Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Pour lui, Eric Orsenna a fait le tour du monde : Mali, Etats-Unis, Brésil, Ouzbékistan, Chine, et, enfin, le département des Vosges en France (*). Plusieurs milliers de kilomètres pour comprendre, glaner, expliquer. On soupçonne l’écrivain d’être un jour tombé sous le charme de ses boules neigeuses, ouateuses, mystérieuses. Un cadeau que nous fait la Terre, un cadeau qui parle, il suffit d’écouter.

Aujourd’hui, le coton règne entre le 37e parallèle nord et le 32e parallèle sud, couvrant pas moins de 90 pays et quelque 35 millions d’habitants. Chez lui, tout est bon à prendre… et tout est pris. Graines, fibres, tiges et branches, rien ne se perd. Vêtements, papiers spécialisés, films photographiques, produits cosmétiques, crèmes glacées, savons, engrais, explosifs, caoutchouc synthétique, litières pour animaux, c’est coton ! Une matière précieuse découverte en Inde plusieurs siècles avant Jésus-Christ et qui a vite fait de conquérir Athènes, s’infiltrant, ensuite, via Venise, dans l’Europe tout entière. Pour traverser enfin l’Atlantique, après un petit détour en Afrique, esclavage oblige, et se fixer dans les deux Amériques. Dès la fin du xixe siècle, toute la planète était ainsi couverte de cotonniers et d’usines, ceux-là ravitaillant celles-ci.

Orsenna a voulu tous les découvrir : petits et grands producteurs, cueilleurs, ouvriers, négociants. Et dans son baluchon, il nous ramène le récit riche de ces rencontres. Une longue promenade pour une véritable initiation didactique et humaine aux mondialisations. Celles d’hier et d’aujourd’hui. Car pour dénicher leurs vrais secrets, les comprendre, rien ne vaut l’examen d’un morceau de tissu.

 » Qu’il plante, désherbe ou récolte, le paysan du coton n’a pas la vie facile (…). Longues, si longues sont les journées dans les champs. (…) Qu’ils égrènent, tissent, filent ou confectionnent, l’ouvrier, l’ouvrière n’ont pas un meilleur destin « , note Orsenna. Et pourtant, chaque année, plusieurs millions de candidats accourent de partout pour se mettre au service de la précieuse matière première.  » Sur terre, la douceur est une denrée rare, et chèrement payée « , souligne notre randonneur.

Loin des images de mode ou de glamour, l’univers de l’  » arbre à laine  » se révèle bien plus sombre que celui de la nuit des temps qui l’a vu naître. Car aujourd’hui, mondialisation oblige, l’actionnaire ET le consommateur se sont alliés pour étrangler le producteur. Certes, à une toute petite échelle, dans son coin, on se sent bien impuissant pour faire basculer le cours des choses. Mais peut-être suffit-il, parfois, d’y penser, le matin quand, vite, vite, on enfile sa chemise ou son tee-shirt.

(*)  » Voyage aux pays du coton. Petit précis de mondialisation « , éd. Fayard.

Christine Laurent

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