Barbara Witkowska Journaliste

Le parurier Desrues est l’un des sept ateliers d’artisanat de luxe rachetés par Chanel. Ses artisans déploient un savoir-faire fabuleux pour créer des milliers de boutons et bijoux de fantaisie… qui sont autant de véritables petites merveilles. Visite exclusive.

Souvenez-vous. Le 7 décembre dernier, Chanel créait l’événement en organisant un somptueux défilé à l’Opéra de Monte-Carlo (lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 23 février dernier). Baptisée  » Paris- Monte-Carlo « , la collection était un hommage à la danse classique et aux Ballets russes mais, surtout, au savoir-faire des métiers d’art (plumassier, bottier, brodeur, modiste et paruriers), sans lesquels la haute couture n’existerait plus. Sur scène, dans une magnifique chorégraphie signée Karl Lagerfeld, aux rênes créatives de la prestigieuse maison parisienne, virevoltaient de magnifiques robes de mousseline, des combinaisons en satin duchesse, des robes longues brodées ou des jupes tutus. Les regards émerveillés des spectateurs étaient également aimantés par les bijoux extraordinaires : manchettes, sautoirs et colliers en métal, pâte de verre et résine. La pièce maîtresse ? Cet imposant plastron, composé de 150 fleurs en pâte de verre, cerclées de métal doré et montées sur une armature souple. îuvre du parurier Desrues, cette merveille a demandé 160 heures d’un travail méticuleux et patient. Les artisans des ateliers ont consacré, au total, 10 000 heures de travail, pour fournir 400 bijoux et 11 000 boutons qui ont contribué au rayonnement et au panache du défilé  » Paris-Monte-Carlo « .

Depuis le début des années 1980, pour assurer leur pérennité, la maison Chanel rachète des ateliers de métiers d’art £uvrant pour la haute couture. Sept d’entre eux sont aujourd’hui réunis au sein d’une société baptisée  » Paraffection « . Le parurier Desrues, lui, est établi à Plailly dans l’Oise, à une vingtaine de kilomètres de Paris. Dans un bâtiment moderne, pourvu de grandes verrières qui s’ouvrent sur la campagne, 190 personnes exercent deux grands types de métiers : la réalisation de boutons (55 %) et de bijoux de fantaisie (35 %). La fabrication de quelques accessoires de maroquinerie occupe 10 % de la production. C’est la seule société de ce type en France (il y en a encore deux identiques en Italie).

La société a été créée en 1929 par Georges Desrues, parurier de création dont le premier métier consistait à fabriquer… des articles funéraires, dont les éventails de deuil. Avec l’explosion de la haute couture, l’homme bifurque vers la mode. Les petits accessoires et les bijoux qu’il crée et confectionne parachèvent admirablement les tenues raffinées de Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet, Gabrielle Chanel, Hubert de Givenchy et Yves Saint Laurent. Au début des années 1960, sous l’impulsion de Mademoiselle Chanel, Georges Desrues se lance dans la fabrication des boutons. En 1984, Chanel lance le prêt-à-porter. Les collections génèrent un chiffre d’affaires qui booste la dynamique de la maison. Desrues est racheté la même année.

Desrues continue à fournir quelques grands noms de la couture en bijoux, mais le client principal reste évidemment la maison Chanel. En boutons, il est le fournisseur exclusif de la griffe au double C. La charge de travail est énorme. Il faut accessoiriser neuf collections par an : deux collections de haute couture, six collections de prêt-à-porter, dont la collection Croisière et, depuis cinq saisons, une collection  » satellite « , dédiée aux maisons d’art.

 » Nous ne sommes pas une société qui a un catalogue de produits, explique Jean Morel-à-L’Huissier, PDG de Desrues. Nous nous demandons sans cesse quels produits nous pouvons concevoir ensemble. On part avec peu de choses. L’improvisation est permanente. La création est basée sur un échange. Notre studio de création examine les tissus et les gammes de couleurs puis travaille en symbiose totale et parfaite avec la maison Chanel à Paris. Il y a des va-et-vient sans arrêt, car tout doit aller très vite.  » Chaque année, la création en parfaite synergie donne naissance à 500 modèles de boutons. Ils seront ensuite produits en plusieurs milliers d’exemplaires, déclinaisons comprises. Un autre exemple : environ 1 200 modèles de bijoux sont créés, mais seulement un modèle sur trois sera réellement vendu.

Les achats sont nombreux et variés : des tubes de verre multicolores qui seront fondus par la suite, des perles, des boules de bois ou de verre, des fils et des rubans… Les stocks chez Desrues sont impressionnants. Et tout est retravaillé, adapté, modifié et interprété. Les artisans travaillent de multiples matériaux : l’étain, le laiton, le zinc, l’argent massif, le bois, la nacre, la résine, le cuir, le verre et les pierres semi-précieuses.

La fabrication de chaque bouton débute par une maquette, suivie d’un prototype. Ensuite, on réalise un moule en métal ou en silicone. Toutes les pièces sont ensuite polies, suivant des procédés différents. Après le polissage, on passe aux finitions : la dorure, l’argenture, la patine ou le vernissage. Chez Chanel on aime aussi les boutons en matières dites  » organiques « , telles la corne ou la nacre. Tous demandent 3 à 4 opérations et tous sont soumis à un contrôle de qualité, ultime intervention manuelle.

La dimension artisanale et manuelle est davantage présente encore dans la création des bijoux. Quand il s’agit d’appliquer un décor de perles sur une bague ou un bracelet, de guider la baguette de verre pour couler des perles, pincer les maillons d’une chaîne ou sertir perles et cabochons, rien ne peut, en effet, remplacer l’artisan. Certains bijoux, les plus sophistiqués, exigent entre 50 et 60 opérations. Grâce à la maestria de Derues, Karl Lagerfeld peut donner libre cours à toute sa créativité et imaginer des bijoux les plus insolites et les plus extravagants, tels des bagues de pied, des bracelets  » dos-main « , des ornements de chignons, des manchettes de cheville…

Barbara Witkowska

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