Après Beaubourg ou le Victoria and Albert Museum, c’est au tour du Louvre et de la Tate Modern d’accueillir des défilés de mode. Cimaises et catwalk : un mariage chic et éphémère qui a la cote.

Faire défiler des mannequins dans des musées de prestige ? L’idée n’est pas neuve mais elle gagne du terrain dans l’esprit des couturiers.  » Quand vous travaillez pendant trois ans sur une collection et que tout se joue en douze minutes, rien ne doit être laissé au hasard, résume un organisateur. L’adresse doit étonner, le décor doit détonner.  » Prenez Bouchra Jarrar, nouvelle étoile montante parisienne de la haute couture. Pour ses deux dernières collections, la créatrice a choisi l’envoûtant musée Bourdelle à Montparnasse. Il faut oser ici se mesurer aux sculptures monumentales d’Héraclès et autres centaures bodybuildés qui peuplent l’endroit… Un rapport de force qui n’a pourtant pas effrayé la jeune femme. On peut même avancer que la discrète couleur sable de la gigantesque galerie des plâtres, laissée en l’état, a dû la séduire, elle qui excelle dans le beige claro et les demi-teintes.

Avant Bouchra Jarrar, il y a eu ici d’autres défilés de haut vol. Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Comme des Garçons – à trois reprises – ou Riccardo Tisci pour Givenchy…  » Lui, il avait pris le parti de disséminer les mannequins un peu partout mais de manière statique : c’est le public qui se déplaçait, se souvient Mercedes San Martin, secrétaire générale du musée. Le plus ardu ce n’est pas le défilé mais la gestion du backstage.  » Mais à force d’héberger les stars de la Fashion Week parisienne, Bourdelle ne devient-il pas un site événementiel qui brouille les cartes et l’éloigne de sa mission première ?  » Les défilés restent une activité très secondaire dans notre calendrier, tempère la secrétaire générale. Nous choisissons méticuleusement les demandes. Il faut que le travail du styliste soit en résonance avec le lieu, il faut en respecter l’esprit et l’âme. Un musée n’est pas un espace comme un autre. Il y a la fragilité des £uvres, on ne peut pas les déplacer n’importe où et n’importe comment. Certaines pièces sont purement et simplement intransportables. Alors il faut trouver des solutions de mise à distance pour garder un périmètre de sécurité.  » Le danger vient aussi parfois de l’extérieur. Comme ces manifestants anti-fourrure protestant à la sortie du même musée, un soir de défilé, et qui faillirent en venir aux mains… Un happening dont l’institution se serait bien passée. Même crispation en mars 2011 aux abords du très respectable Musée Rodin, ceinturés par la police, lorsque Dior y présenta son show en pleine  » affaire Galliano « …

Les partenariats avec les maisons de couture profitent autant aux musées qu’aux créateurs. Personne n’a oublié les adieux d’Yves Saint Laurent en 2002 à Beaubourg. Un défilé d’anthologie de 200 mannequins et 2 000 invités du monde entier triés sur le volet. Si l’ultime révérence du maître est dans toutes les mémoires, le célèbre paquebot de Renzo Piano et Richard Rogers a gagné encore un peu plus en prestige. Mais disposer de lieux patrimoniaux d’exception ne suffit pas toujours aux créateurs. Ils veulent surprendre, détourner, remodeler le décor pour le faire renaître à leur image. Pour marquer les esprits, les concepteurs des défilés ne reculent devant rien. On connaît le sens de la démesure de Karl Lagerfeld, directeur artistique de Chanel, qui transforma la nef du Grand Palais en banquise géante ou en palais de maharaja. Alexandre de Betak, le producteur et scénographe que tout le milieu s’arrache, n’hésite pas pour le défilé Mango, en mai 2011, à repeindre de lumière l’intégralité des  » tuyaux  » de Beaubourg d’un bleu électrique. Le show lui, se déroula au dernier étage, dans le long tube qui surplombe les toits de Paris. Effet garanti.

Certains navires amiraux de la culture ont pourtant longtemps refusé de faire le jeu du défilé en dépit des revenus que génère la location de leurs espaces (3 % des ressources propres pour Beaubourg). C’est le cas de la Tate Modern Gallery, à Londres. S’offrir la Turbine, son hall central, son architecture minimaliste : les stylistes en rêvaient. Sans trop y croire. Mais en 2011, l’administration change de position et autorise pour la première fois la présentation live de la collection du Britannique Matthew Williamson. Autre revirement de situation avec le plus grand musée de France… Souvent sollicité, Le Louvre pensait avoir trouvé la parade dans les années 90 en construisant, spécialement pour les défilés, le Caroussel du Louvre. Mais nichée dans un passage en sous-sol, l’adresse n’a jamais séduit. Elle a fini par être désertée par les créateurs, invités à se replier dans les tentes dressées dans la Cour carrée. Et puis arriva Ferragamo. Jamais les mannequins n’avaient eu le privilège de fouler le sol des salles historiques de l’ancien palais royal jusqu’à ce que la maison milanaise pose le podium au c£ur de la galerie Denon, en juin dernier, pour sa collection Croisière. En tant que premier mécène d’une exposition consacrée à Léonard de Vinci sous la Pyramide, le groupe italien avait quelques arguments de poids pour lever l’interdiction…

Les temps changent pour les temples de l’art même si les conservateurs sont encore rares à vouloir donner ses lettres de noblesse au catwalk.  » Comment le MoMA a-t-il pu s’associer avec une marque de jeans et de beachwear pour ados ?  » s’interroge quant à lui un styliste à propos d’un showcase promotionnel organisé par une populaire marque de vêtements transalpine dans le sanctuaire de l’art moderne de la 5e Avenue… Frank Lloyd Wright, l’architecte du fameux musée hélicoïdal d’Upper East Side, en avalerait-il son célèbre chapeau à bord plat ? À voir.  » Si ça se vend, c’est de l’art !  » avait-il pour habitude de dire. Les puristes se consolent heureusement avec le Victoria and Albert Museum à Londres, probablement le seul lieu du genre à revendiquer sans faux-semblants une programmation ambitieuse autour des défilés de mode. Sous le nom de Fashion in Motion, le V&A offre depuis la fin des années 90 une carte blanche aux grands noms de la couture – Alexander McQueen, Christian Lacroix… – et à leurs acteurs notoires comme Olivier Saillard, historien et scénographe. London fashion calling ?

PAR ANTOINE MORENO

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