à 32 ans, le directeur artistique de la célèbre marque britannique a déjà une solide carrière derrière lui. Rencontre avec un jeune homme discret, doué et résolument passionné.

Carnet d’adresses en page 107.

Thomas Burberry, le célèbre inventeur du trench dans les années 1920, aurait sans doute apprécié le coup de patte audacieux de son jeune compatriote du nord de l’Angleterre. Depuis le mois de mai 2001, Christopher Bailey préside en effet à la destinée artistique du fameux label britannique et ses silhouettes, tant masculines que féminines, se révèlent délicieusement sportives et fonctionnelles, à l’instar des créations originelles du fondateur de la marque. Jeune et plutôt effacé, Mister Bailey n’est pas novice pour autant. A 32 ans, son CV est joliment étoffé, entre une formation au prestigieux Royal College of Art de Londres, une première expérience professionnelle outre-Atlantique chez Donna Karan et un poste de  » senior designer  » chez Gucci aux côtés d’un certain Tom Ford. Aujourd’hui directeur artistique de l’une des marques les plus courues du moment, Christopher Bailey nous a reçu à Milan pour faire le point sur son parcours, sa mission au sein de Burberry et sa vision personnelle de la mode avec un grand M.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment avez-vous contracté le virus de la mode ?

Christopher Bailey : Cela s’est fait de manière très naturelle. Quand j’étais petit, je voulais devenir vétérinaire, mais, au fil du temps, j’ai commencé à m’intéresser au design dans le sens le plus large du terme. Et puis, à l’école, un professeur m’a tout doucement dirigé vers la mode. Encore une fois, le processus a été très progressif. Je ne suis pas revenu un jour à la maison en disant :  » Je veux devenir créateur de mode !  » En fait, je m’intéressais à l’art et mes parents étaient heureux de voir que je m’investissais dans un domaine auquel je croyais. Alors, j’ai commencé par des petits jobs dans cet univers et je me suis de plus en plus impliqué. La mode suppose la construction du vêtement, les matières, les couleurs, la technologie, les voyages… Bref, cela impliquait tout ce qui me passionnait. Donc, il était naturel que je m’y investisse de plus en plus…

Mais vous avez été très vite remarqué dans le milieu : l’Américaine Donna Karan est venue vous chercher à Londres alors que vous étiez encore étudiant !

Effectivement. Donna Karan est venue un jour au Royal College of Art de Londres où j’étudiais la mode. Elle venait voir les portfolios des étudiants et après cela, elle a demandé de me rencontrer. On a eu un bon feeling et elle m’a fait la proposition de venir travailler pour elle à New York. C’est vrai que je n’avais que 22 ans et que cela pouvait sembler fou de partir si loin, mais à vrai dire, comme je vivais déjà loin de chez moi depuis quatre ans, cela n’a pas été un problème. Et puis, quand on est jeune, tout est excitant ! Donc, je ne pensais pas vraiment aux aspects négatifs. J’avais une opportunité fantastique. Donna était et est une femme extraordinaire. Alors, je suis parti à New York !

Quels souvenirs gardez-vous de ce séjour  » mode  » aux Etats-Unis ?

J’ai aimé New York, je l’aime encore et j’y retourne d’ailleurs régulièrement. En fait, cette période de ma vie m’a surtout aidé à comprendre la mode internationale et le business qu’il y a tout autour. Aux Etats-Unis, la mode génère un business très rapide, très dynamique, avec beaucoup d’énergie. On voit toujours les choix sur une grande échelle. C’était une période très excitante.

Ensuite, c’est la maison Gucci qui vous a débauché…

Oui. Je travaillais depuis deux ans et demi chez Donna Karan lorsque j’ai reçu un coup de fil d’une personne de la maison Gucci. Elle m’a demandé si je voulais rencontrer Tom Ford qui, à ce moment, venait juste de reprendre la direction artistique de la marque. A l’époque, Gucci était encore une vieille marque italienne qui avait de vagues projets de changement. Ce n’était pas vraiment le Gucci d’aujourd’hui ! Je n’étais pas franchement intéressé, d’autant plus que j’étais vraiment heureux au sein de Donna Karan. J’aimais mon travail et j’avais une belle vie. J’ai décliné l’invitation. Mais quelques semaines plus tard, un membre de ma famille est décédé et j’ai réalisé à quel point j’étais loin de l’Europe et de la maison de mes parents. J’ai commencé à réfléchir à mon avenir et j’ai donc reconsidéré la proposition de Gucci. J’ai rencontré Tom Ford et on a eu un très bon échange de points de vue. J’ai compris où il voulait en venir avec Gucci et qu’il s’agissait d’un challenge énorme. Alors, j’ai décidé de revenir en Europe…

Vous avez contribué, pendant six ans, à la renaissance de Gucci aux côtés de Tom Ford, ce qui a évidemment dopé votre cote de styliste ! A un tel point que Burberry a commencé à s’intéresser à vous…

