A ma gauche, Isabelle Alonso, auteure française et Chienne de garde professionnelle. A ma droite, Stéphane De Groodt, comédien belge, humoriste et mâle, tout simplement. Prêts pour le combat ?

Réputée pour ses interventions médiatiques plutôt musclées, Isabelle Alonso est une interlocutrice redoutable qui manie le verbe comme la lame d’une épée finement aiguisée. Il n’est donc pas facile d’affronter la plus célèbre des Chiennes de garde, surtout lorsque l’on ose s’aventurer sur le terrain glissant des rapports homme-femme. A l’invitation de Weekend Le Vif/L’Express, le comédien belge Stéphane De Groodt a pourtant relevé le défi du face-à-face périlleux et s’est offert, en guise d’amuse-gueule, le dernier livre d’Isabelle Alonso,  » Roman à l’eau de bleu « , paru aux éditions Robert Laffont. Attention, ça va chauffer !

Stéphane De Groodt : J’ai commencé à lire votre roman. L’idée, c’est que vous voulez faire vivre aux hommes ce qu’ils font vivre aux femmes, c’est ça ?

Isabelle Alonso : Ce que j’ai essayé de faire dans ce livre û et je pense qu’il faut commencer par là û, ce n’est pas de prôner un système idéal. Ce n’est pas de dire :  » Voilà comment les choses devraient être « , mais plutôt :  » Hé, les garçons, regardez ce que ça fait quand le système n’est pas orienté dans votre sens, mais contre vous !  » En fait, j’ai imaginé une société qui n’existe pas et que vous ne pouvez même pas imaginer puisque les femmes ont tout le pouvoir. Elles l’ont toujours eu et elles ne se posent aucune question à ce sujet. Elles pensent que cet ordre des choses est voulu par la nature puisque leur rôle biologique û le fait d’enfanter û les incite à se projeter dans l’avenir et à s’inscrire dans l’histoire. Dans ce schéma-là, les femmes ont toutes les responsabilités de cette société imaginaire et les hommes ne sont que des créatures éphémères destinées à les divertir. Ils portent donc des vêtements très serrés qui mettent en valeur leurs épaules et leurs petites fesses rondes. Ils affichent aussi des étuis péniens et des coques testiculaires. Ils sont complètement des objets sexuels puisque ce sont les femmes qui ont le pouvoir économique. Donc, voilà, ce n’est pas plus caricatural que le monde actuel, puisque je suis exactement en train de vous décrire, de manière inversée, la société dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, ce sont les hommes en costume-cravate qui ont tout le pouvoir d’un côté et les nanas en mini-jupe et soutiens gonflables, de l’autre. Parce que vous savez qu’il existe désormais des implants mammaires que l’on peut gonfler et dégonfler à souhait. On va faire du sport, on dégonfle ; on sort le soir, hop, on regonfle !

S.D.G. : Cela vous a-t-il plu de vivre dans ce monde-là ? Je veux dire le fait d’imaginer une société où les femmes auraient tout le pouvoir…

I.A. : Justement, non ! C’est ce que je viens de vous dire. Ce n’est pas le système idéal. Moi, j’aimerais vivre dans un monde équilibré. Bon, vous êtes comédien. Je vais donc essayer de trouver des images qui vous parlent ! Imaginez une salle de spectacle avec une scène qui ne serait éclairée qu’à moitié. D’un côté, vous auriez des individus en pleine lumière et de l’autre, des individus constamment dans l’ombre. Eh bien, c’est la société dans laquelle nous vivons. Les femmes sont continuellement dans le noir et les hommes sont sous les projecteurs. Dans mon roman, j’ai simplement demandé à chaque groupe d’individus de changer de place sur cette scène à moitié éclairée…

S.D.G. : Vous savez, il suffit parfois de changer de place pour mieux voir ceux qui sont dans la pénombre. On peut s’en approcher et avoir une tout autre vision des choses…

I.A. : Moi, je préfère alors éclairer toute la scène pour que tout le monde soit dans la lumière. Pour qu’il y ait une égalité et non pas un pouvoir des uns sur les autres !

