Contre toute attente, la vénérable veste en coton huilé Barbour s’offre une cure de jeunesse sur le dos des branchés. Un phénomène emblématique du revival des marques dites  » Heritage « . Visite à Newcastle, berceau de la sémillante vieille dame.

Jean Kershaw est ce qu’on appelle un personnage. Depuis vingt-huit ans, cette dame à l’énergie hautement communicative enfile son tablier, se penche sur le cas des patients, pose un diagnostic et tente de résoudre leur problème avec son équipe. Jean Kershaw est infirmière en chef dans une clinique d’un genre unique au monde où les malades ne se plaignent pas, se laissent opérer sans anesthésie et ne meurent jamais. Jean Kershaw est responsable du Customer Service des ateliers Barbour, à South Shields, petite bourgade portuaire de la banlieue industrieuse de Newcastle, où 120 personnes produisent encore chaque semaine 3 000 exemplaires des fameuses vestes en coton huilé.

 » Les Barbour blessées arrivent du monde entier, parfois dans un piteux état, nous explique la couturière. On tente vraiment l’impossible pour leur redonner vie selon les souhaits de leur propriétaire.  » Cols en velours attaqués par un chiot, parkas défigurées par un fil barbelé ou – My Gosh, quelle hérésie – Barbour passées à la machine à laver, chaque pièce a son traitement approprié. Le plus commun étant le  » rewaxage  » afin de redonner des couleurs et raviver la fonction déperlante de ces vêtements mis au point dès 1894 pour les marins et les dockers par John Barbour, modeste représentant en tissus originaire d’Écosse. La société est encore familiale, dirigée par Dame Margaret et sa fille Helen, cinquième génération du nom.

 » La plus ancienne pièce qu’on ait reçue date de 1910, explique Jean Kershaw. Elle était passée de génération en génération. Elle fait désormais partie de nos archives. Et chacune a son histoire. Chacune pourrait presque constituer la base d’un roman. On en apprend du reste beaucoup sur nos clients d’après ce qu’ils oublient dans leurs poches.  » Florilège ? Des douilles de fusil, des couteaux, des livres sterling, des cartes à jouer, des préservatifs et même… des dents en céramique y ont été retrouvés. On raconte par ailleurs que la Reine d’Angleterre en personne fit un jour envoyer sa Barbour très usée au service après-vente mais qu’elle préféra récupérer son originale plutôt que l’exemplaire flambant neuf qu’on lui proposa respectueusement en échange. Des anecdotes du même tonneau, Jean Kershaw en possède des tonnes. Par-delà leur saveur, elles disent particulièrement bien l’attachement suscité par cette griffe du patrimoine vestimentaire british – elle est une des rares entreprises britanniques à bénéficier de trois brevets royaux, celui du duc d’Édimbourg, du prince de Galles et last but not least de Sa Très Gracieuse Majesté.

FROM THE HUNTER TO THE HIPSTER

Un attachement qui ne concerne plus seulement hobereaux du countryside, abonnés au bouquet Chasse & Pêche et autres tribus de BCBG à jumelles du Zwin. Mais opère désormais dans les quartiers branchés des capitales européennes. Et mieux encore : trouve un relais médiatique stylé grâce à des personnalités pop et trendy de la trempe de Lily Allen, Rufus Wainwright et Alex Turner, le chanteur des Arctic Monkeys, qui firent de l’édition 2007 du festival de Glastonbury une pub en or pour Barbour en l’arborant chacun sur scène, sans que la marque leur demande un penny étant donné que, tradition maison, elle n’a jamais fait appel à aucune égérie pour vanter les mérites de son produit. Le buzz fut énorme.

