Londres. Milan. Paris. Embarquement immédiat pour trois destinations-hubs des défilés prêt-à-porter automne-hiver 06-07. Coulisses, confidences, coups de cour… Notre journaliste, Agnès Trémoulet, nous dévoile comment tournera la planète fashion cette saison.

Le 14 février à London

Alors, voilà, le 14 février, moi, je le fête à Waterloo Station. Hasard du calendrier. Dans le métro, tous les hommes sont pourvus de roses, comme si, dans cette ville, tout le monde avait un amour à fêter. Il faut dire qu’en Grande-Bretagne la Saint-Valentin est une date très importante. En effet, les Anglais attendent toute l’année pour déclarer leur flamme, justement ce jour-là. Du coup, on se croirait dans un film où, soudain, un inconnu vous offre des fleurs.

Ma semaine de la mode débute par le défilé Paul Smith. Ça valait la peine de sacrifier la Saint-Valentin, car Sir Paul Smith, c’est un sacré charmeur (lire notre interview en page 66). Donc ce jour-là, je me mets les attachées de presse dans la poche pour obtenir un rendez-vous galant avec Sir Paul, fixé au 19 mai. Ben oui, il est booké Sir Paul Smith ! A son défilé, on note pourtant beaucoup d’absents dans les rangs. Je le fais remarquer à ma voisine de droite, une journaliste britannique.  » Before midday show ! « , me répond-elle dans un sourire. Traduction : à Londres, les journalistes de mode ne se déplacent jamais avant midi. Cette ville est vraiment incroyable !

Bon moi, je suis peut-être ringarde, mais j’enchaîne sur John Rocha, et puis Preen, mon coup de c£ur : manteaux kimono, robes chemisiers, robes bustiers en drap de laine, le tout dans une palette gris perle. Une belle sobriété.

Deuxième jour : je poursuis par la génération Top Shop et Ann-Sofie Back. Défilé décevant. Le seul intérêt, c’est l’armée de branchés que l’on y croise. Puis Tata Naka, tou-jours très féminin même si je suis un peu moins emballée que d’habitude. Même ma collègue gourou Suzy Menkes de l’  » International Herald Tribune  » a les yeux dans le vide. Les deux jumelles nous livrent une collection romantique de robes à pois, sur un air de boîte à musique. Ensuite, j’enchaîne sur Nicole Fahri au Royal Opera-House de Covent Garden. C’est sobre et chic, très british. Je croise Suzy Menkes au Ladies room…

Troisième jour : le défilé Jessica Ogden a lieu sur le site du On/off, le festival off de la semaine de la mode londonienne qui monte. Jessica Ogden, c’est du style sixties à l’état pur, de la grosse maille, des silhouettes coiffées de bérets. Je suis emballée. Je découvre une palette de jeunes créateurs, m’en entretiens avec Lee, l’organisateur. Puis direction Sinha-Stanic dans un hangar de Soho. L’attachée de presse se souvient de mon récent article et m’installe au front row. Avec flash de photographe de la presse people. Yes. Je ne suis pas venue pour rien !

Lundi matin aéroport de Linate (Milan)

J’ai changé de chaussures. A Milan, pas question de se promener en tennis, donc j’ai troqué mes Adidas bleu canard contre des ballerines brillantes. De toute façon, les Milanaises ne jurent plus que par les ballerines. Grand moment dans les toilettes (décidément !) du théâtre Métropol, récemment racheté par Domenico Dolce et Stefano Gabbana qui y organisent désormais tous leurs défilés. J’assiste à une rencontre entre une célébrité de la presse magazine française et Suzy Menkes. Dialogue en français :  » Bonjour Suzy, ça va ? Tu es arrivée aujourd’hui ? » interro-ge Suzy (c’est toujours la question passe-partout que l’on pose pour engager la conversation pendant les défilés).  » Non, hier soir, j’étais à Rome pour un shooting, répond l’autre. On a été à Ostia, tu connais Ostia ? J’ADORE Ostia ! ! !  »  » Oui oui « , répond discrètement Suzy. Sur quoi, la belle file sans même dire au revoir. Moi, entre-temps, je mémorise le nom Ostia en vue de mes prochaines vacances en Italie. En attendant, on a droit à un joli défilé D&G. Plein de neige, de shorts en maille, de gros bonnets, de Père Noël en guise de final,… ça promet d’être bien, cet hiver, le ski !

