Un hôtel avec des chambres comme des boîtes, c’est pour bientôt à Anvers. La capsule serait-elle la figure emblématique de l’époque ? De la dose de café au monospace, elle habille en tout cas l’air du temps. Décryptage.

Deux nouveaux projets hôteliers verront le jour au printemps prochain. Le premier, Yotel, sera implanté à proximité des aéroports de Gatwick et de Heathrow à Londres. Jusque-là, pas de quoi fouetter un chat, même de sa gracieuse majesté. Sauf que ses chambres se situent à mi-chemin entre la cabine de 1re classe d’un avion et la capsule japonaise. Une version luxueuse du Formule 1 en quelque sorte. Car si l’espace est ici compté (10 m2), chaque box bénéficie de tous les équipements high-tech (port USB pour le lecteur MP3, système Audio Dolby Surround, écran plat, etc.) indispensables au voyageur moderne. Le même esprit capsulaire habite l’autre initiative, la touche lounge en plus. Baptisé Qbic, il atterrira simultanément à Anvers et à Amsterdam à la même période. Les deux premiers maillons d’une chaîne hôtelière, espèrent les promoteurs. Leur cible ? Le nomade urbain fourbu à la recherche d’un cocon à l’atmosphère relaxante. Fonctionnalité d’un côté, expérience sensorielle de l’autre. Le tout astucieusement aménagé dans des caissons interactifs colorés dont l’habillage a été confié à des pointures du design, parmi lesquelles Philippe Starck pour la pièce d’eau. Petit mais cosy…

Serions-nous entrés dans l’ère de la capsule ? De prime abord, le mot évoque à la fois la solidité, la rondeur et la sophistication. Mais une sophistication un peu frustre, un peu sommaire. Et pour tout dire, un peu datée aussi. La capsule a connu son heure de gloire dans les années 1960 et 1970, quand elle était associée à la fine fleur du progrès technologique. Elle désignait alors aussi bien la gélule utilisée pour conditionner certains médicaments que l’habitacle étriqué dans lequel s’entassaient les astronautes pour le périlleux voyage retour. Suppôt de la science, elle annonçait des lendemains qui chantent, et voisinait avec des mots magiques comme  » atome  » ou  » vaccin  » au sommet de la hiérarchie lexicale de l’époque. Pour tout le monde, il ne faisait aucun doute que l’avenir serait peuplé de ces cocons protecteurs…

Un horizon chasse l’autre

Que reste-t-il aujourd’hui de cette prédiction, à part des images défraîchies d’une nacelle spatiale carbonisée dérivant sur les flots ? Plus qu’on ne le croit… Ces robes paravents (Chalayan, collection printemps-été 07) et ces vestes  » intégrales  » (Bernhard Willhelm, collection automne-hiver 06-07) n’esquissent-ils pas à leur manière les contours de capsules protectrices ? Certes, on n’en est pas encore à aller faire ses courses dans des soucoupes volantes contrairement aux scénarios imaginés par nos fougueux aïeux. La capsule comme marchepied de la civilisation a même failli finir à la casse de l’Histoire le jour où les nouvelles technologies ont colonisé notre espace, à la fois physique et mental. Avec pour principale conséquence la dématérialisation progressive de nos horizons. De sorte que les aventuriers de l’âge numérique ne rêvent plus de conquérir l’univers, le ciel, les étoiles, mais d’explorer les confins du monde virtuel, confortablement installés devant leur écran. Un voyage pour lequel une capsule est à peu près aussi utile qu’une paire de moufles sous les tropiques…

Depuis quelques années cependant, le vent tourne. Portée par la vague rétro futuriste, la capsule, comme concept, comme idée, comme principe, refait surface. Plus tant pour décrocher la Lune, sinon dans les comics et les jeux vidéo, que pour agrémenter le quotidien. En se faisant l’instrument de nouveaux rituels, elle régénère des pratiques assoupies. Songeons par exemple à ce qu’elle a apporté au café. L’introduction des capsules Nespresso et des dosettes Senseo a tout simplement révolutionné la consommation, devenue tiède, de ce breuvage millénaire. Dans un océan de boissons énergisantes, la capsule a été sa bouée de sauvetage. Elle l’a propulsé de la catégorie  » has been  » à celle, autrement plus porteuse, des petits plaisirs raffinés et sophistiqués.

