Il a beau être la coqueluche du tout-Paris, David Toutain reste fidèle au bon sens normand. Au moment de sortir son premier ouvrage, il livre trois recettes fulgurantes depuis la cuisine de son nouveau restaurant.

La récente starification des chefs n’est pas une vaine expression utilisée par quelques journaleux en panne d’inspiration. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le succès que rencontre David Toutain depuis qu’il a ouvert, en décembre dernier, son restaurant parisien, situé entre les Invalides et la Tour Eiffel. Pas un jour sans que le service ne soit complet, midi et soir. Les curieux affluent de partout : Etats-Unis, Japon, Grande-Bretagne… et Belgique.  » J’ai des chefs belges qui viennent se taper la cloche de 13 à 17 heures et puis qui prennent le train pour rentrer chez eux, ils se déplacent juste pour moi « , n’en revient pas l’intéressé. Pourtant, le cuisinier ne fait pas partie des grosses locomotives de la gastronomie, il relève plutôt de la catégorie  » jeunes auteurs « , antichambre des étoiles et de tout ce qui s’ensuit. Pas de doute, les foodies n’aiment rien tant que pouvoir dire  » j’y étais avant son macaron « . Du coup, Toutain est sous pression, même s’il a choisi de fermer son enseigne tous les week-ends.

Quand on le rencontre, vers 16 h 30, juste après le service de midi, l’homme est visiblement exténué. Des cernes entourent ses yeux et on le soupçonne de micro-siester malgré lui pendant l’entretien. Pour mener celui-ci à bien, il faut faire preuve d’un peu de patience. Une équipe télé est déjà sur place, emmenée par l’inénarrable Cyril Lignac. Champion de la tchatche, le natif de Rodez est en représentation, mais les dissonances remontent à la surface : malgré son physique de gendre idéal, son regard est ailleurs lorsqu’il sert la main. Le star-system qui auréole les chefs de gloire éphémère n’a pas que du bon, il peut avoir la vanité et le mépris pour dommages collatéraux.

CUISINIER HUMANISTE

Heureusement, David Toutain ne mange pas de ce pain-là. Né en 1981 et originaire de Normandie, l’homme n’a rien d’un chef frivole qui aurait enflé du melon. On avait déjà pu observer ses vraies qualités humaines à l’occasion d’une joute gastronomique au Danemark. Lors du Native Cooking Award, l’été dernier, Toutain avait emmené son pays vers la victoire avec beaucoup de panache et d’humanité. Il avait séduit tout le monde avec sa gentillesse naturelle et son sens du fair-play. On a longtemps pensé que la rengaine  » la cuisine, c’est de l’amour  » sonnait comme une mélodie entamée au pipeau. Aujourd’hui, après de nombreuses expériences, on a appris que générosité humble et cuisine de haut vol sont mystérieusement liées.

Telle est donc, sans doute, la raison première pour laquelle la gastronomie pratiquée par David Toutain convainc aussi facilement les amateurs. Bien sûr, cette humanité naturelle n’est pas le seul élément à verser à son dossier, ce petit-fils d’agriculteur faisant valoir un parcours exemplaire. Sa révélation, il l’a eue à moins de 20 ans, lors d’un stage au Manoir du Lys, dans sa région natale de l’Orne. Le Normand se rend alors compte que les valeurs de la cuisine – précision, rigueur, persévérance, créativité – sont justement les siennes. Il poursuit ensuite l’aventure chez Bernard Loiseau et à La Bourride, un double étoilé de Caen. En 2001, il entre comme commis à l’Arpège d’Alain Passard. Un an plus tard, il est second. Il le restera jusqu’en 2004… avant de rejoindre Marc Veyrat, à Megève et Annecy, jusqu’en 2008. En 2009, il décide de quitter la France, direction l’Espagne. Il officie une année entière chez Mugaritz, adresse phare située dans les contreforts du Pays basque, dont le chef, Andoni Luis Aduriz, est comparé à une sorte de Picasso de sa discipline.  » Mugaritz, c’était comme une symbiose de ce que j’avais appris à l’Arpège et dans les deux restaurants de Marc Veyrat. Andoni travaille le produit plutôt comme Alain Passard, mais avec une organisation plus proche de Marc Veyrat. Leur point commun à tous les trois est évident : ce sont des artistes. C’était pour moi une conclusion idéale d’une grande et belle partie de mon apprentissage « , commente David Toutain. Cerise sur le gâteau, c’est lors de ce séjour que le chef rencontre sa future femme, Thai, qui officie alors sous ses ordres. Aujourd’hui, elle s’est reconvertie dans la photographie culinaire. Après cet épisode hispanique, Toutain passe un an à New York avant de revenir à Paris, pour lancer l’Agapé Substance où il marque les esprits dans un espace de seulement 40 mètres carrés. Quasi expérimentale, cette table d’hôtes – signée en compagnie de Laurent Lapaire – ne connaît pas de rupture entre la salle et la cuisine. Pour le convive, jamais proximité avec le chef et son équipe n’a été aussi complète. A l’intérieur de ce bonzaï, Toutain cultive le minimalisme, opérant ses compositions une pince de chirurgien à la main. Un exemple digne de mémoire ? Un Emietté de tourteau, yuzu, pamplemousse et berce dont l’explosion gustative a durablement marqué les papilles.