J’enchaîne sur Giorgio Armani. Tiens, je repère des têtes qui, hier encore, étaient au premier rang à Londres et aujourd’hui sont passées au deuxième. Le décalage horaire d’une heure entre les deux capitales, ça doit être ça. Ce que j’appelle, moi, le jet lag des défilés.

Puis direction Jil Sander où la collection est dessinée par le Belge Raf Simons. Un défilé tout en sobriété, à la précision clinique, impeccable. Il est 22 heures, retour en bus. La péripétie vaut le détour. Deux Américaines égarées montent à regret dans le véhicule. Et passent un emergency call de leur cell phone.  » We are on a bus !  » se lamente l’une d’elles, déplorant une situation aussi incongrue que si elles étaient à dos de chameau !  » Luigi never showed up « , poursuit-elle. Luigi n’est jamais venu. Luigi, c’est le chauffeur ;  » I am very pissed « . Traduction : je suis très énervée, en plus familier. Puis, point culminant :  » On va attraper des microbes dans ce bus !  » En effet, la navette est remplie de clochards de luxe mais, tout de même, on est propre ! La deuxième, visiblement très perturbée, dit sur le ton de la déclamation :  » I am going to get a taxi « , faisant mine de vouloir faire arrêter le bus. Pour se rendre compte aussitôt que l’on se trouve en plein désert urbain, le défilé Jil Sander nous ayant en effet obligé à sortir du périmètre du centre-ville. On se croirait dans un épisode d’  » Absolutely Fabulous « , c’est hilarant.  » We are in the middle of nowhere « , poursuit la première, horrifiée, et accrochée à son cell phone. Tout d’un coup, elles ont reconnu la Piazza Repubblica, enfin un lieu familier. Suit l’accalmie.

Deuxième jour : café et croissants chez Marni. Longs gants de cuir, gros sautoirs… Ce que l’on aime chez Marni, c’est toutes les idées accessoires qu’on peut y dénicher. Puis Pucci. L’intérêt, cette saison ? Matthew Williamson signe la collection. Très personnel mais un peu décevant tout de même. Je croise Suzy dans la salle de presse, qui envoie son papier comme une journaliste lambda. Puis je fais un tour chez Geox pour revoir, une fois de plus, les sublimes fresques du showroom de la via Montenapoleone. J’enchaîne sur la soirée Tod’s of the Pop où, entre autres  » famous people « , on croise Karl Lagerfeld.

Troisième jour : chez Mariella Burani, je reconnais le top belge Davina Mulimbi. J’enchaîne sur le show Just Cavalli, solaire et énergique. Quant à Prada, je n’ai pas eu l’honneur d’être conviée au défilé. En lot de consolation, je suis invitée à découvrir la collection au showroom. Excuses de l’attachée de presse :  » Le lieu est trop petit, on ne peut pas inviter tout le monde. » Voilà le type d’humiliation que l’on vit au quotidien ! Le mieux, chez Prada, ce sont les toilettes (une obsession !), tapissées de miroirs. Du coup, on peut s’admirer sous toutes les coutures, à l’avant, à l’arrière, profil droit, profil gauche, vue d’en haut, vue d’en bas… Devant chez Prada, une journaliste allemande se fait déposer par son chauffeur, moi j’attends mon taxi dans le froid et me le fais piquer par une autre journaliste. Voilà l’autre sorte d’affront que l’on subit tous les jours.

