L’une des plus terribles dictatures de la planète est aussi un pays magique et envoûtant, encore préservé du tourisme de masse. Mais pour combien de temps ?

Coco a 12 ans. Coco n’est pas son prénom, c’est celui qu’il s’est inventé pour être compris des touristes. Effectivement, nous n’avons pas retenu le vrai. Il vend des cartes postales et le Burmese Days(Une histoire birmane) de George Orwell à l’entrée d’une pagode. Laquelle ? De ça non plus, nous ne nous souvenons pas. Il y en a tellement à Bagan, plus de 2 000, héritées des rois qui ont introduit le bouddhisme theravâda dans le centre de la Birmanie. Ils ont ainsi érigé plus de 4 400 temples en quelque 230 ans – l’entreprise a pris fin au terme des années 1200.

Ce site hallucinant, préservé des loupiotes et des kitscheries qui ornent d’habitude les édifices religieux dans le pays, sur lequel la nature reprend peu à peu ses droits, est le 5e plus visité de Birmanie. Coco veut y devenir  » tour guide « . Il parle parfaitement l’anglais, qu’il dit avoir appris avec les touristes, et il sait dire en français  » C’est joli, c’est pas cher  » et  » C’est parti mon kiki « . Le petit garçon n’aime pas l’école, d’ailleurs il n’y va plus, comme la plupart des enfants birmans qui l’abandonnent après les primaires. Il est fier de nous montrer les devises étrangères qu’il a réussi à collecter auprès des visiteurs : euros, dollars, mais également des billets roumains, philippins et mexicains. Coco peut reconnaître d’un coup d’£il le pays de provenance de nos pièces – les 2 euros avec lesquels nous payons Burmese Days viennent d’Espagne, le gamin est déçu de ne pas avoir reçu une pièce belge, qui manque à sa collection. Bientôt, il s’en fichera sans doute, de cette menue monnaie, il en aura réuni tellement qu’elle deviendra banale, qu’il en deviendra blasé.

La Birmanie (le pays tel que l’appellent les opposants au régime, qui l’a rebaptisé Myanmar en 1989) s’ouvre en effet au tourisme à une vitesse folle. Le gouvernement actuel fait des ronds de jambe aux visiteurs étrangers, et accueille des dirigeants du monde entier (lors de notre périple, Alain Juppé en partait et Hillary Clinton venait d’y promener son brushing). Et si, comme la rue semble le réclamer, Aung San Suu Kyi – dont la formation politique est désormais autorisée – rentre officiellement dans le jeu politique lors des élections parlementaires partielles du 1er avril prochain (une date qui amuse beaucoup les satiristes), il fait peu de doute qu’elle contribuera à ouvrir au monde les portes de l’une des plus terribles dictatures de la planète. Un régime militaire qui exproprie, tue, pille et envoie aux travaux forcés des milliers de ruraux contraints notamment de casser et tamiser des cailloux et d’y verser du goudron bouillant en tongs et en longyi (jupe traditionnelle portée par la majorité de la population, masculine comme féminine), pour construire les routes.

Zaw Min, guide-chauffeur, a beau avoir un rejeton de 22 ans major dans l’armée, il souhaite que  » The famous Lady of Yangon  » (jusqu’il y a peu, on ne pouvait ni prononcer son nom, ni détenir son effigie sous peine de poursuites) remporte les élections. En Birmanie, les familles pauvres n’ont d’autre choix que d’envoyer leur fils à la garnison ou dans un monastère pour espérer s’en sortir, et personne n’est vu comme un traître en offrant sa progéniture aux services de la dictature.

LE POUVOIR DES ASTRES

Zaw Min qui nous emmène à Naypyidaw, la nouvelle capitale du pays (2005), une ville qualifiée de  » royale  » par la junte, construite au beau milieu de nulle part, nouvelle absurdie gigantesque absolument déserte, prétendument peuplée d’un million d’habitants selon les autorités – 20 000 personnes, d’après les chiffres officieux. Traversée par une large autoroute à 6 bandes où il peut s’écouler de longues minutes sans que passe le moindre véhicule, cette verrue capitaliste urbaine semée de parcs aquatiques, resorts de luxe et parcours de golf foulés uniquement par leurs jardiniers, est une aberration qui démontre bien la mégalomanie des dirigeants du Myanmar. Parmi leurs lubies les plus folles : le changement subit de sens de la circulation – les Birmans roulent à droite depuis 1970 suite à une recommandation de l’astrologue de l’homme fort du régime, mais ne peuvent s’équiper que de véhicules japonais bon marché au volant lui aussi à droite. Le baroudeur en vadrouille dans le pays sert donc de copilote à son chauffeur, confronté à un terrible angle mort.

