Lecteur, il faut que vous sachiez le sacrifice que j’ai fait pour vous aujourd’hui : deux heures de métro à l’heure de pointe avec une crise d’allergie au pollen carabinée. Les yeux plein de larmes, le nez et les oreilles bouchées, des salves d’éternuements, des reniflements incessants. Tout cela pour me rendre au 104, un ancien entrepôt de pompes funèbres reconverti en centre d’art et situé au 104, rue d’Aubervilliers, à Paris XIXe ( www.104.fr). Cela étant dit, j’arrête de me plaindre car l’expédition en valait la peine.

Sous la verrière de ce lieu magistral trônait – grandeur nature – la reconstitution de la villa de Mon Oncle de Jacques Tati, éclairée comme au cinéma. Les allées de graviers multicolores – rose, turquoise, blanc, noir, jaune canari – comme dans un aquarium exotique. Le fauteuil à bascule sur la terrasse, le canapé vert haricot dans le salon immaculé, le miniparasol bleu, les verres à orangeade pour l’apéritif, les sièges de jardin avec leur petit coussin, la cuisine suréquipée et les pièces fonctionnelles  » où tout communique « , comme le précisait fièrement Madame Arpel dans le film. Même la rutilante Chevrolet Bel Air 1956 était sagement rangée dans le garage. Sortie tout droit de l’imagination de Tati en 1958, la villa Arpel singeait l’ordre petit-bourgeois et la modernité. Aujourd’hui, la moquerie est une icône, chaque accessoire, un modèle. Tout est juste, jusqu’au cendrier en poterie vernissée maronnasse coincé dans son tortillon de fer posé sur les dalles en linoléum.

Surnommé Tatillon, pour son obsession du détail, le père de Mr Hulot était aussi un visionnaire. Rien, et surtout pas son esprit, n’est démodé dans sa gigantesque maison de poupée. Courrez-y vite, elle n’est là que jusqu’au 3 mai prochain.

Ensuite, si vous êtes un  » tatimaniaque « , il vous restera l’exposition Deux Temps, trois mouvements mise en scène par Macha Makeïeff à la cinémathèque (51, rue de Bercy, à Paris XIIe, www.cinematheque.fr). A voir jusqu’au 2 août prochain. Ou encore une série de concerts, de projections et de spectacles organisés un peu partout dans Paris (jusqu’à l’été). Pourquoi un hommage maintenant, en 2009, alors qu’il aurait eu 102 ans ? Aurait-on raté son centenaire ? C’est fait exprès, paraît-il. Affectueuse facétie, le léger décalage n’aurait pas été pour lui déplaire.

(*) Chaque semaine, la journaliste et écrivain Isabelle Spaak nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.

Isabelle Spaak

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