Quelques minutes plus tard, je retrouve la collègue allemande de tout à l’heure au quatrième rang chez Gucci, alors que moi je suis au cinquième. C’est bien la peine d’avoir un chauffeur ! D’une ville à l’autre, on n’est plus reine en son pays. Gucci, c’est super disco, un régal de tailleurs dorés, de robes à col bénitier. Puis direction Ana Molinari, le dernier défilé de la soirée. Le show a lieu dans une petite chapelle attenante à El Duomo. Comme on est en fin de journée et que bon nombre de journalistes ont déjà déclaré forfait, je me retrouve au premier rang. Belle récompense.

Quatrième jour : la journée commence par MaxMara, un des défilés les plus branchés de la semaine de la mode milanaise. Tout y est : les leggings, le tailleur pantalon rouge, les rayures disco, le grand manteau superlong qui tombe sur les Dr. Martens ( voir tendances page 26 à 53). Une mine d’or pour les rédactrices de mode…

Bon, on enchaîne, car c’est pas pour dire mais, moi demain, je dois être à Paris.

Dimanche soir, Paris sous la neige

Défilé Yamamoto au jardin des Tuileries. Il neige. J’ai mis mon bonnet jaune, celui qui me donne des airs de Calimero, le petit poussin. L’attachée de presse me dit, sur le ton du compliment,  » on dirait un rayon de soleil « . Le défilé commence à l’heure. C’est poétique, sobre. Du Yamamoto grand cru. Une belle symphonie de tailleurs pantalons. Yamamoto lance l’allure masculin-féminin qui prédominera pendant cette fashion week parisienne.

Deuxième jour: on croise, entre autres people, Etienne Daho et Ariel Wizman au défilé de Jean-Charles de Castelbajac qui crée l’événement parisien. Pour son grand retour sur les catwalks, JCDC fait résonner la touche british pop ( lire notre article sur les must have en page 80). Tout de suite après, c’est Bruno Pieters qui défile en off. Très poétique, l’univers est inspiré d’un tableau de Magritte. Bruit de gouttes de pluie pour accompagner ces silhouettes de tailleurs jupes bleues accessoirisées de bottes en vernis. C’est délicieusement austère.

Puis, après une saison d’absence sur les catwalks, Isabel Marant est finalement revenue à l’exercice du défilé, au Palais de Chaillot. Avec ses grosses chaussettes en laine, ses bonnets et ses écharpes, elle nous couvre pour l’hiver. Musique de Jane Birkin pour des filles comme elle, cools et stylées. Un des grands moments de la fashion week parisienne, c’est le défilé Viktor & Rolf qui nous surprend cette fois par sa sobriété ( lire notre article en page 54) et sa bande-son distillant le refrain  » no communication « .

A.F. Vandevorst à Bercy. La scène dessine une croix rouge.  » Silence is something so sexy « . Après  » no communication « , on est décidément passé dans le registre du  » no word « . L’occasion de découvrir une belle collection et la nouvelle lingerie de la marque, signée Yaël Landman.

Troisième jour : Vivienne Westwood nous livre un défilé politiquement incorrect, baptisé  » Innocent  » : on y découvre leggings, superpositions, visages voilés ( lire notre article en page 88 ), jupes à crinolines qui culminent sur une sublime mariée rock. Chez Marithé & François Girbaud, le chanteur Florent Pagny crée le buzz. On accélère…

Je passe au showroom de Roger Vivier, rue du faubourg Saint-Honoré, pour découvrir les rééditions du chausseur français. L’ambassadrice, Inès de la Fressange, qui est accompagnée de ses filles Nine et Violette, porte à merveille les ballerines plates Belle Vivier.

Chez Dior, il faut toujours arriver un peu plus tôt, non seulement pour ne pas se faire éjecter même si on détient l’invitation – c’est malheureusement quelquefois le cas -, mais surtout pour observer le cirque avant le défilé. On repère la journaliste TV Mlle Agnès qui fait ses interviews coiffée d’une toque, Nicole Garcia, qui sourit très classe aux photographes, Claire Chazal et Philippe Torreton, main dans la main comme un couple modèle. Dans le public, on remarque des sosies de John Galliano. Au dernier rang, on se sent un peu comme les exclus de la fête, les condamnés à l’observation, les solitaires de la mode. Enfin, de toute façon, au premier rang, ils sont serrés comme des sardines. Des hommes en noir nettoient le sol comme s’ils préparaient un terrain de tennis. Le murmure s’apaise pour nous dévoiler une collection très gothique.

