De la splendeur du château de Versailles à l’authenticité aride des dunes tunisiennes, le cinéaste français Jean-Jacques Annaud a enchaîné les tournages, l’an dernier. Avant la sortie de Black Gold, son tout dernier long métrage, il vient de mettre en images la nouvelle campagne de la maison Dior. Un retour à la pub assumé.

Parlez-lui donc de Don Draper – héros névrosé de la série Mad Men -, et de la vie en Technicolor du personnel looké de l’agence Sterling Cooper, et vous verrez ses yeux gris clair se mettre à sourire. L’atmosphère trépidante des débuts de la réclame, Jean-Jacques Annaud l’a vécue de l’intérieur, en des temps où se commettre à tourner des spots était, pour un cinéaste, un crime de lèse-septième art. Les choses ont bien changé depuis. Être choisi par une grande marque de luxe pour mettre sa com en image, c’est presque une preuve de reconnaissance pour les réalisateurs d’aujourd’hui. Le signe qu’ils comptent désormais dans le métier. Un truc à mettre en gras sur son CV.  » Avant, la pub, c’était carrément honteux, se souvient celui qui vient de diriger la toute nouvelle campagne de J’Adore, le parfum star de la maison Dior. Aux yeux de la presse française, j’étais mal né : je n’avais pas été critique aux Cahiers du Cinéma, j’avais tourné des spots pour des lessives, des couches, des lunettes, des voitures bon marché… Elle me l’a bien fait sentir pendant plus de trente ans. Moi, cela me plaisait d’être différent.  »

Passer d’un extrême à l’autre, il a toujours aimé cela, Jean-Jacques Annaud. Décrocher en 1976 l’Oscar du meilleur film étranger pour un premier long métrage dénonçant le colonialisme ( lire sa filmographie en pages 84 à 85) et mettre en boîte l’année suivante, sur fond de musique entêtante, des ménagères kitsch vantant les mérites de la langouste de Cuba. Capturer la magie de Charlize Theron sous les ors du château de Versailles. Et visionner les prises en plein c£ur du désert tunisien, dans un décor de ville arabe construit pour les besoins de son tout dernier film, Black Gold, qui sortira sur nos écrans le 23 novembre prochain.  » Un des plaisirs de la vie, c’est le changement, insiste-t-il. Porter son enthousiasme sur des choses variées. Commencer la journée les pieds dans la gadoue et la finir dans un palais.  » Plans rapprochés.

Des pubs, cela faisait un bon bout de temps déjà que vous n’en aviez plus tourné. Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre le collier ?

Comme souvent dans la vie, c’est d’abord une question de rencontres : ma femme et moi avons une amie qui travaille chez Dior. J’ai aussi gardé d’excellentes relations avec le patron de l’agence responsable du budget de J’Adore : nous avions débuté ensemble à l’époque héroïque des films publicitaires. Je n’avais jamais tourné à Versailles, non plus. C’était un défi extraordinaire !

J’imagine qu’on ne fait pas ce que l’on veut dans la Galerie des Glaces…

En effet, je peux vous confirmer que tourner à Versailles, c’est compliqué ! La Galerie des Glaces est un lieu unique au monde, impossible à reproduire en studio. Je voulais donner l’illusion que tout se passait la nuit, donc nous avons dû trouver le moyen d’occulter toutes les fenêtres. Pour ce faire, il a fallu fabriquer des petits panneaux sur-mesure pour chacune des vitres. Et trouver le moyen d’installer et de démonter le tout en un temps record ! Car nous n’avions accès aux lieux que pendant 24 heures. Le reste du film a été tourné pendant 5 jours au château de Compiègne.

Travailler avec Charlize Theron, c’était également une première pour vous. Une envie aussi ?

Je ne connaissais pas personnellement Charlize, même si nous avions eu ensemble un projet de tournage en Afrique du Sud qui n’avait pas abouti. Je vais utiliser à son propos un qualificatif durassien : elle est émervaillante ! Elle est immense, fichue comme une reine, avec un visage d’une grâce incroyable, des yeux transparents qui vibrent d’émotion. Un rêve de sculpteur. Mais surtout, c’est une fille d’une rare intelligence. Et gonflée avec cela, d’oser se maltraiter physiquement comme elle le fait pour certains rôles avec la plastique miraculeuse qui est la sienne. Une bête rare dans le cinéma.

