Mythe ou réalité, le  » Limburggevoel  » ? Nous avons posé la question à un enfant du pays, le très rock’n’roll Stijn Meuris. Journaliste, homme de télé, chanteur, il s’est rendu célèbre avec les groupes Noordkaap et Monza… sans oublier sa prestation avec Marie Daulne, lors de la célébration du 175e anniversaire de la Belgique, avec le tube Ik hou van u / Je t’aime, tu sais.

Stijn Meuris cultive l’hospitalité : café, jus de pommes, pastèque, cake et tarte aux fraises nous attendent, chez lui, à Kermt, sur la table basse. Particularité limbourgeoise ou trait personnel ?  » En tant que journaliste, j’ai déjà roulé ma bosse un peu partout et on me sert toujours un petit quelque chose. Il ne faut pas voir des clichés partout ! La réputation des Limbourgeois d’être hospitaliers, ouverts et sympathiques n’est sans doute pas complètement infondée, les autres membres de mon groupe (dont aucun n’est originaire du Limbourg) le remarquent à chaque fois que nous nous produisons dans la région, mais il faut relativiser. Si vous prenez une carte de Belgique et que vous la superposez à celle de l’Hexagone, vous verrez que notre pays ne suffit même pas à recouvrir le Nord de la France… et chacune des dix provinces de ce minuscule territoire possèderait des traits distinctifs fondamentaux ? Franchement, cette fragmentation m’a toujours semblé un peu bizarre. Mais attendez, je crois que je dois dé-relativiser : en fait, les Limbourgeois sont vraiment des gens à part ! « 

Ce n’est sans doute pas pour rien que le  » Limburggevoel « , ce sentiment d’appartenance au Limbourg, n’a pas d’équivalent en Flandre-Orientale ou dans le Brabant flamand…

Là, le sentiment d’appartenance se cristallise surtout sur des villes comme Gand et Bruxelles, pas sur la province comme c’est le cas ici. Dans les années 90, j’ai été journaliste au Belang van Limburg… et c’est bien simple : ce journal, soit on y travaille, soit on le lit, c’est presque une obligation morale. Le rédacteur en chef va même jusqu’à contacter personnellement les lecteurs qui se désabonnent pour leur demander s’il y a un problème. Nous avions découvert à l’époque qu’à l’exception d’une gazette régionale néo-zélandaise, nous étions le seul journal au monde à afficher un taux de pénétration aussi élevé (environ 85 % au niveau de la province). Vous imaginez la fierté de l’équipe… mais en même temps, j’ai toujours pensé qu’il n’était pas bon de couper ainsi notre lectorat de toute autre influence.

Le fameux esprit de clocher : trop Limbourgeois, pas assez citoyens du monde ?

Il est vrai que cet esprit de clocher a une connotation négative, mais je n’irais pas jusqu’à le tourner en dérision, car il ne m’est pas complètement étranger. À l’époque, nous écrivions régulièrement des articles sur ce fameux sentiment limbourgeois, dont on commençait seulement à parler. Existait-il vraiment ? La question a même fait l’objet d’une étude universitaire, qui a confirmé l’existence d’un sentiment d’entité et d’identité – clairement localisé de surcroît, même s’il ne s’arrêtait pas exactement aux limites de la province.

Comment s’exprime-t-il ?

Je vous donne deux exemples. À l’époque où j’y travaillais, Het Belang publiait encore beaucoup plus de reportages internationaux qu’aujourd’hui. Lors du décès de Kurt Cobain, le rédacteur en chef a décidé que c’était l’occasion de m’envoyer à Seattle, où Microsoft et Boeing avaient leur siège et où nous n’étions encore jamais allés… En dernière minute, on m’apporte une note :  » Meuris, j’ai passé quelques coups de fil et il semblerait qu’il y ait aussi quatre Limbourgeois à Seattle, dont une bonne s£ur originaire de Zutendaal. Profites-en pour passer la voir !  » Un autre soir, l’édition était pour ainsi dire bouclée et le rédacteur en chef était en train de mettre la dernière main à la Une lorsque nous est parvenue la nouvelle d’un dramatique accident impliquant un train à grande vitesse, au Japon. Je l’entends encore s’exclamer :  » Il y avait des Limbourgeois à bord ?  » Une réaction évidemment d’autant plus comique qu’elle lui était venue tout à fait spontanément : ce  » limburggevoel « , il l’avait dans le sang ! Ce sentiment d’appartenance génère aussi une sorte de magnétisme qui pousse les Limbourgeois à rechercher la compagnie de leurs semblables à l’étranger, et ce quels que soient leur origine, leur statut social ou leur niveau d’éducation. Alors que la plupart des gens ont vite fait de juger les compatriotes qu’ils croisent en vacances ( » Drôles de gens, quel tee-shirt de mauvais goût, gardons nos distances « ), deux Limbourgeois qui se rencontrent à l’autre bout du monde vont immédiatement engager la conversation ( » Ah, vous êtes de Zutendaal ? Et d’où à Zutendaal ? « )… généralement à la stupéfaction des autres, qui doivent certainement se demander à quoi rime ce drôle de manège !

