La mode s’est entichée de la plus précieuse des laines. Mais, entre un pur cachemire et son cousin, qui en contient beaucoup moins, il y a tout un monde… Enquête à la recherche de la quintessence de la douceur.

Dites cachemire et, cette saison, presque toutes les marques lèvent le doigt ! Des boutiques des griffes de luxe aux rayons de H & M en passant par ceux des labels de griffes de sportswear comme Façonnable, voire de spécialistes du jean tel Diesel, tous exploitent le filon de cette laine, jadis synonyme d’exception. Avec sa collection de fin d’année finalisée lorsque les grandes tendances de la saison sont déjà clairement énoncées, l’américain Gap fera également du cachemire le roi à partir de la mi-octobre. Campagne de publicité à l’appui et mise en avant dans ses plus belles vitrines, des monceaux de pulls en cachemire de toutes les couleurs – cols montants, ras du cou ou en V pour les hommes – sont appelés à se vendre comme des petits pains, vu leur prix mini à 110 euros !

Pour expliquer cette folie du cachemire et sa subite démocratisation, il faut tout d’abord remonter à ses origines. Quintessence de la douceur et de la légèreté après le shatoosh – duvet d’antilope dont la commercialisation est aujourd’hui interdite – cette fibre doit son nom à la région montagneuse du Cachemire (Inde), où une race de chèvres, baptisées du même nom, s’est jadis acclimatée. Et a développé un duvet supplémentaire, à la base de ses poils, pour se protéger du climat très rigoureux en hiver. Le diamètre des poils de ce duvet oscille entre 14,5 et 16 microns. Lors de la toute première tonte de l’animal, il est même inférieur à 1,5 micron ! Et sera alors dissocié des autres qualités pour filer des brins de laine encore plus fins : le baby cachemire. En Asie centrale, la transformation de cette fibre rare en tissu s’est développée à partir du xixe siècle. A cette même époque, les techniques de fabrication de la maille se limitant toujours à la production de bas et collants en soie en Europe occidentale, les premières fibres de cachemire sont exploitées pour réaliser des fils servant aux tissages de draperies et de châles, dont les dessins, également appelés motifs cachemire, représentent une répétition de palmes et palmettes. Dans les décennies suivantes, l’élevage de ces caprins migre progressivement vers la Chine et les hauts plateaux de Mongolie-Intérieure. La race sera également importée en Iran, en Afghanistan et en URSS, mais, actuellement, la production cumulée de ces pays ne dépasse pas 10 % des 15 000 tonnes de cachemire brut récoltées par an.

En avril, entre 150 et 300 grammes de cette fibre précieuse sont prélevés sur le dos de chaque chevrette.  » La qualité et la quantité de la récolte de cachemire, fruit de la nature comme le vin, explique Franco Ferraris, directeur des achats de matières premières chez Ermenegildo Zegna, sont étroitement liées aux intempéries des mois précédents. S’il a beaucoup plu, l’herbe a été abondante et le poil sera de très bonne qualité. A l’issue d’un hiver plus rigoureux, sa récolte est plus volumineuse, mais le poil plus épais.  » A l’environnement climatique et son incidence sur les quantités et le cours des échanges s’ajoutent d’autres paramètres qui expliquent les grandes différences de prix des cachemires en boutique. Notamment, le degré d’exigence avec lequel ces poils précieux ont été séparés du restant de la toison laineuse.  » Dans 8 cas sur 10, explique Eric Bompard, PDG de la marque du même nom fondée en 1983, il n’est pas raffiné à l’extrême. Si on laisse passer des poils plus gros, c’est autant de matière première en plus !  »