S.D.G. : Mais l’envie que vous avez de vouloir imposer à tout prix autant de femmes qu’il y a d’hommes dans certains domaines, n’est-ce pas finalement desservir la cause des femmes ?

I.A. : Et maintenir l’inégalité telle qu’elle est aujourd’hui, ça sert la cause des femmes, alors ?

S.D.G. : Ce n’est pas forcément une inégalité. C’est une différence naturelle…

I.A. : Et 90 % d’hommes au Parlement, c’est une différence naturelle d’après vous ?

S.D.G. : Du point de vue politique, je suis tout à fait d’accord avec vous…

I.A. : Mais la parité au quotidien est une notion politique !

S.D.G. : Mais moi, je vous parle d’envie. Est-ce que les femmes ont, à la base, autant envie de se battre que les hommes ? Ont-elles vraiment envie de mener ce genre de combats politiques ? Doit-on nécessairement les forcer à le faire ?

I.A. : Vous ne devriez même pas poser cette question si vous étiez un démocrate sincère. Dire que le désir de la femme est comme ceci ou comme cela, c’est d’abord aux femmes de le dire. Ce n’est même pas à moi de répondre parce que je ne suis pas  » les femmes « . J’en suis une et tout ce que je peux dire, c’est qu’il faut leur donner les mêmes chances que les hommes au départ.

S.D.G. : Oui, mais on dit que, naturellement, la femme crée et que l’homme ne crée pas. Donc, l’homme essaie de compenser cette absence de création par un esprit de compétition. Il veut absolument arriver à créer à travers différentes activités. Donc, l’homme a ce besoin permanent de créer et de s’affirmer beaucoup plus que la femme…

I.A. : Créer et s’affirmer sont deux choses différentes. Tout ce que vous êtes en train de me dire, ce sont les idées généralisées qui visent à laisser les choses en l’état. Je trouve que c’est pervers ! C’est mal poser les questions. Et puis, si on entre dans ce genre de débat, on peut en venir à saint Augustin qui a dit :  » Procréer n’est pas créer.  » Donc, à mes yeux, on peut à la fois procréer et créer. Il peut y avoir des femmes artistes, même si ce sont elles qui portent les enfants.

S.D.G. : Justement, on ne peut pas dire qu’il y ait une quantité de femmes peintres…

I.A. : Mais il faut s’interroger sur le système d’exclusion des femmes ! On dit toujours aussi qu’il n’y a pas de génie de la littérature au féminin comme il y en a au masculin. Evidemment ! Avant, on n’apprenait même pas à lire aux femmes ! Alors, c’est plutôt difficile d’écrire un roman quand on ne sait pas lire ! Dans  » Une chambre à soi « , Virginia Woolf dit que, pour arriver à créer, il faut non seulement bénéficier du génie, mais il faut surtout un environnement favorable. Autrement, ce génie n’a aucune chance de s’exprimer. Or, la femme n’a jamais eu cet environnement favorable ! Alors, utiliser l’argument selon lequel il y a très peu de femmes peintres ou de femmes génies de la musique, moi je dis non ! On les a toujours empêchées de s’exprimer. La femme a été enfermée pendant des siècles dans sa maternité. Là, je suis en train de me justifier sur une évidence. On ne devrait même pas parler de ça ! C’est presque insultant de penser que, s’il n’y a pas de femmes génies, c’est parce qu’elles ne sont naturellement pas géniales !

S.D.G. : Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Je vous sens agressée, là…

I.A. : Oui, je me sens agressée, parce que quand vous dites que les femmes sont comme ceci et les hommes sont comme cela, vous partez du principe qu’il n’y a pas une partie de l’humanité qui exerce un pouvoir absolu sur l’autre depuis des milliers d’années. On ne peut pas parler des hommes et des femmes comme détachés de la culture dans laquelle ils ont été élevés. Vous êtes façonné par votre environnement depuis que vous êtes né…

S.D.G. : Pas forcément. Moi, j’ai grandi dans un environnement qui n’avait strictement rien à voir avec le monde artistique. Je n’ai jamais baigné là-dedans et c’est uniquement par des rencontres fortuites que j’ai commencé à m’intéresser à cet univers. Je me suis dit que, au fond, ma nature, c’était ça et je me suis découvert. Rien ne me prédestinait à cette carrière artistique.