Cet âge d’or de la pub était-ce aussi glamour que ce que montre la série Mad Men ?

C’était complètement surréaliste, fou même, oui, on peut le dire. J’avais 22 ans ( NDLR : en 1965), on venait me chercher en hélico chez moi pour me déposer au Danieli, à Venise, et je croyais naïvement que c’était ça, la vraie vie. Nous étions trois à nous partager le haut du panier des films publicitaires à l’époque : Ridley Scott, Alan Parker et moi. Je recevais plus de 400 story-boards chaque année. Je jetais un £il et je faisais le tri :  » non, non, non, oui, peut-être… « . Quelqu’un m’a raconté depuis lors que mon emploi du temps était affiché dans les ascenseurs des grandes agences de pub. Avoir vécu tout cela très jeune, cela m’a libéré finalement de tout ce barnum : l’important, au final, c’est le travail que vous réalisez, pas le show qui entoure ce business.

En même temps, vous ne reniez pas ce passé : vous allez même jusqu’à dire que c’est en tournant des spots publicitaires que vous avez continué à apprendre votre métier…

La pub, c’est idéal pour accumuler les microexpériences. Ça me plaisait de toucher à tout, d’essayer la comédie musicale un jour, une imitation de muet un autre, de filmer des cascades… À 20 ans, on m’a demandé de diriger des chiens, des chats, des perroquets, des hippopotames, des singes. Si je me suis lancé un jour dans une aventure comme celle de L’Ours, c’est grâce à cela. Je n’aurais pas osé des castings aussi libres si je n’avais pas déjà travaillé auparavant avec des enfants, des débutants, des non-professionnels, même de mauvais acteurs ! C’est une école qui m’a appris la concision, l’art de convaincre aussi, ce qui s’est avéré très utile par la suite lorsque j’ai démarré ma carrière américaine. Je me suis retrouvé dans des studios dont l’unique objet est de faire de l’argent : il fallait bien réussir à les persuader que les sujets surprenants aussi peuvent rapporter gros.

Vous avez la réputation d’être très pointilleux, d’attacher énormément d’importance aux détails. Même pour un spot publicitaire ?

J’ai fait la préproduction de ce film avec le même soin que celle d’un long métrage. Je suis allé des dizaines de fois à Versailles en repérage pour choisir des axes de lumière avec mes techniciens. Je voulais travailler sur les ors, créer des halos qui soient complètement dorés, par un jeu de tentures qui se refléteraient dans les miroirs. J’ai aussi découvert l’univers des défilés de mode, je me suis intéressé plus que d’habitude à la texture des vêtements, même si c’est quelque chose qui m’a toujours passionné. Dans mon nouveau film, Black Gold ( NDLR : une fresque épique façon Lawrence d’Arabie, avec Antonio Banderas et Tahar Rahim), il y aura plus de 7 000 costumes ! D’un jour à l’autre, je suis passé d’un univers de raffinement peuplé de très jolies femmes habillées par une des meilleures maisons de mode du monde à l’ambiance plutôt virile d’un tournage en plein c£ur des dunes tunisiennes.

Après les ours et les tigres, c’est le désert que vous rêviez de dompter ?

Cela fait des années que je suis fasciné par le Moyen-Orient, une région du monde mal connue, qui fait peur. Il m’est venu l’envie impérieuse de présenter ce monde différemment et de raconter une jolie histoire d’un jeune prince partagé entre ses deux pères qui ont eux-mêmes deux conceptions du futur et de la lecture du Coran. Alors que le cinéma se banalise terriblement, qu’on ne dégage plus de budgets que pour tourner des films à l’usage des teenagers, je suis convaincu qu’il reste de la place pour de grandes épopées portées par des héros charismatiques.

Découvrez la campagne en image sur levifweekend.be

PAR ISABELLE WILLOT

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