CHEZ LUI

Après cette odyssée gastronomique est venu le temps pour David Toutain de poser ses valises plus durablement. Avant de le faire, il s’est offert une dernière tournée des grands ducs, une année nomade autour du globe à multiplier les repas à quatre mains. Les adresses de son périple ? Atera (New York), Meadowood (San Francisco), Kadeau (Copenhague), Jaan (Singapour), Brooks (Australie), L’Air du Temps (Belgique), Utsonomya (Japon)… De quoi s’imprégner des histoires et des savoir-faire. C’est désormais à Paris, dans le VIIe arrondissement, rue Surcouf, que David Toutain a pris ses quartiers. Il s’en explique aujourd’hui dans un livre-entretien qui raconte le making of de son installation (*). Le nom de cette nouvelle adresse : David Toutain, tout simplement, le chef ayant choisi de ne mettre aucun écran entre lui et le convive.

 » Je voulais la lumière, le bois et le béton « , se souvient-il. Cette grammaire formelle a été respectée à la lettre, même pour l’impératif de lumière naturelle, pas évidente à optimiser dans une grande ville. C’est sur une large baie vitrée que s’ouvre le lieu, directement suivi par un escalier de béton ciré qui mène à un espace privatisable, le Salon Ô. Le rez-de-chaussée est dominé par le bois, tables en chêne et lattes de noyer bardant des pans de mur. En pleine capitale, le tout vit, respire, comme un coin de campagne normande. Parmi les détails qui magnétisent l’oeil, on remarque une magnifique boîte de couteaux. Ils sont signés de la main du coutelier belge Antoine Van Loocke. David Toutain s’est laissé séduire par l’esthétique de la récupération de ce génie gantois (lire Le Vif Weekend du 10 mai 2013).  » Je l’ai appelé sur un coup de tête, on m’avait dit qu’il ne travaillait pas avec tout le monde… Le contact est bien passé. Il m’a demandé quand on pouvait se voir, j’ai dit demain matin. J’ai loué une voiture et le lendemain j’étais chez lui « , se souvient le chef.

Et la cuisine dans tout ça ? On l’a qualifiée de  » cérébrale « , relevant de la catégorie  » art et essai « . Le jugement irrite le principal concerné. D’autres parlent de  » nouvelle nouvelle cuisine « , un mot fourre-tout dont les contours sont trop vagues. La gastronomie de Toutain résulte avant tout d’un parcours. En ce sens, elle est à proprement parler  » existentialiste « , elle est évolutive et s’est créée au fur à mesure des rencontres et des hasards. Au départ, n’est pas l’idée mais bien l’action, le produit, matière première quasi sacrée pour Toutain. Le chef parvient à capturer un peu du  » zeitgeist  » – l’esprit de l’époque – dans ses compositions qui sans cesse se redessinent.  » Parfois, un client me dit : « Tiens, j’ai déjà mangé cela ailleurs » … C’est arrivé avec Sang-Hoon Degeimbre qui a travaillé avant moi l’huître et le kiwi. Cela ne me gêne pas du tout de pointer des évidences gustatives en compagnie de confrères d’un tel niveau « , précise le Français. L’improvisation occupe une grande place chez lui, c’est elle qui est à la base de son association anguille et sésame noir, un blockbuster témoignant de son talent. Pour autant, il reste humble et sait qu’il n’est qu’au début d’une aventure.  » Chaque jour, il nous faut apprivoiser le lieu, lui donner une âme… c’est notre tâche pour les mois qui viennent « , confie-t-il en guise de conclusion.

(*) La Cuisine de David Toutain, Argol Editions. En librairie le 3 avril prochain.

Restaurant David Toutain, 29, rue Surcouf, à 75007 Paris. Tél. : +33 1 45 50 11 10. www.davidtoutain.com

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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