Ce sursaut de coolitude plutôt inattendu est en réalité à mettre sur le compte d’un phénomène plus global qui touche la planète fashion depuis moins de dix ans maintenant et s’est particulièrement accentué ces dernières saisons. Sous l’effet de la crise, de plus en plus de consommateurs se tournent en effet vers des produits respirant l’authenticité, cherchent un label de qualité pérenne, une assurance savoir-faire. Du durable. Woolrich, Carhartt, Schott, Pringle of Scotland ou encore Burberry Prorsum dans le rayon du prêt-à-porter de luxe : autant de marques pour la plupart sorties du workwear et de l’outdoor qui profitent du succès actuel de la tendance dite  » Heritage  » auprès d’une clientèle prescriptrice de modes.

Flèche supplémentaire à l’arc de Barbour, elle est un classique du vestiaire des Sloane Rangers (équivalent britannique de la tribu évoluant chez nous sur un axe Lasne-Knokke) et se situe donc précisément à la pointe du retour en grâce du style bourge-minet (preppy, comme disent les fashionistas). Les temples de la branchitude, Colette à Paris et Opening Ceremony à New York, l’ont bien compris, qui proposent le label sur leurs portants depuis trois ans maintenant.

Une griffe qui de son côté n’a pas manqué de saisir cette occasion inespérée de se refaire une image en infiltrant la cour des hipsters. En 2009, la Beacon Heritage, une nouvelle collection capsule d’esprit radicalement plus jeune, voit le jour sous le crayon du styliste japonais Tokihito Yoshida qui revisite les archives de la maison et leur donne un sacré twist sportswear et créateur. À la manière du New-Yorkais Adam Kimmel pour les vêtements US Carhartt, d’Alistair Carr, nommé directeur artistique du prêt-à-porter de la maison séculaire de tweed Pringle of Scotland afin de lui donner un kick fashion, ou encore de l’Américain Mark McNairy qui conçoit depuis deux saisons une gamme premium hyper désirable chez Woolrich sous le nom de Woolen Mills.

C’est évident, chez Barbour aussi, un virage a été amorcé. En 2010, à Londres, elle ouvre un premier flagship store avant New York, en plein Soho, ou encore Berlin, dans le quartier de Mitte. Cet automne-hiver 12-13, une star de la mode dont le nom est encore tenu secret dessinera une ligne en édition limitée pour la marque. Et il n’est pas exclu qu’elle trouve le chemin des podiums dans les années à venir. Même si l’on se garde bien d’entretenir l’image traditionnelle auprès des plus fidèles clients, en parallèle les initiatives dédiées à un repositionnement sur le terrain d’un lifestyle pointu se multiplient. Aux manettes, on trouve un certain Gary Burnand, nommé directeur du marketing mondial après avoir fait ses preuves pour le spécialiste du denim américain Wrangler.

FROM THE QUEEN TO STEVE MCQUEEN

Sous son impulsion, Barbour est aujourd’hui occupée à élargir encore un peu plus sa force de frappe. En 2011, la marque profite du 75e anniversaire du modèle International (une combinaison inventée en 1936 par Duncan Barbour, petit-fils de John, à destination des motards) pour réactiver un imaginaire viril qu’elle avait un peu perdu. Cadeau de la Providence : il se fait que l’acteur Steve McQueen, amateur averti de moto et icône ultime de la coolitude vintage déjà abondamment utilisé par la com’ des montres Tag Heuer ou des lunettes Persol, était un aficionado de l’International, qu’il porta la première fois en 1964 lors de l’International Six Days Trial, une course restée mythique. Du coup, le modèle est aujourd’hui réédité et sert de prétexte à la confection d’une collection entière baptisée The Steve McQueen Collection.  » Dans les années 60, l’association avec le monde des bikers était encore évidente, remarque Gary Burnand. Cela fait réellement partie de notre ADN. Il faut être honnête avec notre héritage, ce serait stupide d’inventer des histoires. Les clients veulent de l’authenticité. C’est une règle à laquelle nous ne dérogerons pas.  » La Reine pourrait brandir son brevet.

PAR BAUDOUIN GALLER

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