I.A. : Oui, mais les désirs que vous avez eus sont ceux qu’on vous a autorisé à avoir ou pas. On peut très bien être dans un environnement qui n’est pas artistique et quand même être encouragé à devenir artiste. Tout dépend si l’on est un homme ou une femme…

S.D.G. : Ecoutez, je trouve que le combat que vous menez a une raison d’être absolue. Mais le fait que vous le meniez avec autant de force et de violence, je trouve que, aujourd’hui, ce n’est plus vraiment opportun…

I.A. : De la violence ? Mais on n’a jamais cassé de McDonald’s ! Par rapport à d’autres mouvements, les féministes sont certainement les moins virulentes. Elles se contentent de dire des choses qui gênent et elles essaient simplement d’influer sur les événements. Leur virulence est assez calme et très civilisée…

S.D.G. : Bon, par rapport à tout ce que vous dites, je vous rejoins sur plusieurs points. Mais honnêtement, il y a tout de même une situation où l’on se rend compte clairement que la femme a le pouvoir, même si personne n’en parle : ce sont les relations amoureuses. Nous, les hommes, nous avons quand même quelque chose à revendiquer là-dessus. Moi je peux vous dire, en tant qu’homme, que les femmes ont le pouvoir absolu. Ce sont elles qui décident du moment où ça va se faire ou pas. Elles ont la clé.

I.A. : Moi, je vois plutôt les relations amoureuses dans le cadre de l’échange, de l’harmonie et du don mutuel…

S.D.G. : Bien sûr, mais la notion de  » pouvoir  » joue malgré tout son rôle. Il y a quelqu’un qui doit gérer cette décision et, en général, c’est la femme qui décide…

I.A. : Vous avez une drôle de vision des choses ! Moi, je ne vois que le désir mutuel et une situation dans laquelle il n’y a pas de pouvoir, du moins quand on se trouve dans une relation d’amour sincère. Si je vous comprends bien, vous voulez dire que quand la femme dit non, ça ne se fait pas, c’est ça ?

S.D.G. : Exactement !

I.A. : Oui, mais dans le cas contraire, ça ne se fait pas non plus !

S.D.G. : Mais l’homme dit rarement non !

I.A. : Je ne crois pas que les hommes ont plus souvent envie que les femmes. Je crois qu’on a donné aux hommes le droit d’avoir envie tout le temps et que les femmes n’ont toujours pas ce droit. Et ça, toutes les femmes le savent.

S.D.G. : Prenons le cas précis où un homme et une femme ont envie l’un de l’autre. Je vous garantis que la personne qui va donner le feu vert pour que cela se concrétise, c’est û en règle générale û la femme.

I.A. : C’est un point de vue. Moi, je vous répondrais que c’est à partir du moment où l’homme est prêt à entrer en action que les choses commencent !

S.D.G. : Vous parlez beaucoup au nom des hommes…

I.A. : Je parle beaucoup de ce que les hommes disent d’eux-mêmes et surtout de ce que les femmes me relatent à leur sujet. Vous savez, je suis une femme hétérosexuelle, donc j’aime les hommes. Enfin, j’en aime quelques-uns ! J’aime les hommes en tant qu’individus, en tant que compagnons, en tant que gens que je connais et que je fréquente, mais l’homme avec un grand H et même avec une grande hache, celui-là, je ne l’aime pas du tout. C’est l’homme de pouvoir. En gros, je n’aime pas le machisme.

S.D.G. : J’aimerais avoir votre point de vue sur un domaine qui me concerne directement. Pourquoi, selon vous, y a-t-il si peu de femmes humoristes ?

