Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille …

CARPACCIO NOIR-JAUNE-ROUGE

Personnellement, je suis contre le traditionnel jus de citron (à moins d’y aller molto mollo) sur le carpaccio car il  » cuit  » trop la viande, en plus d’en annihiler la saveur – ce qui est  » peccato  » pour du filet pur de b£uf, non ? On m’a un jour servi à Rome un carpaccio si citronné qu’il n’offrait plus que la saveur de l’agrume, mettant à mort le carné du b£uf et les arômes de l’huile d’olive. Je préfère de loin utiliser du balsamique comme élément acide, nettement moins agressif, à combiner à de la très bonne huile d’olive à raison de 1/3 – 2/3. À cela s’ajoutent fleur de sel, poivre sans excès et fraîchement moulu, quelques copeaux de parmesan si vous aimez mais ce n’est pas indispensable. Enfin et surtout, ne laissez pas mariner pour garder la texture crue de la viande. Bien entendu, le belgo-carpaccio s’accompagne de frites dorées, pardi !

ROUGE DES FLANDRES

J’entends déjà le lecteur soiffard qui se réjouit :  » Ah ! Elle va nous parler de mousse, cette fois ; c’est qu’avec toutes ces mangeailles qu’elle nous sert chaque semaine, il commençait à faire soif !  » Désolée, cher gosier-en-pente, d’avoir choisi ce titre (la Rouge des Flandres étant une bière, ce qui prête à confusion), mais voilà, il sert mon propos. En effet, j’aimerais aujourd’hui donner un bon coup de pied dans la fourmilière de l’ignorance (*) au sujet du si populaire mais sémantiquement galvaudé carpaccio. Ce plat, créé en 1950, devrait son nom à un peintre vénitien du xve siècle qui affectionnait les tons sang-de-b£uf. Du coup, ce que nous baptisons carpaccio de saumon, pis encore, de Saint- Jacques, mangue ou ananas, est une contradiction dans les termes. C’est un peu du fil-de-fer-de-cuivre ou, si vous préférez, l’appel-chus-t’oranche des Néerlandais d’Amchtertam ! Cela étant, on peut accepter que, par assimilation, la finesse des tranches qui composent ce régal se soit substituée au coloris d’origine. L’indulgence s’impose donc. Par ailleurs, ce qui est intéressant, c’est que ce cher Carpaccio était grandement influencé par l’école flamande de la même époque. Et, comme en sus il se prénommait Vittore, comme notre Victor, le footballiste national, nous pouvons inférer que le carpaccio, c’est belge ! Les Ritals n’auront qu’à renâcler, ironiser, tant pis, nous resterons sûrs de notre fait et servirons, parmi nos spécialités belges, de belles assiettes picturales, planes comme la Flandre et grandement relevées en goût chauvinement tricolores, comme proposé ci-contre.

(*) Ah, ça c’est envoyé, hein ! Quel panache ! Bon, il faut bien que je m’envoie des fleurs à moi-même, sinon qui le ferait ? ( soupirs de Calimero-pauvre-martyr).

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