Oublié le néobaroque ! Les objets empruntent les codes des outils et matières premières brutes de l’ère industrielle. Chef de la bande des ferrailleurs,Tom Dixon fait entrer l’usine dans la maison.

Tom Dixon a le sens de la formule, de la petite phrase qui fait mouche et qui choque, juste ce qu’il faut. Et quand il vous assène, les yeux dans les yeux et le sourire en coin :  » Le design ne m’a jamais intéressé et je ne suis pas sûr qu’il m’intéresse davantage aujourd’hui « , c’est sûr qu’il y a de la provoc dans l’air. Surtout venant d’un homme ayant occupé le poste de directeur artistique d’Habitat pendant plus de dix ansà Rebelle, Tom Dixon est fier de l’être et de l’avoir, à sa manière, toujours été. En quittant la Chelsea School of Art pour jouer de la basse dans le groupe Funkapolitan heureusement pour lui tombé dans l’oubli. En choisissant de gérer de A à Z l’édition et la distribution de ses créations plutôt que de travailler à la commission pour des grandes marques de meubles. En proposant surtout des objets simples, solides au point d’en être inusables dans une société qui pousse au remplacement frénétique au nom de la mode de ce que l’on vient à peine d’acheter.

 » Maintenant, bien sûr, cela a du sens de tenir un discours durable, ironise le designer. J’ai toujours préféré ce qui avait de l’honnêteté et de la générosité plutôt que du style ou de la surface.  » Pourtant, l’homme qui a toujours ramé à contre-courant des tendances –  » Dans les années 80, ma créativité était motivée par ma haine féroce du postmodernisme en vogue à l’époque « , sourit-il – se retrouve, crise oblige, à la pointe d’un courant que les professionnels du secteur qualifient de fonctionnaliste ( lire encadré page 24).  » C’est dangereux d’être trop à la mode, ajoute-t-il. Car vous n’intéresserez plus personne l’année prochaine. Ma force, c’est que je me lasse encore plus vite que le marché. J’ai très vite besoin de passer à autre chose. Ce qui m’importe, c’est que ce que je crée ait du c£ur et une attitude.  »

Son métier, Tom Dixon l’a appris sur le tas, avec un fer à souder.  » A l’origine pas du tout dans le but de créer des meubles, seulement de réparer ma voiture, rappelle-t-il. C’était les années 80. L’industrie lourde en Grande-Bretagne était en plein déclin. On trouvait des déchets industriels et des outils partout et pour rien. J’ai commencé à créer des meubles sur une machine à souder qui m’avait coûté à peine 15 euros avec des morceaux de vélos, des tuyaux de plomberie. Vous savez, je suis quelqu’un de paresseux dans le fond : j’ai simplement su tirer profit de la beauté brute de ces objets et de ces matières. Je n’ai fait que du collage. « 

Près de trente ans plus tard, les créations de Tom Dixon n’ont rien perdu de leur authenticité.  » J’aime l’industrie, poursuit-il. Et l’idée défendue par Achille Castiglioni ou Verner Panton que l’on peut changer le monde en proposant des produits démocratiques. Moi aussi j’aime des choses chères mais je préfère les objets abordables. Et les miens ne le sont pas encore assez à mon goût.  » Quand il parle d’améliorer le quotidien des gens, le designer britannique pense aussi aux artisans qui travaillent pour lui dans les petits ateliers de métallurgie à Jaipur.  » C’est important pour moi aussi d’avoir bonne conscience, admet Tom Dixon. Là, je sais précisément dans quelles conditions mes lampes, mes vases et mes chandeliers sont produits puisque je suis allé longuement sur place. Je sais même qui les fait. Je suis soulagé de savoir qu’il n’y a pas de gosses qui travaillent là. Et que grosso modo, les conditions d’hygiène et de sécurité sont acceptables. « 

Lorsqu’il imagine une nouvelle table ou une nouvelle lampe, Tom Dixon prend toujours autant de plaisir à mettre lui-même les mains dans le cambouis.  » Bien sûr, on peut modéliser tout ce que l’on veut sur un ordinateur, mais ce qui compte au final c’est la présence de l’objet dans l’espace, plaide-t-il. Et pour cela on n’a encore rien fait de mieux qu’un proto à l’échelle 1 : 1. Mon postulat, c’est la simplicité dans le jeu des proportions et des matières. « 

La substance aussi.  » J’ai passé plus de dix ans chez Habitat entouré de personnes qui essayaient d’enlever toute trace d’humanité aux objets du catalogue, conclut-il. Beaucoup de fabricants sont aussi dans cette logique : on jette ce qui est imparfait. C’est pour cela que j’ai horreur de faire mes courses dans les supermarchés où les pommes de terre et les poivrons sont tous pareils. Mais les choses changent. En musique, il y a toujours la techno mais les guitares reviennent. Il faut oser les contrastes.  » Forcer le technologique à côtoyer l’artisanal. Pour redonner au monde un peu d’épaisseur. Dans tous les sens du terme. n

Carnet d’adresses en page 110.

Par Isabelle Willot

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