Elles forment le duo le plus pop et le plus suave du moment. Sur scène, elles sont complices comme personne. A la ville, aussi. Rencontre en apesanteur avec Aurélie Saada et Sylvie Hoarau, à l’aube d’une tournée qui passera par chez nous, ce mois-ci.

Elles sont inséparables. Ça tombe bien, elles habitent à cinq minutes l’une de l’autre. Les Parisiennes Aurélie Saada et Sylvie Hoarau forment le tandem fusionnel du groupe Brigitte. Le nom est un clin d’oeil aux trois B. (Bardot, Fontaine et Lahaie, l’ex-hardeuse) et à toutes les anonymes,  » boulangères, maîtresses d’école ou femmes de gendarme « .

Leur premier album, Et vous, tu m’aimes (2011) a été vendu à plus de 200 000 exemplaires. A l’occasion de la sortie d’un coffret collector de leur deuxième LP, A bouche, que veux-tu, nous les avons rencontrées près de Pigalle, à l’hôtel Amour, décoré par l’artiste André. A l’intérieur de l’établissement, les lumières étaient chaudes, réconfortantes, dehors, le ciel de Paris était menaçant, encore chargé des récents événements qui ont endeuillé la capitale française.

Vous avez donné un concert au Zénith de Paris huit jours après les attentats devant 6 000 personnes. Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

Aurélie : C’était un moment très émouvant. Un mélange de fragilité et de force. On a eu envie d’embrasser les spectateurs un par un. On a commencé le spectacle par un titre des années 60, Paris en colère (NDLR : interprété à l’époque par Mireille Mathieu). C’est une chanson magnifique qui traduit parfaitement notre ressenti. On l’a chantée a capella depuis les coulisses tandis que la salle était plongée dans le noir. C’était notre manière de rendre un hommage. Nous ne voulions pas faire de discours.

Vous pensez que les artistes doivent s’exprimer publiquement sur leur époque ?

Sylvie : Chacun fait ce qu’il veut. Ce qui s’est passé ici est un cas de figure exceptionnel. Personnellement, je n’ai pas envie de donner mon avis sur des sujets politiques ou sociaux. Je trouve ça toujours un peu bizarre lorsque des artistes prennent position.

Aurélie (qui ne semble pas d’accord) : En même temps, si c’est sincère, pourquoi les artistes devraient-ils se taire plus que les autres ?

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Sylvie : On a été présentées par des copains musiciens que l’on avait en commun. J’ai appris qu’Aurélie cherchait des compos, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai appelée pour lui proposer de travailler ensemble.

Aurélie : Je dis toujours oui à tout et après je regrette. Mais pas ici !

Sylvie : Un jour, à la fin d’un déjeuner, elle m’a dit, comme une demande en mariage :  » Est-ce que tu veux faire un groupe avec moi ?  »

Aurélie : On a bossé pendant un an, juste pour le plaisir d’écrire à deux. On ne donnait même pas de concerts. Cela a duré pas mal de temps avant qu’on sorte du bois.

Votre look, très étudié, est un mélange de références pop, hippie et sixties…

Aurélie : On ne se déguise pas. Travailler l’image, c’est une manière de continuer à raconter les histoires que l’on a écrites. C’est le prolongement naturel de nos chansons.

Sylvie : Il y a beaucoup d’amusement aussi là-dedans. C’est génial de se dire que l’on peut porter une perruque à frange, être brune, blonde ou bouclée. On aime aller dans toutes les directions et emprunter tous les styles, de la même manière qu’on se sent très libres musicalement. C’est assez grisant ce champ des possibles, pourquoi s’en priver ?

Vous composez, vous écrivez, vous réalisez vous-mêmes vos clips et vous avez créé votre propre label (B-Records). Pourquoi ce souci du contrôle total ?

Sylvie : Ce n’est pas tant le contrôle que la liberté qui nous intéresse.

Aurélie : Et le plaisir de l’investissement. Quand tu reçois des amis à dîner chez toi, tu ne vas pas leur faire des plats surgelés. Et bien nous, on aime bien faire la cuisine, du début à la fin. On fait avec les moyens du bord. On n’était pas des  » guitar heroes  » mais on a eu envie de tout composer, on n’était pas des instrumentistes incroyables mais on a fait nos propres arrangements, on a appris le chant en autodidacte, la guitare pareil, la direction artistique aussi. Il y a certainement des gens plus doués que nous dans ces domaines mais pour raconter notre propre histoire et y mettre la sensibilité nécessaire, nous sommes sans doute les mieux placées.

Vous avez chacune deux enfants, comment conciliez-vous le travail et la vie privée ?

Aurélie : On ne voulait pas renoncer à faire le métier qu’on aime ni à être mères. C’est juste une histoire d’organisation. Quand on n’est pas en tournée, on est très présentes. Je dépose mes deux filles, Shalom et Scarlett, tous les matins à l’école et je vais les chercher à 16 h 30. Quand on est là, on est peut-être plus disponibles que si on avait des horaires de bureau.