Mais encore ?

Quand on a l’habitude d’être traité en vilain petit canard, on a vite fait de tomber dans l’arrogance au moindre signal positif. J’avais très clairement cette impression au journal, mais aussi chez TV Limburg et dans d’autres médias régionaux. Était-il vraiment nécessaire d’aller systématiquement extraire les chiffres limbourgeois lors de la publication de statistiques nationales ?  » Regardez, la qualité de notre enseignement est supérieure de 0,03 % à la moyenne belge ! La portion de l’autoroute qui traverse notre province est mieux entretenue que le reste !  » Moi, je dis stop : nous ne sommes qu’une toute petite partie d’un territoire qui n’est déjà pas bien grand.

Le Limbourg continue tout de même à faire de l’autopromotion à la télévision, avec des spots qui le présentent comme une pépinière d’idées, une mine de créativité…

Nous ne sommes pas les seuls ! J’ai un jour participé à une campagne diffusée sous la forme de spots à la radio et d’affiches, où je prétendais être West-Flandrien dans ma tête. Une initiative pleine d’humour, à prendre évidemment au second degré… mais ici, les critiques n’ont pas tardé : les Limbourgeois sont très sensibles à ces choses-là. Nous ne sommes tout de même pas une secte ! Malgré tout, je me sens bien dans ma province. On m’a longtemps demandé si je n’envisageais pas de déménager, et il fut d’ailleurs une époque où j’avais l’impression que tous ceux qui voulaient faire carrière dans la musique partaient s’installer à Anvers. Quand Mauro ( NDLR : Mauro Pawlowski, une figure de la scène rock) est parti, on a même été à deux doigts de décréter une journée de deuil provincial… mais aujourd’hui, il me semble qu’on assiste plutôt au mouvement inverse, même si je n’ai évidemment pas de statistiques pour étayer ce sentiment. Prenez Sue ( NDLR : la journaliste Sue Somers, sa compagne), qui est revenue s’installer ici après avoir longtemps vécu à Schaerbeek (  » C’est parce que tu ne veux pas déménager, sinon j’y serais encore « , intervient l’intéressée depuis la pièce d’à côté, mais Stijn Meuris reste imperturbable). Je comprends tout à fait pourquoi. Les derniers sondages de Test-Achats placent aujourd’hui Hasselt et Genk dans le top cinq des villes belges les plus agréables ; entité presque sinistrée sans réel centre urbain il y a dix ans à peine, Genk a connu depuis une véritable renaissance, et Hasselt aussi se porte bien.

Parlez-nous de votre enfance à Overpelt…

Le terme n’existait pas encore, mais j’étais un gamin hyperactif. J’avais déjà d’innombrables activités. J’y mettais toujours beaucoup d’énergie, de fantaisie et d’humour, mais aussi un réel sérieux : qu’il s’agisse d’assembler des Lego ou de construire une cabane, je voulais que les choses soient bien faites. La musique est entrée dans ma vie sous les traits de Marc Haesendonckx, prof de sciences humaines ad interim et le premier punk que j’aie vu de ma vie. Un punk du reste tout à fait correct et très intelligent, mais aussi et surtout le bassiste des Brassers, un petit groupe originaire d’Hamont-Achel. Je n’en croyais pas mes oreilles : pour moi, la musique était un rêve inaccessible, sauf à faire sept ans à l’institut Lemmens ( NDLR : haute école artistique de Louvain), et voilà ce type qui affirmait qu’il suffisait de connaître trois accords en tout et pour tout,  » mais les bons  » ! Je suis allé assister à la finale du Humo Rock Rally à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, avec quelques amis. C’était notre premier concert de rock, nous avons failli tomber de nos chaises… et puis les Brassers sont arrivés. Ils n’ont pas gagné, mais quelle révélation : de la musique punk aux accords de fin du monde, et en flamand s’il vous plaît ! Jusque-là, je pensais que c’était interdit par la loi.

Vous saviez ce qu’il vous restait à faire !

