituent les fournisseurs déterminants d’oméga-3 à longue chaîne.

Le champ de la réflexion est cependant bien plus vaste.  » On sait qu’il y a une relation directe entre obésité et maladies cardio-vasculaires d’une part et diabète d’autre part, embraie le Dr Buidin. On touche là au problème des sucres, notamment les sucres rapides. Ce qui est en cause c’est la résorption trop rapide des sucres au niveau de notre intestin. Amenés au foie, ils le poussent à produire trop de glycogène. Excédentaire, celui-ci sera transformé en graisses. Pour donner un exemple frappant, boire du jus d’orange pur est bien moins intéressant pour l’organisme que de manger une orange. Car les fibres de celles-ci vont ralentir la vitesse d’absorption des sucres.  »

Graisses, sucres et fibres, voilà donc trois des clefs de la réussite d’un régime alimentaire de santé. Qui dit fibre fait notamment songer aux fruits et aux légumes. Or, ceux-ci sont aussi de bons pourvoyeurs d’antioxydants, qui entrent dans les mécanismes de lutte contre la formation de mauvais cholestérol, par processus d’oxydation. Mais les fibres jouent aussi un autre rôle. Manger des céréales û classées parmi les sucres lents û permet aussi de réduire la sensation de faim, donc de manger moins.  » Les bonnes huiles et graisses qu’on a trop souvent décriées sont aussi intéressantes car elles donnent un message de satiété à notre cerveau. Deux cuillerées par jour d’huile de colza sur votre repas est excellent, d’autant plus que cette huile est riche en oméga-3.  »

Pour Yves Mattagne, toutes ces considérations doivent être intégrées dans des recettes existantes ou intervenir dans la conception de nouvelles recettes.  » Le chantier est encore long, note le grand chef. Mais l’intérêt est manifeste de toutes parts, tant dans le grand public qu’auprès des professionnels. La clé est dans une alimentation saine, naturelle et équilibrée. Rien ne remplacera jamais le produit vrai.  »

La Wallonie aussi

La Wallonie est entrée elle aussi dans l’ère des aliments bons pour la santé. On cultive le colza en Wallonie et on y produit des £ufs Colombus enrichis en oméga-3. Pour Charles Delmotte et Joseph Famerée, deux agronomes du ministère de la Région wallonne, plus particulièrement chargés de la vulgarisation auprès des éleveurs, les oméga-3 sont devenus le c£ur de leurs préoccupations. Dès 1999, ils ont développé un concept baptisé : santé animale, santé humaine. Des études sur la viande de volaille, le lait de brebis, le beurre de ferme ont donné des résultats probants. Des éleveurs se sont engagés sur cette voie. Concrètement du lait et de la viande  » Oméga-3  » sont d’ores et déjà disponibles, sans qu’une publicité suffisante leur soit toutefois accordée. Le 25 février prochain, Charles Delmotte et Joseph Famerée organisent un séminaire û ouvert au grand public û sur les huiles fermières de première pression à froid.

 » Il ne faut pas oublier que l’alimentation ne fait pas tout, conclut pour sa part le Dr Buidin. Toutes les études épidémiologiques portant sur des populations en bonne santé, comme les Crétois d’il y a quelques décennies, concernaient aussi des sociétés où l’effort physique était omniprésent. Nous sommes devenus trop sédentaires. Même l’alimentation la plus judicieuse ne peut se passer d’une demi-heure d’exercice physique par jour !  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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