Trois consonnes et deux voyelles, c’est le prénom de … Carla. Quatre ans après l’enivrant  » Quelqu’un m’a dit « , l’ex-top model remet son titre en jeu avec un nouvel album,  » No promises « . De cette aventure poétique, mais aussi de ses tourments et de la mode, elle s’est confiée à Weekend au fil d’un émouvant tête-à-tête. Une rencontre qui a tenu … toutes ses promesses.

Elle déboule de l’ascenseur précédée d’un halo scintillant. La marque visible du charisme. L’onde magnétique parcourt la pièce et vous caresse l’échine. A peine le temps de reprendre ses esprits que Carla Bruni vous tend déjà une main ferme et vous plante un regard plein de malice dans vos yeux éblouis. Pas de suffisance dans cette théâtralité, juste un tempérament bien trempé. Sous lequel couvent néanmoins les cendres mal éteintes d’une souffrance ancestrale. Mais ce n’est que plus tard qu’on en prendra conscience. Ou plus exactement, qu’elle nous en fera prendre conscience au gré des confidences.

Car pour l’heure, c’est avec une nonchalance toute juvénile qu’elle abandonne sur un divan sa veste en fausse fourrure, comme si elle laissait au vestiaire l’ombre d’elle-même. En trois pas virevoltants, la voilà au seuil de la pièce de l’hôtel où elle nous  » reçoit « . On aurait rêvé alcôve plus romantique. Les murs sont nus. Qu’importe, ses mots colorés les habilleront. Car le verbe est son royaume. Carla Bruni aime autant parler que chanter. Comme si exprimer sa pensée lui permettait d’en apaiser un peu la douleur.

La parole comme antidote aux tourments de l’âme. Un ressort que l’on retrouvait déjà en filigrane du très autobiographique  » Quelqu’un m’a dit « , ce premier album lumineux et piquant qui l’a propulsée d’entrée de jeu dans la cour des grands de la chanson. Et qui n’a pas quitté depuis la pile des disques à usage intensif.

C’est dire si on attendait la suite, ce  » No promises  » plein de promesses. On a pu y jeter une oreille avant cette rencontre. Le même feulement, la même ambiance intimiste, mais le tout en anglais cette fois-ci, et avec des textes tirés du répertoire poétique anglo-saxon. De sa voix lunaire, secondée avec brio par les arrangements millimétrés de son comparse Louis Bertignac, elle fait revivre Yeates, Dickinson, Auden. Ses murmures éraillés, abreuvés au blues, au jazz, voire à la country, donnent à ces textes profonds, comme un puits la nuit, une saveur hors-du-temps. En évoquant les saisons, les amours impossibles, Carla Bruni passe simplement du particulier au général. Sans vraiment changer de registre puisque ses états d’âme étaient déjà universels …

Elle allume une de ces cigarettes aussi fines que sa taille, nous remercie de lui accorder du temps et de l’intérêt, avant de nous emmener avec un plaisir gourmand sur les sentiers escarpés de son monde intérieur …

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi des poèmes d’auteurs anglo-saxons plutôt que vos textes ?

Carla Bruni : C’est arrivé un peu par hasard. J’essayais d’écrire de nouvelles chansons en français et je n’y arrivais pas. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que j’ai été bloquée par le succès de mon premier album. Du coup, je me suis dit que j’allais essayer en anglais, langue que j’utilisais pour mes premiers morceaux comme tous les songwriters débutants. Comme je me trouvais un peu médiocre, j’ai acheté des anthologies de poésie en langue anglaise pour trouver l’inspiration. J’ai tout lu depuis le xve siècle. Quand je suis arrivé au xixe, j’ai eu l’impression que toutes les deux pages, il y avait une chanson. J’ai dit à mon copain :  » Regarde, Raphaël, ces poèmes ressemblent à des chansons. Ils sont romantiques, ils répètent des phrases, on dirait des ritournelles.  » Il ne restait plus qu’à mettre de la musique dessus et je me suis retrouvée avec un disque.

Autant votre premier album était autobiographique, autant celui-ci aborde des thèmes plus universels, plus éthérés. N’est-ce pas une manière de vous mettre à distance de vous-même ?

