Déchiquetée, cette splendide portion du littoral adriatique alterne ports branchés et terres sauvages. Moins de 70 de ses 1 200 îles sont habitées. Autant d’escales qui ne se savourent pleinement qu’en les approchant par la mer.

Puissamment fortifiée, suspendue en balcon au-dessus de la mer, les pieds dans l’eau et la tête au soleil, Dubrovnik justifie le voyage à elle seule. La remontée dans le temps est immédiate dès que l’on franchit l’une de ses trois portes. Il y a cinq siècles, elle s’appelait Raguse et sa flotte de commerce rivalisait avec celle de Venise. Palais, églises, couvents : tout provient en droite ligne de cette époque. Une ville-musée interdite aux voitures. Et qui attire du monde, bien qu’elle conserve certains quartiers plus tranquilles. Difficile en tout cas d’imaginer le dur siège et les bombardements de l’hiver 1991-1992 qui restent dans les mémoires de tous les habitants.  » La liberté ne se vend pas, même pour tout l’or du monde.  » Jamais la devise de la cité ne fut autant justifiée que durant ces quelques mois. Surtout lors de ce terrible jour de la Saint-Nicolas où les combats furent les plus intenses : le siège levé, sous les gravats et les toits écroulés, on dénombrait plus de 300 morts. Grâce à un élan de solidarité international, la restauration fut rapide. La ville de Toulouse offrit par exemple des milliers de tuiles… certes un peu plus roses par rapport à celles que l’on trouve ici. Et dès 2000, les premiers visiteurs revenaient admirer la  » perle de l’Adriatique « . Qui, hormis quelques éclats de balles sur la pierre, ne garde aucune séquelle de son martyr. Après avoir flâné dans ses ruelles, il ne faut pas oublier de grimper sur les remparts, épargnés par les offensives. D’en haut, la vue change tous les dix mètres. Ces fortifications massives ont nécessité 200 ans de travaux mais n’ont, finalement, pas coûté grand-chose. En effet, les marchands qui déposaient une pierre lors de leur entrée en ville étaient exonérés de la taxe commerciale !

UNE ÎLE DANS UNE ÎLE

Mljet, la plus méridionale des îles croates, est à une vingtaine de kilomètres au large de Dubrovnik. Et en total contraste avec cette dernière : un millier d’habitants, un seul hôtel, quelques chambres à louer, un décor verdoyant, couvert de pins d’Alep, et plutôt sauvage. Beaucoup viennent y randonner. Avec un itinéraire de prédilection : celui qui mène à l’ouest vers un lac salé. En son milieu, une petite île surmontée d’un monastère qui ressemble plus à une forteresse, de quoi dissuader les pirates qui infestaient jadis l’Adriatique.

Changement d’atmosphère sur l’île voisine de Korcula, longtemps vénitienne et où serait né un certain Marco Polo. Palais, cathédrale Saint-Marc, églises délicatement habillées, places dallées et, un peu partout, des lions ailés gravés sur les façades… Ici, tout témoigne encore de la richesse passée basée sur le commerce maritime, la construction de navires et la taille des pierres. Une pierre dorée et tellement réputée qu’elle habille les palais de Venise et de Stockholm, Sainte-Sophie à Istanbul et même les murs… de la Maison-Blanche ! Autrefois, toutes les activités étaient chapeautées par des confréries religieuses. Qui gardent leur importance dans la vie des îliens : chaque église appartient encore à l’une d’entre elles. La plus réputée – la confrérie de tous les Saints – regroupe les charpentiers et siège dans la superbe église éponyme sise au coeur de la ville.

LES EAUX DE LA KRKA

Plus au nord, sur la côte centrale de Dalmatie, Sibenik est une escale doublement fascinante. D’abord pour sa cathédrale, inscrite sur la liste du patrimoine de l’humanité, et inspirée de celle de Florence. Fortement endommagée durant la guerre d’indépendance, elle a dû être démontée pierre par pierre. Ce qui a permis de découvrir qu’elle avait été construite sans ciment ni liant. Au fond de l’édifice, il faut absolument descendre dans le baptistère, trésor de pierre dentelée. L’escale à Sibenik dévoile une autre merveille : le parc national de la Krka, qui suit la rivière du même nom. Celle-ci dévale la pente en dix-sept paliers de travertin spectaculaires. Des sentiers sur caillebotis permettent de s’en approcher parfois si près que l’on profite de ses effets brumisateurs. Plus haut, l’eau jaillit de tous les côtés et s’étiole en bassins, chenaux, étangs tranquilles ou torrents rapides dans un décor de mousses et de sous-bois touffus.