Quatrième jour : le défilé Hussein Chalayan jouit d’un accompagnement au piano. Robes aux teintes mordorées, passages de velours pourpre, manteaux taillés dans des coussins…., c’est prodigieux. Chez Jean Paul Gaultier, les filles vont deux par deux comme à l’école… des sorciers. On se croirait chez Harry Potter avec une galerie de portraits d’animaux les plus rares : chats sauvages aux yeux de lynx, hibou… qui nécessitent la présence d’un dresseur sur le catwalk.  » Et rond et rond petit patapon « , chantonne la bande-son. JPG est un vrai magicien.

Cinquième jour : mon coup de c£ur revient à Dice Kayek. La créatrice turque nous ravit avec ses robes à la coupe sixties portées avec des cuissardes en vernis, c’est féminin et sexy.

Cette saison, Dries Van Noten s’est autorisé des touches de doré. Et offre, en guise d’introduction au défilé, brownies au chocolat et thé à la menthe.  » Ils étaient bons les brownies « , commentent deux journalistes à la sortie du show. Chez Givenchy, je rentre à la dérobée par la sortie, et comme je pars en premier, je me retrouve avec Suzy M. qui détalle, dès le final, pour écrire son papier.

Sixième jour : chez Chanel, je fais mon entrée avec le styliste belge Olivier Theyskens qui a oublié sa carte d’identité. Oui, Chanel est bien le seul endroit où il faut montrer ses papiers, c’est bon, on le laisse rentrer.

Emotion et recueillement chez Haider Ackermann qui nous livre une collection de vêtements aux couleurs minérales portés en superposition. Les Belges sont décidément dans la tendance cet hiver.

Sonia Rykiel, elle, joue les coquines. Non seulement, elle reproduit une photo d’elle bébé sur ses tee-shirts mais en plus elle choisit, en guise de bande-son, une chanson hypersexy de Colette Renard, intitulée  » Les Nuits d’une demoiselle  » qui poétise sur la chose érotique, avec des paroles du genre  » je me fais picorer le bonbon « . Ah bon ? Toutes les journalistes sont hilares.

Chez Margiela, on s’extasie sur des ceintures de sécurité d’avion, le concept, toujours le concept !

Septième jour : chez Hermès, je suis placée juste en face de Jane Birkin et de Bambou, qui s’affichent, telles deux s£urs, en pull col V gris et jeans sur lequel elles ont enfilé des bottes plates, l’allure toujours faussement négligée. On dirait qu’elles se sont donné le mot mais je suis sûre que non. C’est Serge qui doit se marrer dans sa tombe ! Ce qui frappe, c’est qu’elles ont l’air superenthousiastes, elles sourient à chaque passage. A côté, les journalistes de mode paraissent tellement blasées. C’est décidé, j’opte définitivement pour le look Jane Birkin. De l’avoir revue, ça m’a convaincue.

Huitième jour : au défilé Gilles Rosier, je me fais interviewer par la télé.  » C’est quoi les tendances ? Votre pièce préférée ?  » Je me balade. Vu que ça fait trois semaines que j’y suis dans les tendances. Du coup, la fille me pose plein de questions. Elle compte faire toute l’émission avec moi ou quoi ?

Enfin, en conclusion, Louis Vuitton rime toujours avec fin de saison. On est proches de l’évanouissement. Tout le monde est crevé. Dans les rangs, les cernes se sont creusés. Sur les catwalks, où se joue une collection hypertendance, les filles commencent à fatiguer. A la fin du défilé, devant le Petit Palais, tous les photographes se disent  » au revoir, à la saison prochaine « , c’est drôle on dirait les grandes vacances qui se terminent. Avec Audrey, une copine styliste, on se tape dans les mains,  » c’est fini  » !

THE END.

Agnès Trémoulet

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