Chasse aux trésors

Maison Caussin à Dinant © NICOLAS BOMAL

Quand on parle architecture moderne et contemporaine, on ne pense pas aux provinces de Namur et de Luxembourg. Pourtant, un bouquin recense 452 édifices pour nous convaincre que ces territoires comptent aussi en la matière. Focus sur une somme précieuse et des perles constructives qu’on s’empressera d’aller voir dès qu’on pourra reflâner dans nos villes et campagnes.

Lorsqu’il est question d’oeuvres emblématiques de l’architecture moderne et contemporaine en Belgique francophone, l’amateur éclairé se tourne habituellement vers les villes consacrées par la doxa, comme Bruxelles ou la Cité ardente. Namur ? Avec sa réputation de Belle endormie, la cité au confluent de la Meuse et de la Sambre n’agite pas les passionnés du compas. Pour preuve, ce n’est qu’après Charleroi, Tournai, Mons et Liège que la Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en partenariat scientifique avec l’UCLouvain, lui consacre aujourd’hui un opus de quelque… 500 pages. Ce véritable Bottin, riche d’un patrimoine ignoré, ne s’arrête pas à la capitale wallonne, il embrasse tout le Namurois, ainsi que la province du Luxembourg. Le tout pour un territoire de plus de 8000 km2, à la densité de population plus faible qu’ailleurs, qui réserve de belles surprises au passionné, qu’il s’agisse d’abris forestiers, de bâtiments monumentaux ou encore de projets aussi inattendus qu’un… carwash. Thomas Moor, historien et codirecteur de la collection, ne cache pas son enthousiasme :  » Cet ouvrage est le résultat de trois années de travail, de plus de 15 000 km parcourus par le photographe Nicolas Bomal et des contributions de 50 auteurs. Une compilation qui s’étend sur une période de 1893 à 2020 en regroupant 452 réalisations à travers 68 villes et communes. Au bout du compte, il offre un regard totalement différent sur ce corpus vernaculaire dont il est temps de réaliser la valeur patrimoniale trop longtemps négligée.  »

Musée lapidaire de Montauban-sous-Buzenol
Musée lapidaire de Montauban-sous-Buzenol© NICOLAS BOMAL

A ses côtés, Cécile Vandernoot, architecte et caution scientifique de la parution, confirme la spécificité de l’écriture architecturale sous ces latitudes :  » Il y a une ligne de force toute particulière qui se dégage du bâti identifié dans les deux entités provinciales. C’est un axe éminemment contemporain et pourtant, il est ici à l’oeuvre depuis la fin du XIXe siècle. Je pense à l’inscription dans le paysage. Il est toujours question de respect, notamment en utilisant des matériaux très souvent locaux pour ce qu’ils sont, et de modestie par rapport au cadre dans lequel une réalisation prend place.  » Les grandes signatures de cette architecture au bon sens visionnaire ? Edouard Frankinet, Georges Hobé, Roger Bastin ou encore Lucien Kroll. Autant de noms prestigieux qui – là aussi l’approche est avant-gardiste – n’ont pas hésité pas à embarquer des artistes dans leurs projets. En guise d’illustration, on se reportera à la couverture de l’ouvrage qui rappelle la très belle collaboration entre le peintre Louis-Marie Londot et le bâtisseur Georges Hobé à la faveur d’un somptueux vitrail de l’église Saint-Maximin à Jéhonville.

Guide architecture moderne et contemporaine 1893-2020 Namur & Luxembourg provinces, Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

1. Maison Caussin à Dinant

 » On ne suspecte pas forcément la présence d’une telle demeure Art nouveau à Dinant « , fait remarquer Thomas Moor. On doit cette habitation unifamiliale à l’architecte Edouard Frankinet (Theux, 1877-1937). Cet indéniable talent fut un ami proche du peintre (et architecte) Paul Cauchie auquel il fit d’ailleurs appel pour réaliser un remarquable sgraffite symboliste logé entre la corniche et l’arc de la baie sculptée (à gauche du bâtiment). Située au numéro 33 du boulevard Sasserath, cette maison datant de 1910 résulte de la transformation d’un immeuble du début du XIXe siècle. On ne peut que s’extasier devant cette reconversion impeccable qui témoigne des premiers pas du Modern Style dans la ville d’Adolphe Sax.

