Dans le monde merveilleux d’Alice, revu et corrigé par Tim Burton, les costumes ne font pas de la figuration ! Pour

habiller ses personnages tous plus excentriques les uns que les autres, le génial réalisateur a fait appel à sa complice de la première heure, la créatrice de costumes Colleen Atwood.

En ving-cinq ans de carrière, elle avait déjà habillé des geishas et des truands de tout bord. Un barbier sanguinaire et un médecin cannibale. Des petits hommes verts venus de Mars et les vaillants guerriers de La Planète des Singes (2001). Sans oublier un étrange garçon au visage pâle scarifié et aux mains tranchantes comme des lames de ciseaux. Mais jamais de lapin blanc. C’est aujourd’hui chose faite puisqu’elle vient de tailler un costard empire au héros de Lewis Carroll. Sur le plateau d’Alice au pays des merveilles, le film événement de cette année (*), elle a retrouvé Johnny Depp qu’elle croise régulièrement, depuis ses débuts.  » La première fois que j’ai travaillé avec lui, c’était déjà sous la direction de Tim Burton, pour Edouard aux mains d’argent (1990), rappelle Colleen Atwood. On se connaît bien et je sais ce qu’il aime.  »

Aussi à l’aise dans les reconstitutions historiques que dans les films avec cascades, la costumière signe ici l’un de ses plus beaux vestiaires. Réel mais aussi virtuel. Car celle qui a déjà remporté deux Oscars – pour Chicago et Mémoires d’une geisha – a aussi participé à la création des costumes portés par les personnages d’animation qui peuplent le pays des merveilles revisité par Tim Burton.  » J’ai vraiment voulu jouer avec l’animation, avec la 3D aussi, insiste-t-elle. Sur mes  » vrais  » costumes, j’ai imaginé des détails qui apparaissent puis disparaissent comme par magie. Cela a vraiment permis à Tim de visualiser les choses. Et aux animateurs de donner de la profondeur et de la texture à leurs  » costumes « . Le mélange des personnages et des costumes réels et animés plongés dans un décor complètement virtuel, ce sera du jamais-vu !  » Explications.

Était-ce la première fois que vous deviez habiller des acteurs virtuels ?

Non, j’avais déjà fait de la consultance pour des dessins animés. Mais je n’avais jamais dû mêler des personnages réels et animés. Je crois sincèrement que les costumes au cinéma finissent par avoir leur propre vie. Ils participent à la construction du récit. Mais dans le cas d’un projet comme Alice au pays des merveilles, les acteurs portent presque toujours les mêmes vêtements tout au long du film. Les costumes doivent être très forts dès le début et traduire au premier coup d’£il la personnalité du héros.

Comment fait-on pour prendre de la distance par rapport à toutes ces versions d’Alice qui existent déjà et créer quelque chose de vraiment unique ?

Comme tout le monde, j’avais en tête des images 2D du dessin animé de Disney. Les dessins originaux de Lewis Carroll aussi. D’ailleurs, il y a des codes que j’ai conservés : les motifs des cartes à jouer sur la robe de la Reine Rouge, et la couleur bien sûr. Au début de l’histoire, Alice a toujours une robe bleue, mais elle va vraiment se transformer au gré de ses changements de taille. Quand Alice rapetisse, elle se perd dans son corset. Quand elle grandit à nouveau, elle fait exploser sa tenue. J’ai beaucoup joué avec les effets d’échelle. Tim a aussi ajouté des détails à la version originale. Au final tous les personnages portent cette patte indéfinissable mais tellement caractéristique de Tim Burton.

Vous avez été sa complice sur la plupart de ses films. Est-ce facile de travailler avec une personnalité aussi forte que la sienne ?

C’est une vraie collaboration. On se connaît bien, on se fait confiance. Nous commençons toujours par un brainstorming, il me donne ses premières idées, je fais des dessins que je lui soumets. J’apporte aussi des tissus que je sais susceptibles de titiller son imagination. Je fais généralement le premier essayage, seule, avec les acteurs pour voir comment les vêtements tombent et je lui montre des photos. De là, on ajuste. Il vient lors de la deuxième séance d’essayage pour voir ce que cela donne. Et puisà on commence à filmer !

Est-ce vrai que Johnny Depp s’implique personnellement dans la création de ses costumes ?

Tout à fait. Mais là aussi, je le connais bien et je sais ce qu’il aime ! Je lui fais des propositions lors des premiers essayages, il chipote avec les accessoires, il imagine des situations de jeu, il formule des suggestions. Le costume et le personnage se construisent de cette manière.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ?

J’aime que les challenges se renouvellent à chaque job. Je suis tout le temps en train d’apprendre d’autres choses, d’autres manières de travailler. J’ai aussi la chance de pouvoir voyager pour trouver des idées et faire des recherches en amont du film.

Créez-vous vraiment tous les costumes d’un film ?

En réalité, je ne conçois vraiment moi-même que les costumes des acteurs principaux. Sur le tournage de Sweeney Todd par exemple, j’avais entre 400 et 500 figurants à habiller certains jours ! Je ne peux pas me permettre financièrement de réaliser des tenues pour tout le monde. Heureusement, j’ai une équipe qui m’aide pour les premiers essayages. Mais j’imagine les looks de tous les extras. Je les loue dans des maisons spécialisées ou bien je crée des modèles standards qui sont cousus en usine et j’y ajoute des petits détails pour les personnaliser.

La mode est-elle pour vous une source d’inspiration ?

Bien sûr, surtout les défilés de haute couture. Car c’est là que les créateurs peuvent vraiment faire preuve d’originalité. Mais je regarde aussi ce que portent les gens dans la rue. J’y trouve pas mal d’idées pour mes tissus – je les crée avec un artiste textile qui réalise les imprimés pour moi. Je crois qu’il y a un véritable mouvement de balancier entre la mode et le cinéma. L’un influence l’autre et réciproquement. Je suis toujours en quête de nouvelles idées. Où que j’aille, je fouine. J’engrange. Et puis je garde le meilleur.

Dans la démarche artistique, vous sentez-vous proche des grands couturiers ?

J’ai l’habitude de dire que l’attention, le soin que l’on apporte à la confection d’une robe pour un film d’époque est comparable à ce qui se fait dans la haute couture. Il n’est pas rare d’avoir une douzaine de petites mains à l’£uvre pendant des heures pour une seule robe ! Bien sûr, moi, je ne dois pas la vendre ensuite. Mais j’ai aussi des moyens plus limités dans le choix des matières premières. Je n’ai pas de studio de création, je n’ai presque pas de stock. Je me déplace au gré des tournages. J’ai réussi à conserver une pile de vieux tissus, des choses que j’aime vraiment et dont je n’arrive pas à me défaire. Une base qui me sert de point d’appui pour ne pas repartir de zéro chaque fois.

Que deviennent vos costumes lorsque le tournage est terminé ?

Pour la plupart, ils restent la propriété des studios et dans le cas d’ Alice au pays des merveilles, de Disney. Ils sont conservés dans les archives et parfois ressortis pour des expositions. Il arrive aussi que les acteurs demandent à les garder. C’est le cas de Johnny Depp : son costume de Chapelier Fou ira sûrement rejoindre sa collection personnelle.

(*) Sortie le 10 mars.

Par Isabelle Willot

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