Vous savez ce que c’est quand on a 15 ou 16 ans :  » Si Marc peut le faire, nous aussi.  » L’un avait déjà une guitare, l’autre savait jouer de la batterie et moi, comme je ne maîtrisais aucun instrument, je me suis retrouvé chanteur. Lors du Rock Rally suivant, celui de 1982, nous étions de la partie : pour nous, cette participation était dans l’ordre des choses. Je suis à la fois un réaliste et un rêveur, mais aussi et surtout un grand naïf… et dans la sphère musicale, c’est parfois un atout. Prenez Rick De Leeuw ( NDLR : des Tröckener Kecks), avec qui je suis en tournée cet été (*) : à 50 ans passés, c’est encore un grand gamin. Pas un idiot ni un irresponsable, attention, simplement un homme d’une grande candeur. Heureusement, il y a beaucoup de gens comme lui dans la musique et dans les médias, même si j’ai souvent l’impression que ce sont toujours les plus blasés qui décrochent la timbale. La réalisation (de pubs, d’émissions de télévision, de projets personnels…), mon  » vrai  » métier, m’offre également un terrain de jeu que j’aime beaucoup. Dans ce cadre, je suis régulièrement amené à participer à des réunions et brainstormings… mais alors que je m’y investis souvent jusqu’à être complètement sur les rotules, ce sont généralement les gens qui n’apportent rien au débat qui décrochent les meilleurs postes ! Ça, vous voyez, c’est vraiment le genre de chose que j’ai du mal à supporter ; c’est peut-être l’un des côtés moins agréables des Limbourgeois. Bien sûr, on trouve aussi ici des entrepreneurs et politiciens d’une grande intelligence. Mais passons. Ce que je veux dire, c’est que j’ai de plus en plus l’impression qu’il ne faut pas se laisser emporter aveuglément par son enthousiasme, sous peine d’être la proie des requins.

Non, je n’en ai jamais ressenti le besoin, d’autant que  » le  » limbourgeois n’existe pas davantage que  » le  » west-flandrien. Je me considère comme un artiste néerlandophone – néerlandophone, même pas flamand. Cela m’a valu bien des questions, surtout à l’époque de Noordkaap, comme si j’étais nationaliste… Si je parle l’ABN dans la vie de tous les jours ? À peu près, mais avec l’accent du coin, évidemment. Le dialecte que la plupart des gens associent avec le limbourgeois est celui du Maasland, ce parler chantant et savoureux qu’on entend dans le sud de la province, vers la Hesbaye. La région de Riemst et d’Alden Biesen, c’est la Toscane de la Belgique : quand le soleil luit et qu’il n’y a aucun panneau publicitaire pour gâcher la vue, c’est vraiment le paradis. On y produit même du vin : pas étonnant que les Romains soient venus s’installer à Tongres ! Dans le nord de la province (Hamont, Peer, Overpelt, Neerpelt…), n’en déplaise à mon père, la langue a un côté plus agressif que l’on n’associe jamais spontanément au limbourgeois.

Pour conclure, vous êtes à la fois le plus grand défenseur et le plus grand critique du sentiment limbourgeois.

Je pense qu’il faut avant tout éviter les clichés. Le provincialisme n’est pas forcément synonyme d’étroitesse d’esprit ou d’une sorte d’ancrage indéfectible. Notez d’ailleurs au passage que certains sont prêts à payer une fortune pour aller s’enterrer au fin fond de nulle part le temps des vacances ( » Ah, la Provence si authentique, si paisible, il ne s’y passe jamais rien… « ), mais critiquent le côté étriqué du Limbourg. C’est pourtant une région qui bouge, ne fût-ce que sur le plan culturel : non seulement Genk accueille actuellement Manifesta, la biennale européenne de l’art contemporain, mais il y a aussi l’incontournable Pukkelpop, le projet C-mine, Z33 au béguinage d’Hasselt, le musée de la Mode… Et si nous voulons voir une pièce à la Monnaie ou au Koninklijke Vlaamse Schouwburg, Bruxelles n’est tout de même pas le bout du monde ! Les Limbourgeois sont très souples à cet égard : ils n’hésitent pas à prendre leur voiture pour rallier Maastricht ou Aix-la-Chapelle. La pensée paneuropéenne n’est pas un vain mot dans la région. Combien d’États dans l’Union, 27, bientôt 28 avec la Turquie ? Sans être sociologue, il me semble humain de réagir en pensant  » local « , en cultivant l’appartenance à sa région, son quartier, sa rue… Et en toute sincérité, il fait certainement bon vivre à Gand ou à Istanbul, mais moi, je me plais à Kermt !

(*) Tournée Meuris vs De Leeuw, rock du plat pays, avec également Axl Peleman, Jan Hautekiet, Kris Delacourt et Ron Reuman. Dates et information : www.maandacht.be/meuris-vs-de-leeuw

PAR LINDA ASSELBERGS / PHOTOS : CHARLIE DE KEERSMAECKER

 » IL FAIT CERTAINEMENT BON VIVRE À GAND OU À ISTANBUL, MAIS MOI, JE ME PLAIS À KERMT ! « 

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