Ross Lovegrove. Un nom plutôt méconnu du grand public, malgré trente ans de carrière déterminante et une grammaire novatrice unique, résolument tournée vers l’avenir. Le premier Walkman, c’est lui. Pour celui qu’on surnomme Captain Organic, notre futur, c’est la nature.

Même sans le connaître, nous avons déjà tous eu affaire à Ross Lovegrove. Il faut dire que rares sont les designers qui peuvent se targuer d’avoir participé à des objets aussi iconiques que le premier baladeur de Sony ou l’iMac, symbole coloré du retour en grâce d’Apple après une décennie compliquée. Si son look de savant un peu fou – oeil pétillant, calvitie et barbe blanche – le fait paraître plus âgé qu’il ne l’est réellement, un coup d’oeil à son C.V. donne carrément le vertige ; difficile de croire qu’un homme soit parvenu à réaliser tant de chose à 55 ans seulement. Né dans un petit village du Pays de Galles, le jeune Ross tombe dans le design accidentellement. Très tôt, il s’aperçoit que son esprit  » non linéaire mais bien organisé « , une caractéristique sans doute héritée de son père militaire, est capable de se figurer des images mentales très précises, qu’il parvient ensuite à coucher sur papier. Il étudie le design à Manchester, avant de décrocher un master au Royal College of Art de Londres, et passe le reste des années 80 à peaufiner son style au gré de fructueuses collaborations. Avec Frogdesign dans un premier temps, puis chez Knoll comme designer maison, ou encore en tant que consultant pour des marques telles que Vuitton, Hermès ou Cacharel, et au sein de l’Atelier de Nîmes de Philippe Starck et Jean Nouvel. Mais l’industrie l’ennuie. Il s’écarte du  » Form follows function « , car pour lui, la forme doit d’abord suivre l’émotion. Son idéal réside dans une combinaison de logique et de beauté que seule la nature peut créer :  » l’essentialisme organique  » et un design écrémé,  » fat free « , comme il se plaît à le répéter. En découle une singulière philosophie d’humanisme high-tech mue par l’amour de la forme, de l’économie verte et des solutions durables, plutôt bien résumée par l’acronyme ADN : Art, Design, Nature. Avec un coup de pouce des nouvelles technologies, il s’inspire des merveilles de la biologie, modélise cellules, zooplancton ou tissus osseux, structures végétales et figures fractales. Et ce sans jamais tomber dans l’exercice de style, tout le contraire des avatars boursouflés de la blobitecture qu’il méprise cordialement.

Aujourd’hui, Ross Lovegrove assume son statut de légende vivante en parfait gentleman et s’amuse de son surnom, Captain Organic, qu’il revendique toutefois avec une certaine fierté. Il reste ce génie visionnaire susceptible de captiver un auditoire en décrivant la conception d’une bouteille en plastique. Et un infatigable touche-à-tout, courtisé par les plus grandes marques et éditeurs – Kartell, Cappellini, Moroso, Vitra, la liste n’en finit pas. Particulièrement préoccupés par les enjeux de mobilité – il bosse pour Airbus, British Airways ou Japan Airlines, dessine voitures, vélos, soucoupes volantes ou bateaux -, il nous avait présenté une allégorie automobile lors de la dernière Biennale de Courtrai. On l’a retrouvé en training et baskets, posant près de son prototype Twin’Z pour Renault, en marge du Salon de Milan, au printemps dernier. Et nous l’avons revu cet automne, à Paris, sabrant le champagne avec un sabre de sa conception, pour G.H. Mumm (en photo, la maquette du projet). Workaholic notoire, il s’efforce de maintenir l’équilibre entre projets commerciaux et personnels, les copieuses royalties des premiers finançant les coûteuses recherches des seconds. Incroyable mix de musée d’histoire naturelle et de labo spatial, son Studio X de Notting Hill tient moins du bureau de designer que du décor de science-fiction. Comme un avant-goût du futur, où naissent des projets qui malgré les idées brillantes, les honneurs et les prix, peinent parfois à convaincre les pontes de l’industrie. Pas de quoi saper l’optimisme du vétéran Lovegrove, toujours prêt à enfiler son costume de Captain Organic pour nous emmener vers un avenir qu’il a en partie dessiné.

PAR MATHIEU NGUYEN

Pour lui, la forme doit d’abord suivre l’émotion.

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