DÉCOR DE CINÉMA

Au sud de Sibenik, la cité de Trogir concentre tout ce que le Moyen Âge a engendré de plus beau. La vieille ville est enserrée d’eau, d’où son surnom de  » Venise dalmate « . Ses ruelles bourrées de cachet servent fréquemment de décor de tournage : les caméras de la série Game of Thrones s’y installent depuis quelques saisons. Impossible d’énumérer ici tous ses monuments, mais la cathédrale Saint-Laurent est considérée comme l’une des plus belles de Croatie. Petite curiosité dans l’une des chapelles latérales, celle de Saint-Jean de Trogir : sur la voûte, se trouve l’une des très rares représentations de Dieu. Les familles ayant contribué à son édification ont eu le droit de construire un palais sur la même place ! Et si l’on tend l’oreille dans la vieille ville, il est fort probable de percevoir des chants a cappella, la  » klapa « , polyphonies classées au patrimoine immatériel de l’Unesco.

SPALATUM

L’histoire de Split est fascinante et intimement liée à celle de l’empereur Dioclétien. L’un des rares à ne pas disparaître de mort violente. Fervent persécuteur de chrétiens, il décida au début du IVe siècle de prendre sa retraite sur ses terres natales, en Illyrie, la Croatie actuelle. Il quitte ainsi Rome par souci de se protéger de ceux qu’il avait tant pourchassé durant son mandat. Et il se fait construire un immense palais fortifié au bord de l’Adriatique. A la chute de l’Empire, les habitants des alentours s’y réfugient et, peu à peu, le palais –  » spalatum  » en latin – devient une petite cité. Dont le nom évoluera pour devenir le Split actuel. Au XIXe siècle, on redécouvre les sous-sols qui servaient de garde-manger puis de déchetterie. Et dans les années 50, d’immenses travaux de déblayage mettent à jour cette ville sous la ville. Au-dessus, l’ancien palais a été reconverti : le mausolée de Dioclétien est devenu la plus petite cathédrale du monde, et le temple dédié à Jupiter est à présent un baptistère. Un peu partout sur les murs, des éléments antiques côtoient des ajouts plus tardifs. On dénombre même quelques sphinx d’Egypte ! Le coeur de Split est véritablement unique au monde.

UN TOUR DE VIS ?

Une place centrale qui s’ouvre sur la mer comme à Venise, des ruelles en escalier grimpant à l’assaut de la colline et cachant une myriade de petits restaurants, des bâtiments Renaissance qui ajoutent encore un peu de cachet à cet endroit si délicieux… Blotti au fond d’une baie protégée, face aux îles Pakleni, le petit port de Hvar est un peu le Saint-Tropez dalmate. Son charme attire les célébrités autant que les anonymes. Inutile de préciser que vous ne serez pas seuls en été. L’escale à Vis, plus au large, renoue avec la tranquillité. La plus éloignée des îles croates fut longtemps interdite aux étrangers en raison de ses activités militaires. Dès l’arrivée dans le port de Luka, on comprend qu’ici, on profitera au calme des eaux turquoise et des sentiers sous les pins. Conscients de la valeur ajoutée de leur terre paisible, ses habitants ont décidé d’opter pour un tourisme mesuré.

ESCALE AU MONTÉNÉGRO

Changement de pays, de paysage, mais aussi de culture à l’approche des Bouches de Kotor. La région se situe en effet au croisement des mondes catholique et orthodoxe, et sa population se partage à égalité entre ces deux courants chrétiens. Milena, guide de la ville, est elle-même issue d’un mariage mixte et souligne que  » le fait que chacun, au Monténégro, ait des cousins ou amis de l’autre religion a sauvé le pays de la guerre ! La scission avec la Serbie s’est ainsi déroulée sans effusion de sang.  » Postée au fond de ce fjord immense, la cité médiévale du même nom est magnifiquement préservée. Lovée derrière de lourds remparts qui grimpent à près de 300 mètres dans la montagne, elle semble entourée d’une véritable petite muraille de Chine. Kotor ne compte plus que 2 000 habitants, mais a su conserver une remarquable unité monumentale. Ici aussi, le temps s’est figé au bon moment. Celui où, à l’instar de Dubrovnik, elle était une puissante république maritime.

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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