Église Saint-Pierre à Biesmerée
Église Saint-Pierre à Biesmerée© NICOLAS BOMAL

2. Musée lapidaire de Montauban-sous-Buzenol

 » Je suis totalement admirative devant cette construction sans eau, ni électricité, explique Cécile Vandernoot. Sa simplicité enfonce le clou de ce que j’ai souligné par ailleurs, c’est-à-dire de la capacité de ces réalisations à s’inscrire dans le paysage. Il s’agit d’une sorte de vitrine, un bâtiment dans lequel le visiteur ne pénètre pas. Il faut se contenter d’en faire le tour.  » Le Musée lapidaire a été construit à l’endroit même où a été découverte la fameuse Moissonneuse des Trévires, décrite par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle. Ce petit bijou dessiné par Constantin Brodzki (Rome, 1924), en 1960, possède de jolies lettres de noblesse : il a été retenu comme seule réalisation belge au sein de l’exposition Architecture of Museums, au MoMA, en 1968.

Bibliothèque universitaire Moretus Plantin (BUMP) à Namur
Bibliothèque universitaire Moretus Plantin (BUMP) à Namur© CHRISTINE BASTIN & JACQUES EVRARD

3. Église Saint-Pierre à Biesmerée

Plusieurs églises émaillent le guide. Leur présence rend compte d’un vaste mouvement de reconstruction des lieux cultuels au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Nombre de ces chantiers épatants ont été initiés par le chanoine André Lanotte, un licencié en histoire de l’art devenu prêtre en 1940.  » Sur les cendres d’un édifice néogothique, Lucien Kroll (Bruxelles, 1927) et son épouse paysagiste Simone (France, 1928) ont imaginé une construction dénuée de tour. Ce geste fort a résulté d’une démarche menée en collaboration avec une population locale plutôt méfiante vis-à-vis de l’autorité ecclésiastique. Dès lors, le bâti a trouvé tout naturellement sa place dans le village « , explique Cécile Vandernoot. Quand l’architecture se fait participative.

4. Bibliothèque universitaire Moretus Plantin (BUMP) à Namur

Le nom de l’architecte Roger Bastin (Namur, 1913-1986) est intimement lié à l’Université de Namur. Thomas Moor détaille :  » Si l’extérieur du site peut sembler austère, la volumétrie qui est déployée s’avère exemplaire. Il faut également noter l’usage du béton sous toutes ses formes. Un vrai chef-d’oeuvre dont l’on se doit d’admirer le travail exceptionnel sur la lumière. Réalisée entre 1970 et 1979, la bibliothèque Moretus Plantin constitue un temps fort de cette réalisation. Je suis bluffé par la façon dont les étudiants se sont approprié l’endroit. J’en veux pour preuve que l’acronyme du lieu, Bump, est devenu une expression passée dans le langage universitaire courant :  » bumper  » signifie aller étudier sur place.  »

Mirador Les Huttes à Nassogne
Mirador Les Huttes à Nassogne© THOMASFAES

5. Mirador Les Huttes à Nassogne

Cet équipement forestier achevé en 2008 porte la patte de l’architecte Daniel Dethier (Waimes, 1956). Son caractère récent n’entre pas en opposition avec les forces qui traversent l’art de bâtir dans les provinces de Namur et du Luxembourg. Il s’agit d’une passerelle d’observation, en forme de rampe de lancement ouverte sur la nature et le gibier qui l’arpente, qui se fond complètement dans le paysage. Cette intégration exemplaire résulte également d’une structure conçue en pin douglas. Autre point fort : l’ensemble en bois a été préfabriqué en atelier et monté sur place en… une semaine, une vraie performance en termes d’incidence sur le milieu naturel. A l’inverse, le mirador peut être démonté tout aussi facilement. Comme s’il n’avait jamais existé.

Espace Winson à Fosses-la-Ville
Espace Winson à Fosses-la-Ville© MARIE-NOËLLE DAILLY

6. Espace Winson à Fosses-la-Ville

 » Ce bâtiment qui rassemble les services communaux de Fosses, son CPAS et le centre culturel, autant de lieux autrefois éclatés, est une indéniable réussite. C’est tout autant un geste architectural, dont il faut souligner le peu d’impact au sol, qu’une simplification opérée à même la vie administrative des citoyens et une lecture pertinente du paysage « , fait remarquer Thomas Moor. Construit entre 2012 et 2018, cet hôtel de ville, qui mise sur l’ouverture et la transparence, a été conçu par le bureau Réservoir A. La cerise formelle sur le gâteau ? Sans hésiter : la résille de bois, en chêne local, imaginée par l’artiste Patrick Everaert pour habiller le pan suspendu de la construction.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content