Oui, peut-être. Mais la chose la plus importante à mes yeux, ce n’est pas le texte, ce n’est pas la musique, ce n’est pas la voix, c’est de faire une chanson dans son ensemble. J’aime faire des chansons avec Julien Clerc parce que j’apprécie sa musique et sa voix. C’est un tout. J’aime faire ce petit objet en y mettant une parcelle de moi-même. Un peu comme quand on était petit et qu’on faisait un cendrier pour la fête des mères. C’est comme ça que je fais mes chansons.

Ne craignez-vous pas que le public francophone passe à côté du sens des poèmes ?

Cela me désole par rapport à une éventuelle attente qu’il aurait mais j’ai moi-même écouté des chansons pendant des années sans en comprendre toutes les subtilités. Ce qui ne veut pas dire que leur sens n’a pas d’importance. J’aurais aimé avoir écrit ces poèmes. Cela dit, je pense que la musicalité d’un poème suffit à susciter une émotion. C’est d’ailleurs un réflexe très francophone de vouloir comprendre le sens des chansons. J’ai chanté pendant des années les Beatles, les Stones ou Dylan sans rien comprendre de ce que je disais. Je chantais en phonétique (sur ce, elle fredonne  » close your eyes and I’ll kiss you …  » des Beatles et parodie Dylan). Mon amour de la musique est né comme ça.

Vos références se situent souvent dans le passé, plus ou moins lointain. Le présent manque-t-il de saveur ?

Non. Je trouve simplement les artistes du passé meilleurs. Il y a des artistes merveilleux aujourd’hui, comme Anthony and the Johnsons ou Camille, que l’on peut comparer à Brassens. Ce sont des gens à découvrir, mais ils ne m’ont pas  » imprimée  » comme les mecs qui m’ont marquée dans ma jeunesse. Ceux-là, j’ai un plaisir fou à les réécouter. Ils ont façonné mon goût. Tout ce que font les artistes actuels, on le retrouve déjà chez Dylan ou dans les vieux Clash.

A quelle époque auriez-vous souhaité vivre ? Au xixe siècle ?

Non. Le xixe siècle était trop dur pour les femmes. On avait encore le corset, on ne pouvait pas voter et on devait choisir entre être une artiste ou être une femme. A choisir, j’aurais préféré vivre dans les années 1960. Ou en tout cas dans l’après-guerre, période de liberté et de créativité intense. Cela dit, je suis contente d’être une femme de mon siècle. A de nombreuses autres époques, je n’aurais même pas pu vous parler …

Éprouvez-vous plus de plaisir à chanter les textes des autres ou à entendre quelqu’un d’autre chanter vos textes ?

J’ai un plaisir équivalent mais très différent dans les deux cas. J’aime beaucoup entendre quelqu’un d’autre chanter mes textes. Pour moi, c’est la reconnaissance absolue, même quand l’interprète transforme tout. Mais j’aime aussi beaucoup chanter les textes des autres. Ou mettre des textes à moi sur les musiques des autres. En réalité, j’aime toutes les composantes d’une chanson. Comme pour mes sources d’inspiration, qui sont très éclectiques, je ne me prive pas dans la facture d’une chanson. Si j’ai envie de mettre un petit texte sur une musique de Chopin, je le fais.

Vous êtes un personnage public et en même temps on sent chez vous un côté pudique, presque timide …

Au-delà d’un certain niveau de timidité, la vie devient une bataille contre ce handicap. Quand on est aussi timide que je le suis et qu’on se retrouve sur scène, ça en devient drôle. Et c’est là qu’on se dit que cette timidité a été le moteur créatif de toute sa vie. C’est pareil pour la pudeur et la notoriété. J’ai besoin d’être reconnue, j’ai envie d’être reconnue malgré ma pudeur naturelle. Car c’est une façon de donner un sens à ma vie, à ce que je suis.

La notoriété vous rassure-t-elle ?

Oui. Je l’aime comme j’aime recevoir une caresse ou un compliment. Ce qui ne m’empêche pas d’être pudique. Je trouve qu’on a les pudeurs qu’on désire. Et contrairement à ce qu’on pense souvent, la presse respecte ça. Les journalistes sont des gens comme moi. Ils font leur boulot. Je ne me sens jamais violée par la presse. Même quand on raconte des sornettes.

