Pas de confusion des genres pour la créatrice Grit Seymour. Sa nouvelle collection, Boss Woman, est un hommage au beau sexe. Et un message vestimentaire universel parce que moderne.

Quand un cacique – et un classique – du prêt-à-porter masculin bon teint se fend d’une collection vouée à l’éternel féminin, il peut se prendre une sacrée veste; le risque de recopiage, voire de clonage des lignes hommes est assez fréquent. Ou alors, il peut ajouter un beau chapitre à son histoire vestimentaire, comme celui que rédige à présent, d’un crayon allègre, la créatrice Grit Seymour pour la marque allemande Hugo Boss. Hugo Boss, sorte de  » Giorgio Armani  » germanique comptait déjà, depuis 1998,  » Hugo for Woman « , une ligne casual chic dont l’homologue masculin se nomme évidemment  » Hugo for Men « . Cependant, il n’avait pas encore, à proprement parler, de collection de prêt-à-porter femmes qui soit à la fois raffinée, pas guindée et pointue mais pas au point d’effrayer un large public féminin. L’affaire est faite, à présent, via la première collection Boss Woman printemps-été 2001 où miss Seymour ( NDLR: auparavant, elle a oeuvré chez MaxMara, Donna Karan et Daniel Hechter) y mêle diplomatiquement élégance et nonchalance. Du coup, des pulsions androgynes surgissent des chemises blanches, admirables porte-paroles de l’unisexe. Ces même pulsions traversent aussi les trenchs très  » Casablanca  » et les costumes masculins-féminins qui résument à ravir le charme trouble des égéries du 7e art allemand genre Marlene Dietrich. Les tailleurs, eux, affichent des proportions parfaites, à tel point que la carrure des vestes oscille judicieusement entre l’exagéré et l’étriqué. Moins stricts qu’on ne le pense, les deux0-pièces en version pantalon, jupe longueur genou ou micro-short, n’hésitent pas à s’incliner devant l’air bravache d’un court blouson en cuir ou l’opulence discrète d’une robe drapée, d’un caraco en voile, d’un pull en V faussement opaque ou d’un glamoureux top rebrodé de paillettes.

Beauté nordique aux traits purs, Grit Seymour (36 ans) est un mélange (d)étonnant de juvénilité éclatante, d’humour léger et de solide sérénité que l’on attribuerait davantage à une femme plus âgée. Depuis son QG créatif de Milan (1), dont l’architecture intérieure balance entre un cloître Renaissance et un jardin zen, la styliste berlinoise évoque, pour Weekend Le Vif/L’Express, sa façon de traduire, en vêtements et en allure, les principes actifs de la féminité vraie.

Weekend Le Vif/L’Express: Le lancement de votre collection  » Boss Woman  » tombe pile-poil avec le IIIe millénaire, ère de la féminité tous azimuts. Cette connexion vous a-t-elle inspirée?

Grit Seymour: Oui, car je pense que la femme contemporaine atteint un  » état de grâce  » exceptionnel. Désormais, elle assume sa féminité et au-delà, son individualité, sans regret ni exagération. On peut dire d’elle qu’elle est une post-féministe, parce que ses revendications actuelles sont différentes de celles de ses aînées, même si elle n’oublie pas leur combat de jadis. Aujourd’hui, les femmes sont présentes à tous les niveaux de la société et cette situation influence naturellement les habitudes vestimentaires. L’élégance et le sens pratique, l’allure et le confort ne font plus qu’un.

L’abondance de vestes et de tailleurs-pantalons dans votre collection réfère-t-elle au power-dressing des années 1980?

Hmmm, j’avoue que les stylistes se tournent volontiers vers le passé pour (re)créer quelque chose de neuf. Ne dit-on pas que la mode est une éternelle machine à remonter le temps ( sourire)? En ce qui me concerne, j’ai donné au style  » femmes d’affaires et femme affairée  » d’il y a vingt ans une interprétation nettement plus actuelle et nonchalante. Le power-dressing constitue finalement une référence très anecdotique. En revanche, je me suis inspirée de l’homme Hugo Boss à propos duquel la maison possède tout de même une expérience de plus de quatre-vingts années. Il aurait été malaisé de passer outre! La garde-robe masculine sert donc de cheville ouvrière à ma première collection Boss Woman. J’en ai pris la substantifique moelle (chemise, veste, pantalon, boutonnages…) et j’ai commencé à jouer avec ces basiques. J’ai modifié les coupes, les proportions et les matières afin de donner à cette ligne un côté ludique, voire ironique. J’ai aussi réalisé des robes et des blouses très fluides, j’ai privilégié les tissus légers, les drapages et les motifs pétillants parce que je voulais que cette collection demeure crédible et intègre sur le plan féminin.