Après toutes ces années excitantes passées chez Gucci, j’ai soudainement réalisé que je voulais quitter la compagnie. J’y étais depuis six ans, j’avais donné beaucoup de moi-même et je sentais que, finalement, il n’y avait plus vraiment de challenge puisqu’on avait réussi à replacer Gucci sur le devant de la scène. En tant que designer, je sentais donc que je devais, d’un point de vue créatif, me diriger vers un nouveau challenge. Personnellement, j’adore les challenges. Cela m’excite ! Alors, comme je me sentais encore jeune, j’en ai parlé sereinement et honnêtement avec Tom Ford. Il m’a demandé de rester encore six mois, de réfléchir et de refaire le point. Ce que j’ai fait. Mais après six mois, je lui ai confirmé que j’étais prêt pour un nouveau départ et, comme il est très intelligent, il a respecté mes envies, d’autant plus qu’il avait vécu précédemment le même genre de situation. C’est à ce moment que Rose Marie Bravo, la directrice générale de Burberry, est venue à moi par l’intermédiaire d’une connaissance commune. Nous nous sommes rencontrés à Milan, de manière informelle, autour d’un café. Au départ, nous n’avons pas vraiment parlé de boulot. Il s’agissait plutôt d’une discussion détendue où nous nous sommes découverts de nombreux points communs. Nous nous sommes revus plusieurs fois et, comme il était évident que nous nous appréciions, nous avons évoqué petit à petit l’opportunité de travailler ensemble…

Le fait que Burberry soit britannique a- t-il influé sur votre décision d’accepter la direction artistique de la marque ?

C’était un immense plus pour moi. Je me sentais vraiment lié à la marque. Jamais je n’aurais pu espérer que cela m’arrive. Avant cela, je n’aurais même pas pu imaginer pouvoir transformer, un jour, une entreprise britannique, ni même l’aborder sous un angle international. Bien sûr, les racines sont importantes, mais c’est tout aussi important de penser globalement, en termes de business international. J’étais terriblement excité et je me suis mis à lire toute l’histoire de Thomas Burberry. C’était passionnant…

Précisément, tout cet héritage laissé par Thomas Burberry n’a-t-il pas été trop lourd à gérer ?

Non. D’abord, je suis un fervent défenseur de la tradition d’une compagnie, de l’héritage et de sa culture. Si on ne respecte pas cela, on ne peut rien construire. Pour moi, il est es- sentiel d’avoir cette base. Ensuite, Thomas Burberry avait déjà, il y a plus d’un siècle, une vision très moderne du vêtement. Il le voyait non seulement en termes de protection et de fonctionnalité, mais aussi en termes d’émotion. Et puis, il abordait aussi la mode d’un point de vue international, ce qui était tout à fait novateur à l’époque. Bref, ce type avait vraiment une vision très forte de la mode et c’est cette vision-là que je veux exprimer aujourd’hui en y ajoutant, bien sûr, ma propre dose de créativité.

Vous avez donc le sentiment d’être sur la même longueur d’onde que le fondateur de la marque…

Absolument ! Ce que je crée aujourd’hui fait complètement partie de l’univers de Thomas Burberry. La différence, c’est que je dispose de nouvelles matières et de nouvelles technologies de fabrication qui rendent les vêtements plus légers, les couleurs plus fortes… Pour moi, il est important de continuer dans cette direction. Je pense que mon style prend en compte l’héritage de la marque et s’amuse avec lui. A vrai dire, je ne me prends pas trop au sérieux. Et puis, ce qui est intéressant avec Burberry, c’est que nous habil-lons aussi bien les rock stars que les princes. Nous sommes une des rares compagnies au monde qui a vraiment un éventail très large de consommateurs. Certaines saisons peuvent être plus rock, plus classiques, plus sportives, plus campagnardes… Cela dépend de l’état d’esprit !

Comment définir l’Homme ou la Femme Burberry selon Christopher Bailey ?

C’est une personne qui a un sens développé de l’individualité. C’est quelqu’un qui s’habille d’abord pour se sentir à l’aise. En fait, mon inspiration vient de différents horizons. Je ne me fixe pas un thème par saison. Je joue plutôt avec différentes cultures, l’héritage de Burberry et la fonctionnalité des vêtements. Pour moi, cela peut très bien être le mélange du punk avec la mer, de la montagne avec les courses de voitures, de la musique avec le sport… Bref, tout ce qui est à portée de la main ! Personnellement, je ne suis pas du genre à faire une collection indienne parce que j’aurais été en vacances en Inde. C’est plus profond que ça !

Avec le recul, n’avez-vous pas le sentiment que tout a été trop vite pour vous ?

Effectivement, je me dis parfois que ces dix dernières années ont été très rapides. Cela a été très intense, j’ai beaucoup voyagé, mais si c’était à refaire, je ne changerais rien ! En fait, je me trouve plutôt chanceux. Aujourd’hui, chez Burberry, j’ai beaucoup de responsabilités et je me trouve face à un challenge très excitant.

J’ai considéré cette éventualité dans le passé, mais pour plusieurs raisons, j’y ai renoncé. D’abord, il est très difficile de lancer sa propre marque. Il faut vraiment un très gros support financier et je sais aujourd’hui en quoi consiste véritablement un business dans le monde de la mode. Et puis, je n’en ressens pas le besoin. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche à tout prix à avoir son nom sur des vêtements ou sur les podiums.

Si vous deviez définir la mode avec un grand M, que diriez-vous ?

Pour moi, ce n’est pas le simple fait de s’habiller. La mode est d’abord une question d’émotion. D’ailleurs, la façon dont on s’habille fait partie de l’histoire de l’Humanité. Elle définit votre culture, votre style de vie et votre personnalité. En tant que designer, il est important d’être sensible à toutes ces dimensions. Mon rôle est donc de mettre tout cela en avant.

Finalement, qu’est-ce qui vous fait avancer ?

La sérénité. Lorsque vous êtes heureux à la maison, tout va bien. Cette sphère privée est essentielle pour moi. Je ne pourrais pas faire sans. Et puis, je suis une personne positive. Je vois toujours le bon côté des choses. Cela aide…

Propos recueillis par

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