Avant Brigitte, vous avez eu chacune une vie artistique. Aurélie sous le nom de Mayane Delem et Sylvie au sein du groupe Vendetta. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Sylvie : J’étais tellement bloquée sur mon ancien groupe et insatisfaite que je pensais arrêter la musique pour de bon. J’étais très préoccupée, je me disais :  » Pourquoi continuer ? Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? J’ai deux enfants et bientôt 40 ans.  » J’ai pensé à écrire un livre, à aider une copine qui ouvrait un salon de thé. C’était une période assez angoissante. Je sais écrire des chansons, les chanter sur scène, mais pour le reste…

Aurélie : Jusque-là on avait raté notre voie.

Il y avait quelque chose de réconfortant à se trouver ensemble ?

Aurélie : Absolument. Très vite, on s’est apporté la confiance qui nous manquait. On avait une envie mutuelle de se rassurer.

Sylvie : On est devenues invincibles toutes les deux. On forme un bloc. Quand l’une de nous a une idée et qu’elle doute, l’autre est toujours là pour l’encourager et la pousser à aller au bout. Il y a une vraie bienveillance entre nous. Je n’avais jamais connu ça. Avant, on travaillait plutôt avec des mecs qui savaient mieux que nous.

Aurélie : J’étais toujours intimidée à l’idée de faire lire aux autres ce que j’écrivais. Je craignais qu’on trouve ça trop léger, trop compliqué ou pas au niveau. Quand on crée c’est tellement important d’oser, de ne pas avoir peur. Il faut être complètement libéré, c’est primordial. Entre nous, on n’a pas peur de se mettre à poil.

Qui fait quoi dans le groupe ?

Aurélie : Il n’y a pas de rôle défini. On écrit toujours ensemble. C’est une partie permanente de ping-pong, euphorique et jouissive. Après, on a le smile.

Jamais d’orages alors ?

Sylvie : Si, comme dans un couple. Quand on est fatiguées, les malentendus qui surgissent peuvent finir en engueulade. Mais ce n’est jamais grave.

Aurélie : On n’est pas les frères Gallagher (rires).

Sylvie : On se réconcilie avec des déclarations d’amour.

Quel effet cela vous fait d’avoir été choisies cette année comme égéries par la marque de prêt-à-porter Gérard Darel ?

Aurélie : Etre mannequins à notre âge, c’est tellement improbable ! (rires)

Sylvie : On a bien rigolé. Pendant les séances photo qui ont été réalisées pour les deux collections, printemps-été et automne-hiver 15-16, on se regardait et on se disait :  » Qu’est-ce qu’on fait ici ?  »

Aurélie : Quand tu es sollicitée par une marque dans un domaine qui n’est pas le tien, tu te poses forcément la question de ce qu’on va faire de toi. On a eu de la chance. On a travaillé avec une équipe qui nous a réellement impliquées. Pour la collection capsule que l’on a signée, nous sommes venues avec des propositions de capeline et de combinaison pantalon flare en denim qui ont été tout de suite acceptées. On a aussi collaboré aux visuels de la campagne.

Lesquels font penser au cinéma de la Nouvelle Vague, avec une ambiance qui rappelle les films de Godard et de Jacques Demy.

Aurélie : C’étaient exactement nos références. On a demandé qu’il n’y ait jamais de regard objectif comme si les photos étaient extraites d’un film. L’expérience était beaucoup plus créative que ce que l’on avait imaginé.

La mode vous intéresse ?

Aurélie : Pas plus que ça. Elle m’intéresse comme fait de société. La mode parle d’une époque, ce n’est pas juste des morceaux de tissus sur les gens. Après, nous ne sommes pas des moutons, on ne cherche pas à imiter qui que ce soit. Nous sommes très amies avec le styliste Alexis Mabille qui crée nos tenues de scène. C’est lui qui a imaginé, entre autres modèles, les robes fourreau échancrées que l’on porte pour la tournée. On échange nos vues, je lui montre mes mood boards, il rebondit sur une idée, c’est une vraie collaboration. Ce qu’il fait pour nous, c’est comme de la haute couture. C’est comme ça que travaillaient les divas des années 50 et, plus tard, des chanteuses comme Diana Ross ou Donna Summer.

Vous allez parfois aux défilés ?

Sylvie : De temps en temps, quand on reçoit des invitations.

Brigitte joue beaucoup sur les codes de la séduction, avec l’image d’une femme très sexy et, en même temps, très indépendante.

Aurélie : Pourquoi opposer séduction et indépendance ? C’est peut-être ça notre combat ! Brigitte n’est pas un groupe féministe, il n’y a aucune forme de militantisme. Mais il est évident que l’on parle de plus en plus clairement dans nos textes de la femme plurielle.

Qui fait l’objet d’une de vos chansons…

Aurélie : Oui. Pourquoi renvoyer dos à dos la maman et la putain ? C’est très réducteur. On revendique le droit d’être l’une ou l’autre ou les deux. On peut être profonde et légère à la fois, porter une paire de talons aiguilles ne signifie pas que nous sommes soumises ou écervelées. Nous aimons tous les aspects de la féminité et surtout notre liberté.

En concert au Palais des beaux-arts de Charleroi, le 12 décembre prochain. www.pba.be

Coffret Collector A bouche que veux-tu, chez Sony.

PAR ANTOINE MORENO

 » On écrit toujours ensemble. C’est une partie permanente de ping-pong, euphorique et jouissive. Après, on a le smile.  »

 » Pourquoi renvoyer dos à dos la maman et la putain ? On revendique le droit d’être l’une ou l’autre ou les deux.  »

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