Cela ne vous agace-t-il pas ?

Non. A partir du moment où on fait un métier qui passe par le prisme de l’image, les choses vous échappent. Il ne faut pas croire qu’on puisse dealer avec l’image et tout contrôler. C’est faux. On peut par contre choisir de ne pas faire d’image parce que cette exposition médiatique vous déchire, vous angoisse. Je peux décider de ne pas distribuer mon disque dans le monde entier. Et même tout simplement de ne pas faire de disque du tout. Mais je n’ai pas de problème avec mon image parce que depuis que je suis mannequin, je sais que cette dimension vous échappe quoi que vous fassiez. Si l’on accepte cette idée, on vit beaucoup mieux. Et puis, comme disait Winston Churchill :  » Pourvu qu’on en parle, qu’on en parle bien ou qu’on en parle mal.  »

Êtes-vous sensible aux critiques ?

Certaines personnes ne vous aiment pas ou n’aiment pas ce que vous faites. C’est normal. C’est leur droit. Et c’est leur droit de l’écrire. Cela s’appelle la démocratie. Je pense que la liberté de la presse répare toujours plus d’injustices qu’elle n’en commet.

Votre rapport au corps a-t-il changé depuis que vous n’êtes plus mannequin ?

Oui. Je suis beaucoup moins sous pression. A l’époque, on me payait cher pour avoir une belle peau et un physique irréprochable. Aujourd’hui, je me suis détachée de mon apparence. Car ce que je donne aujourd’hui, je peux le donner avec un bouton sur la joue ou en ayant l’air fatiguée. La musique se fout du physique, même si la voix a un lien avec le physique, mais dans ce cas, il s’agit du physique de l’âme …

Quel regard portez-vous sur la mode aujourd’hui ?

Elle m’éblouit toujours. Je suis contente d’en être sortie mais elle m’éblouit en temps que femme. La mode, c’est du rêve, de la beauté. Je ne suis pourtant pas une fashion victim. Je porte plutôt des vêtements confortables et un rien sexys, genre tee-shirts et pantalons. Mais ce que j’aime dans la mode, c’est sa capacité à réinventer en permanence le passé. Et puis, quand on pense que des dizaines de personnes travaillent pour une seconde, je trouve ça merveilleux. Cela me fait penser à la danse classique. Des heures d’exercices pour s’envoler sur scène en créant l’illusion que c’est facile à faire.

Vous êtes belle, intelligente, aimée … Que vous manque-t-il ?

Il me manque beaucoup de choses. Vous savez, je ne suis pas quelqu’un de très équilibré. Je dois par exemple toujours me contrôler pour ne pas picoler toute la journée. Je ne bois pas beaucoup mais j’ai quand même besoin de mes deux bières tous les soirs. Sinon je n’arrive pas à calmer cette flamme qui brûle en moi depuis que je suis petite. J’ai un fond désespéré qui fait qu’il me manquera toujours quelque chose, quelque chose qui ne se voit pas. Mais en même temps, c’est sans doute aussi dans cette part d’ombre que je puise mon inspiration …

D’où vous vient ce fond désespéré ?

Du fait que le sens de ma vie m’échappe. Je sais que ça peut paraître blablateux, on imagine que je vis dans le luxe, que j’ai plein d’argent, et donc peu de raisons de me plaindre. C’est vrai, je suis une privilégiée, et je fais le métier que j’aime. Mais il y a des déchirures dans la vie que je n’arrive pas à surmonter. Cet été, mon frère est mort et pour moi, c’est quelque chose d’indépassable. On n’échappe pas au malheur. Personne. Ni les riches, ni les pauvres, ni les beaux, ni les laids.

La chanson, est-ce un peu une forme de thérapie ?

C’est plutôt une forme d’expression. Pour la thérapie, ce que je fais, c’est la thérapie (rires). Forme de thérapie, ça ne veut pas dire grand-chose. Une thérapie, il faut y aller, il faut payer, il faut parler. Les chansons donnent par contre un sens à ce que je vis. Les chansons de mon nouvel album traduisent bien ce sentiment :  » La vie n’est rien mais elle est tout.  »

CD  » No promises « , chez Naïve. Sortie ce 15 janvier.

Propos recueillis parLaurent Raphaël

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