Hugo Boss est par définition un monde et une mode d’hommes. Fut-il simple d’y délimiter un territoire typiquement féminin?

Non et je savais que cette Boss Woman représentait un fameux challenge. Mais je suis quelqu’un qui adore relever les défis ( rire). La collection Boss Woman est une sorte de modus vivendi, un équilibre stylé entre tout ce qui caractérise Hugo Boss et ma propre perception de la femme et de l’élégance. Je n’ai donc pas créé des vêtements à froufrous et chichis qui n’auraient eu plus rien à voir avec la philosophie initiale de la maison. Et je n’ai pas non plus conçu une copie  » bien roulée  » de l’homme Boss. Comme je l’ai dit, j’avais en tête une image de femme vraiment féminine, et je n’y ai pas dérogé.

La hiérarchie d’Hugo Boss vous a-t-elle donné des directives précises ou imposé des restrictions à votre démarche créative?

Je ne pense pas que travailler en équipe et échanger ensemble des idées constitue des limites ou des restrictions, pour moi ou pour quiconque. Jamais je ne me suis sentie bridée dans mes idées et leurs réalisations. Bon, il est certain qu’avant de commencer la collection, nous avons eu, mon équipe, les responsables d’Hugo Boss et moi-même, une kyrielle de réunions et de briefings afin de définir  » au fil près  » qui est la femme Boss, quelles sont ses coutumes vestimentaires ou autres… Nous avions d’ailleurs commencé à construire sa personnalité via un parfum, lancé en juillet dernier. Ce qui est sûr, c’est que la maison estime que je suis à même de donner vie à la Boss Woman parce que, en tant que créatrice et que femme, je la  » ressens  » parfaitement bien de l’intérieur.

Quelle genre de femme révèle, justement, cette Boss Woman?

C’est une vraie nana du XXIe siècle, une femme parfaitement à l’aise dans son époque. Elle a l’esprit large et les yeux grands ouverts sur le monde. Elle est extravertie, elle aime les gens et la vie. Ah, j’oubliais, elle n’a rien d’une fashion victim.

Les  » bêtes de mode  » vous font-elles grincer des dents?

Non, ce que je veux dire, c’est que la femme pour qui j’ai imaginé cette collection est suffisamment futée, originale et sensible pour avoir sa perception personnelle de la mode. Evidemment, elle connaît les tendances puisque, par nature, elle est curieuse de tout. Mais elle ne va pas les suivre comme un petit mouton. Ell est capable de poser ses propres choix, dans sa vie et dans sa garde-robe.

En parlant de femmes  » qui en jettent « , l’actrice berlinoise Marlene Dietrich vous a-t-elle inspirée?

Ce n’est pas inexact, étant donné que sa forte personnalité m’a toujours fascinée. De plus, Berlin est ma ville natale et, au même titre que les personnages et les événements qui y furent ou y sont liés, elle constitue une référence majeure pour moi. Cependant,  » ma Marlene à moi  » est moins androgyne et moins apprêtée: elle a énormément d’allure mais elle est surtout fraîche, spontanée et inattendue. En fait, c’est un mélange de Dietrich et de Kate Moss qui m’inspire. Le travail du photographe Helmut Newton ( NDLR: de nationalité australienne, celui-ci est également né à Berlin) a été une autre grande source d’idées pour ma collection. J’aime la manière dont il met les femmes en image: à travers son objectif, elles sont sublimes, sensuelles, solides et sûres d’elles…

Berlin stimule votre créativité. En est-il ainsi de Londres, où vous avez étudié la mode, de New York où vous dessiniez pour Donna Karan ou de Milan, où vous travaillez sur Boss Woman?

Absolument, vu que chaque cité dégage une énergie particulière et des vibrations que j’aime associer à ma propre sensibilité. Toutes ces inspirations et ces aspirations, qui correspondent aussi à diverses étapes de ma vie, me permettent d’affûter, encore et encore, mon processus créatif. De Londres, par exemple, j’ai emporté une vision à la fois élégante et très peu conventionnelle de la mode. Et j’ai aussi compris combien il était important de maîtriser à fond la technique du vêtement. De New York, Paris, Milan ou Berlin, j’ai retenu également un tas de choses qui, finalement, s’entremêlent judicieusement et portent mon impulsion artistique en permanence vers l’avant.

Savez-vous que vous ressemblez à la femme pour qui vous créez?

On me l’a déjà dit mais j’avoue que c’est un éloge dont je ne me lasse pas ( rire).

(1) C’est aussi à Milan que fut présentée, en octobre dernier, la collection Boss Woman de l’été 2001.

Propos recueillis par Marianne Hublet

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