La taille de la fibre a également une haute importance. Au-dessus de 36 millimètres de longueur, c’est du vrai cachemire, parfait pour le tissage ou la maille. Entre 20 et 36 millimètres, ce n’est plus du cachemire pour les puristes, mais de plus en plus de producteurs, moins vigilants sur ce critère pour arriver à répondre à la demande croissante de cachemire, s’en contentent… Et au-dessous de 20 millimètres, les fibres sont utilisées pour le tissage de pashminas.  » En Chine, raconte Pier Luigi Loro Piana, PDG de Loro Piana, le plus grand tisseur de cachemire ( voir l’encadré ci-dessus), on trouve actuellement du poil de cachemire brut et des fils finis en cachemire aux mêmes prix. Cela signifie que le summum de la qualité est vendu à prix d’or aux tisseurs européens les plus exigeants. Et que, parallèlement, les qualités moindres sont vendues à des marques moins regardantes, qui usurpent le nom de cachemire.  » Hélas, le consommateur peut difficilement distinguer le bon grain de l’ivraie. Tout au plus se doutera-t-il de la supercherie face à un prix de vente de l’article en cachemire avoisinant celui d’un modèle en laine traditionnelle. Mais encore faudrait-il que ces économies sur la matière première soient répercutées sur celui du produit fini. Dans bien des cas, ce sera seulement porté que l’habit livrera toute la vérité sur ses fibres trop courtes, qui essaiment dans l’eau de lessive et favorisent le  » boulochage  » !

Actuellement, il y a donc cachemire et cachemire en boutique.  » Avec la disparition des quotas textiles encadrant les échanges de matières premières, poursuit Eric Bompard, son importation a été considérablement facilitée. Si bien que tout le monde veut aujourd’hui faire du cachemire. Mais, comme sa production n’est pas extensible, beaucoup se laissent aller à une sélection moins rigoureuse.  » Durant les quinze dernières années, les progrès en teinture de cette fibre excessivement fragile ont également permis de lui donner un cachet plus mode. Avant, la palette des tissus et mailles en cachemire se limitait au noir, gris, camel et blanc. Ces coloris étaient obtenus en mélangeant plus ou moins les poils de différents caprins, dont la nuance peut varier entre le noir, le blanc et le marron.  » En continuant de s’en tenir à proposer des coloris classiques, reconnaît Lucien Pellat-Finet, qui s’est fait un nom à partir de 1994 dans les pulls en cachemire de couleurs vives, on m’a laissé prendre une place d’autant plus grande.  » Aujourd’hui, ce créateur français a néanmoins été largement rattrapé, voire plagié dans la création de motifs et d’inscriptions ludiques sur cachemire. Mais, c’est sous son impulsion, et grâce à ses gammes nouvelles chaque saison, que ce produit classique et intemporel est progressivement devenu un article tendance, donc saisonnier. Revers de la médaille, des marques ont cherché à exploiter, elles aussi, ce nouveau filon du cachemire mode, mais à moindre prix. Et de moindre qualité aussi !

 » Le vrai cachemire s’embellit et s’assouplit avec le temps « , rappelle Véronique Nichanian, créatrice des collections masculines d’Hermès et puriste en la matière. Et de conseiller :  » Au premier toucher, il ne faut pas se laisser tromper par une qualité trop moelleuse ou trop douce, dont les fibres ont été mécaniquement fibrillées et gonflées.  » Tout comme Hermès, Pringle of Scotland n’a jamais eu recours à de nouvelles technologies pour duper le client. Depuis 1880, ses laines sont nettoyées dans les eaux pures des rivières écossaises. Leur toucher en est plus rêche, mais est garant d’une meilleure qualité et d’une plus grande douceur à l’usage.  » Depuis sa découverte, poursuit Franco Ferraris, la production de cette fibre n’a pas évolué. Les techniques de filature ont pu être mécanisées. En revanche, toutes les nouvelles technologies, qui visent à changer son aspect et ses qualités initiales, sont des améliorations temporaires.  » Ces dernières années, les seules prouesses reconnues, en dehors des techniques de teinture, ont été réalisées dans des mélanges intimes avec d’autres fibres naturelles et luxueuses comme la vigogne, la soie, le lin ou encore le vison, chez Canali cette saison. En tissage, ces nouvelles compositions permettent de réaliser de belles draperies pour des manteaux et des costumes comme dans les collections de cet hiver. Et dans la maille, des pulls plus fins et plus légers parfaits pour les mois plus chauds car, contre toute apparence, le cachemire isole autant de la chaleur en été que du froid en hiver.

Frédéric Martin-Bernard

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