Chacun sa dose

Le secteur alimentaire est d’ailleurs l’un de ses terrains de chasse privilégiés. Des produits comme Actimel ou Yakult ont bâti leur succès sur le conditionnement capsulaire autant que sur le discours prophylactique. Un constat qui vaut également pour les  » alcoolpops « , ces mélanges de bibine et de jus de fruits, servis dans des petites bouteilles, qui font tourner la tête des jeunes. Signe des temps, même les produits haut de gamme ne résistent plus à l’effet capsule. Hier impensable, le champagne se décline désormais en mode réduction (Mumm). Idem pour le cognac, délivré dans des fioles individuelles inspirées des étuis à cigare (XO).

Mais qu’est-ce qui rend cette présentation si attrayante, si cool ?  » Le côté pratique pour commencer, répond Jean Jacques Evrard, directeur de l’agence de design Desgrippes Gobé. Mais aussi l’impression de fraîcheur associée instinctivement au format monodose. Et enfin, dans certains cas, le fait que le consommateur se sente acteur du processus. C’est particulièrement vrai pour le café. Grâce aux machines et à leurs  » cartouches « , on fait chez soi un café comme seuls les professionnels de l’horeca pouvaient en faire jusqu’ici. Une réappropriation valorisante.  » On le voit, la technologie joue un rôle essentiel dans toute cette histoire. Que ce soit pour le développement de nouveaux emballages ou pour la miniaturisation, vecteur de diffusion à grande échelle, des appareils professionnels.

On l’a vu, l’habitat connaît le même phénomène. Après les lofts, la tendance serait plutôt aux logements lilliputiens. La poussée de fièvre immobilière combinée à la raréfaction des terrains à construire, surtout en milieu urbain, a laissé des traces… Et stimulé l’imagination des architectes. Ce n’est pas un hasard si le Japon, où le manque d’espace fait partie intégrante du paysage, a ouvert la voie. Au début des années 1970 déjà, une tour capsule fut érigée à Tokyo. Construite en moins d’un mois, elle se composait de 144 niches imbriquées sur 13 étages. Un avant-goût des hôtels capsules qui pullulent aujourd’hui dans la capitale japonaise. Sortes de ruches géantes, elles hébergent des dizaines d’alcôves en forme de boîtes. Ou de cercueils, diront les mauvaises langues. Environ 2 m de long pour 80 cm de large et de haut. Claustrophobes s’abstenir…

Les architectes vont même un cran plus loin aujourd’hui avec des constructions dont l’enveloppe laisse transparaître le squelette capsulaire. A l’image de cet immeuble étonnant du duo Shusaku Arakawa-Madeline Gins à Mitaka, dans la banlieue de Tokyo. Baptisé  » Reversible Destiny Lofts « , cet ensemble disparate et haut en couleur se veut une métaphore du corps humain, qui n’est finalement rien d’autre qu’une addition de capsules – les organes – aux formes et aux textures variées. Une théorie qui n’est pas sans rappeler celle qui a fait la gloire du philosophe allemand Peter Sloterdijk, lequel voit le monde comme une juxtaposition de sphères ou d’îles habitées par des êtres isolés (à lire,  » Sphères III. Ecumes « , Hachette).

A bien y regarder, nous vivons en permanence dans, autour ou sur des capsules, parfois même à notre insu. De l’habitacle des voitures monospaces type Citroën Picasso ou Ford S-Max, aux bulles d’air tapissant les semelles des baskets Nike, on retrouve partout la même rondeur, le même (ré)confort. Les psychanalystes y verraient à chaque fois un substitut du ventre maternel, dont la forme est elle-même le plus bel exemple de capsule. De là à en déduire que la capsule s’apparente à une matrice, il n’y a qu’un pas. Que nous franchissons le c£ur léger comme une bulle de savon…

Internet : www.yotel.com/www.qbichotels.com

Laurent Raphaël

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