L’ancienne cité d’Al Capone continue de faire peau neuve et revendique toujours plus haut son titre de capitale mondiale de l’architecture. Rendez-vous au cour d’une reine de beauté de l’Amérique.

 » M iroir, mon beau miroir. Dis-moi qui est la plus belle ?  » Il y a bien longtemps que l’ancienne capitale du crime ne résonne plus du bruit des balles et que le sang des gangs rivaux a été lavé des impasses sombres. Si le Chicago d’Al Capone, des tripots clandestins gérés par la pègre locale et du massacre de la Saint-Valentin (14 février 1929) fait toujours les beaux jours des films noirs, le vrai visage de Chicago est celui d’une cité rieuse et créative, disputant à New York et à San Francisco le titre de reine de beauté des Etats-Unis.

Emergeant des terres marécageuses du lac Michigan, Chicago avait pour vocation d’être  » un Paris sur la prairie,  » selon la vision du New-Yorkais Daniel Burnham, un des nombreux architectes qui se sont penchés sur son berceau. Les premières graines de l’architecture contemporaine ont germé sur ce sol fertile, qui a vu fleurir plusieurs grands courants de construction du xxe siècle. Aujourd’hui, la puissante cité, fille de l’argent et du commerce, peut légitimement admirer son impressionnant reflet dans les eaux claires du lac. L’incroyable plastique de Chicago est façonnée par la meilleure architecture, de superbes collections d’art, des clubs de jazz et de blues inégalés, un goût pour la bonne chère, des universités croulant sous les prix Nobel et des équipes sportives parmi les plus enviées de la planète !

Une quête avant-gardiste

Déjà parée des plus beaux atours, la belle des champs de l’Illinois n’en finit pas de séduire tant elle connaît l’art de se sublimer. La ville qui a fait naître les gratte-ciel au début du xxe siècle pousse toujours plus loin sa quête avant-gardiste. Sous l’impulsion de son maire charismatique, Richard M. Daley, la cité connaît une renaissance culturelle qui a vu les artistes transformer son espace en galerie d’art en plein air. Entre deux sculptures signées Dubuffet, Picasso, Chagall, Miro ou Henry Moore qui décorent les places et rues du centre-ville, les talents d’architectes de renom se succèdent alors à l’infini. Le passage à l’an 2000 a donné lieu à l’une de ses métamorphoses les plus brillantes, avec l’inauguration, en juillet 2004, de l’incomparable Millennium Park, une formidable esplanade de loisirs, trait d’union entre l’artère la plus animée du centre-ville et les bords paisibles du lac.

D’où vient cette frénésie pour l’art urbain qui offre à Chicago sa réputation de capitale mondiale de l’architecture ? Il faut se replacer à la fin du xixe siècle. La ville, qui connaît alors une explosion démographique inégalée dans le monde, vient d’être ravagée en trente-six heures par un incendie : 18 000 édifices réduits en cendres, 90 000 sans-abri. Les plus grands architectes et ingénieurs du pays, tels que Louis Sullivan, William Le Baron Jenney, Martin Roche et Dankmar Adler, s’attellent à la reconstruction. C’est ici qu’ils feront surgir, à partir de 1880, les premiers gratte-ciel du monde. Ils développeront aussi un style qui porte désormais le nom de la ville : l’école de Chicago. Les magnats de l’époque – rois de l’acier ou du chewing-gum, richissimes marchands de saucisses – leur passent alors commande sur commande.

Pour construire plus haut, l’école de Chicago va réinventer la structure portante : les colosses tiendront désormais debout grâce à leur squelette métallique, une charpente en acier qui ne connaît pas de limite verticale. Débarrassés de leur charge, les murs deviennent de simples  » rideaux  » en terre cuite émaillée, percés de larges fenêtres à trois baies. Le Reliance Building (1895), chef-d’£uvre de légèreté, est l’un des tout premiers exemples de cette nouvelle architecture. Aujourd’hui, sa façade aérienne à tonalité crème abrite un charmant hôtel de luxe de 16 étages, idéalement situé en plein centre-ville. Récemment rénové, l’hôtel Burnham est une oasis historique au confort feutré des immeubles anciens, à la décoration intérieure raffinée à l’atmosphère viennoise fin de siècle.

Avec de si beaux fondements, quel bâtisseur pouvait résister à l’envie d’apporter sa pierre à l’édifice ? De Ludwig Mies van der Rohe à Frank Lloyd Wright, en passant par David Adler ou Helmut Jahn, les penseurs de l’espace habitable en hauteur s’y sont tous exprimés, intégrant ici le nouveau avec l’ancien et posant là les bases de l’architecture moderne et internationale. La splendeur et la classe de cette fine fleur de l’architecture se distillent aujourd’hui sous les yeux des passants au fil des balades qui très vite se transforment en véritable voyage dans l’art et le temps. En tout, près d’une centaine de buildings sont certifiés par la Chicago Architecture Foundation ! Le voyage sera d’autant plus riche qu’il peut s’appréhender par les airs, en battant le pavé ou à partir des canaux qui parcourent la ville.

Toujours plus haut

Si vous optez pour le plancher des vaches, Chicago, comme New York, est une ville qui se visite la tête en l’air et le nez au vent. Commencez votre exploration par la rue la plus élégante, – affairée certes, mais plus tranquille que le trépidant centre baptisé  » Loop « . Avec leur sens du slogan publicitaire, les Chicagoans ont baptisé cette section de la Michigan Avenue qui va d’Oak Street à la rivière, le  » Magnificent Mile « . Elle est bordée d’hôtels de luxe et de restaurants, arbore les boutiques de mode les plus chics, des grands magasins, bijouteries, galeries d’art et librairies. C’est l’endroit de rêve pour entreprendre votre shopping. Vous y trouverez des dizaines de noms réputés, dont Saks Fifth Avenue, Burberry, Tiffany & Co. et Lacoste.