Autre joyeuseté prescrite par le gouvernement : l’obligation pour les touristes d’échanger des dollars neufs en monnaie locale. Neufs de chez neufs : la junte ne tolère aucune pliure, pas la moindre bavure, même d’origine, sur les billets. Elle se paie aussi le luxe de refuser certaines séries, perçues comme plus sujettes à la contrefaçon. De nombreux touristes vivent la saumâtre expérience de ne pouvoir utiliser la moitié de leur budget, et sont de plus confrontés à l’absence totale de distributeurs de billets, de terminaux pour cartes de crédit et de possibilité de renflouer ses caisses à l’aide de systèmes comme Western Union dans le pays.

Ils doivent donc se balader avec leur cash, lequel devient nécessairement de plus en plus élevé : les taxes, fees et droits d’accès rachetés à l’entrée des monuments mais aussi des villes, sont carrément exorbitants pour la Birmanie (5 dollars pour la fameuse pagode Shwedagon à Yangon, 10 pour entrer dans la ville de Bagan…) et le gouvernement impose aux commerçants un prix  » spécial touristes « , qui, on s’en doute, est revu à la hausse plutôt qu’à la baisse.

Malgré ses infrastructures vétustes et sans confort, la destination (l’une des plus pauvres de la planète) attire donc davantage de seniors à l’aise dans leur portefeuille que de jeunes routards. D’autant que, inflation galopante et faiblesse de l’euro aidant, les prix mentionnés dans les guides de voyage les plus récents ne sont plus d’actualité.

Y ALLER OU PAS ?

Les différentes sanglantes répressions, la révolution de Safran (le soulèvement des moines en 2007 à la suite de l’explosion du prix des produits de base), le cyclone Nargis de 2008, l’appel au boycott (levé depuis) d’Aung San Suu Kyi… Le tourisme birman a connu de nombreux coups de frein. En 1996 déjà, pourtant, la junte avait lancé une campagne intitulée  » Visit Myanmar Year « . Nombre d’infrastructures datent de cette époque, mais n’ont plus été entretenues depuis. L’hôtellerie de luxe est aujourd’hui presque exclusivement aux mains de la junte, les établissements privés (c’est-à-dire ceux qu’il faut fréquenter dans le cadre d’un voyage  » responsable  » dans le pays) affichent bien souvent des murs lépreux, des sanitaires comateux (l’eau chaude est ainsi une denrée rare en Birmanie), l’électricité paresseuse – il n’est pas rare que les hôtels, même haut de gamme, la rationnent -, une hygiène douteuse et un service hasardeux.

Alors, pourquoi venir en Birmanie ? Pour la balade en bateau sur le lac Inle, sorte de Venise de bambou usée par le temps, où les pêcheurs intha (les  » fils du lac « ) pratiquent leur métier en équilibre sur un pied, donnant à voir un somptueux ballet d’une grâce absolue. Pour le coucher de soleil sur la pagode Schwedagon à Yangon, envahie par les bonzes, où le ciel hérissé de flèches et de clochetons se change en or. Pour un trek montagnard à Kalaw, entre fraisiers, plantations de thé, rizières, dont les seuls autres passants sont des b£ufs et des buffles d’eau. Pour l’horizon de Bagan, son  » skyline  » religieux et sa litanie bouddhique ânonnée jour et nuit dans les haut-parleurs du village. Pour la plage déserte de Ngwe Saung, et les jeux dans les vagues des eaux chaudes du golfe du Bengale – on en viendrait presque à regretter l’ouverture récente de la junte au tourisme, qui sonne forcément le glas de cette quiétude. Et pour la rencontre des Moustache Brothers, célèbres comédiens opposants au régime, qui accueillent les spectateurs dans leur petite maison de Mandalay pour une représentation qui ne connaît jamais de relâche, dénonçant sous haute surveillance les turpitudes de la vie locale.  » Pendant votre séjour en Birmanie, sourit Lu Maw, ne volez rien. Le gouvernement n’aime pas la compétition. « 

Carnet pratique en page 60.

PAR MYRIAM LEROY

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