Longeant le  » Magnificent Mile  » vers la rivière, vous approchez maintenant le Michigan Avenue Bridge, qui offre une excellente vue d’ensemble des gratte-ciel s’élançant au-dessus de la Chicago River. Le bâtiment surmonté d’une horloge et recouvert de céramique blanche, au nord du pont, est le Wrigley Building, du nom du célèbre chewing-gum. Il est particulièrement frappant de nuit lorsque les projecteurs l’illuminent – une chose révolutionnaire lors de sa construction, en 1921.

Peu avant d’atteindre la rivière, vous remarquerez l’un des gratte-ciel les plus originaux de la ville, la  » Tribune Tower « , à l’allure de cathédrale avec son porche et, trente étages plus haut, ses pinacles gothiques. Construit en 1925 pour le quotidien  » Chicago Tribune « , cet immeuble gothique flamboyant fut le lauréat du plus prestigieux concours d’architecture américain, auquel participèrent, entre autres, le fondateur du Bauhaus, Walter Gropius, et le grand architecte finlandais Elliel Saarinen. On dit que son clocher, qui culmine à 141 mètres, est inspiré par celui de la cathédrale de Rouen en France et celui de Malines en Belgique.

A quelques pâtés de maisons, le Carbide & Carbon Building (1929), dont la silhouette est censée évoquer une bouteille de champagne à bouchon doré, dresse sa tour de granit noir et de terre cuite vert foncé. Ce petit bijou Art déco a été divinement reconverti en hôtel Hard Rock, le nec plus ultra des boutiques hôtels branchés de Chicago. Son lobby très contemporain joue sur des notes intimistes de velours noires et rouges, tandis que des clips vidéo musicaux diffusent une ambiance très techno dans de petits écrans incrustés dans les murs. Son restaurant, le China Grill, comporte une impressionnante verrière qui s’élève sur deux étages le long du Magnificent Mile, à deux enjambées du flambant neuf Millennium Park.

Attractions à sensations

Cet espace de loisirs multifonctionnel est incontestablement la dernière superattraction de Chicago, qui lui permet de revendiquer à nouveau le titre de métropole la plus novatrice. A la fois centre d’art, de musique, d’architecture et d’aménagement paysager, le Millennium Park s’étend sur une superficie de 10 hectares entre le Magnificent Mile et le lac. Construit par une équipe de concepteurs de réputation mondiale, ce parc s’enorgueillit principalement du pavillon de musique Jay Pritzker et de son BP Bridge, une passerelle aux écailles d’acier, dessinées par Frank O. Gehry, l’architecte du musée Guggenheim de Bilbao et de l’opéra de Sydney. La Crown Fountain, deux blocs de verre de plus de 15 mètres de hauteur, projette des images de visages humains au-dessus de bassins. Ces frimousses aux mimiques humoristiques sont une des attractions les plus appréciées du parc, avec le Cloud Gate (la porte des nuages) de l’artiste britannique Anish Kappoor. Cette immense sculpture elliptique de 100 000 kilos inspirée du mercure liquide est un objet très ludique à effet déformant. S’y reflètent dans une perspective tout en rondeur le ciel bleu de Chicago, les magnifiques bâtiments environnants et les visiteurs éblouis de faire partie d’un aussi bel ensemble.

Envie maintenant de vous reposer de votre visite à pied ? A la hauteur du Michigan Avenue Bridge, embarquez pour une excursion en bateau qui offre une autre perspective sur le profil unique de la ville, en passant sous les ponts rouges et vert-de-gris de la rivière Chicago. Ainsi, sur la berge ouest, vous apprécierez les deux tours jumelles de Marina City, qui ressemblent à deux immenses épis de maïs ou à deux ruches géantes. Les tours cylindriques de béton contiennent de bas en haut un port pour bateau, des magasins, un théâtre, un garage étagé suivi enfin de logements luxueux.

A ne pas manquer non plus, si vous voulez aborder Chicago la tête dans les nuages, l’ascension de la Sears Tower, cent dix étages culminant à 443 mètres. Construite en 1973 par Skidmore, Owings & Merrill, elle consiste en neuf tours empilées suggérant des cigarettes sortant de leur paquet à différents niveaux. La Sears Tower est longtemps restée la plus haute tour du monde, avant d’être détrônée par les tours Petronas de Kuala Lumpur en Malaisie.

Autre vue incomparable, celle de l’observatoire au 94e étage du John Hancock Center sur Michigan Avenue. Votre regard portera bien au-delà du lac Michigan et de ses parcs, du Lake Shore Drive (l’autoroute côtière), des gratte-ciel de Downtown, de la Chicago River et de son embarcadère, le Navy Pier, un autre parc d’attractions pour petits et grands.

Chicago, la  » ville aux épaules larges  » réserve encore bien des aventures. Ainsi, il faut ensuite vous enfoncer dans le Loop (la boucle), le quartier des affaires délimité par le métro aérien qui serpente au-dessus de vos têtes en grinçant dans les virages. Visiter un des musées, nombreux et magnifiques ou encore faire le tour du monde en 80 heures, rien qu’en vous baladant dans le kaléidoscope des quartiers italien, indien, juif, chinois ou mexicain. De taille plus humaine et plus aérée que sa s£ur rivale new-yorkaise, la Chicago du xxie siècle a décidément de quoi lui tenir la dragée haute.

Elodie Perrodil

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