I.A. : Mais posez-vous plutôt la question suivante : que se passe-t-il quand une femme fait de l’humour ? Là-dessus, je peux vous répondre…

S.D.G. : Attendez, là, ce n’est pas une question d’être un homme ou une femme ! C’est une question d’être drôle ou pas.

I.A. : Je ne suis pas d’accord. Si une femme qui dit  » Putain, merde, couille, poil « , on va dire :  » Mais qu’est-ce qu’elle est vulgaire !  » Un homme, pas !

S.D.G. : Ça dépend de la manière. Il y a des hommes qui disent ça et qui paraissent vulgaires…

I.A. : Non, la vulgarité est une chose qu’on admet d’office chez un homme. Bigard est vulgaire, grossier et c’est accepté. On trouve même ça drôle. Une femme ne peut pas se permettre ça, même si ça commence petit à petit. S’il y a bien un domaine qui est un camp retranché des hommes, c’est l’humour ! C’est un monde particulièrement machiste. Qui finance les spectacles ? Qui les produit ? Qui décide ce qui est drôle ou pas ? Ce sont les hommes !

S.D.G. : Et Muriel Robin ? Elle peut dire  » Bite, couille  » et ça va faire rire les gens !

I.A. : Encore une fois, quand il s’agit des femmes, on peut les compter sur les doigts de la main. C’est l’exception, la femme alibi. Moi, je peux vous dire, pour avoir fait  » Les Grosses Têtes « , que l’humour féminin n’est pas bien perçu. Ce qui ne veut pas dire que les femmes ne sont pas drôles, bien au contraire !

S.D.G. : Maintenant, je vais vous donner mon point de vue et vous dire pourquoi il y a si peu de femmes humoristes. A mes yeux, l’humour naît toujours d’un décalage ou d’un  » accident « . On se trouve dans une situation ridicule. C’est û a priori û le type qui glisse sur une peau de banane. Le personnage se met en danger, il se ridiculise, il se diminue. Quand on voit Louis De Funès qui s’excite ou qui fait l’idiot, il ne le fait pas pour valoriser son image, bien au contraire ! Il se dégrade. Il y a matière à rire, à se moquer de lui. Or, par nature, la femme ne se dégrade pas. Elle n’a pas à se dégrader. Elle est séductrice. Elle a une image d’une belle fleur û je n’ai pas dit une belle plante ! û qui est censée séduire et sensibiliser son entourage. Donc, partant de là, il est difficile d’être drôle et de provoquer le rire en tant que femme, puisque cette image de séduction ne se déforce pas.

I.A. : A mon tour de vous donner mon point de vue. Il n’y a pas plus de femmes comiques pour les mêmes raisons qu’il n’y a pas plus de femmes directeurs des recherches, de femmes pilotes de formule 1 ou de femmes génies de la peinture, de la littérature ou de la musique. Ce sont les mêmes mécanismes d’exclusion.

S.D.G. : Et, bien sûr, les hommes ne s’en rendent pas compte…

I.A. : Non, les hommes ne s’en rendent pas compte et la meilleure preuve, c’est justement tout ce que vous venez de me dire aujourd’hui. Je ne crois pas que vous soyez méchant, agressif, ni même stupide…

S.D.G. : Merci !

I.A. : Donc, si je sors de ces hypothèses-là, la seule solution pour que je puisse comprendre votre point de vue, c’est que vous ne vous êtes pas trop posé de questions à ce sujet. Et je peux le comprendre puisque ça ne vous concerne pas directement. C’est une situation dont vous êtes, en tant qu’homme, le bénéficiaire. Vous avez tendance à ne pas y réfléchir, de la même manière qu’il ne m’est pas spontané de me poser la question de savoir quel est le vrai quotidien d’une personne qui a la peau noire à Paris ou à Bruxelles. Je m’en doute un peu, mais je ne peux pas le comprendre à 100 %. Alors, c’est justement pour donner une autre information aux hommes que moi, personnellement, je mène mon combat.

S.D.G. : Je trouve finalement que, pour une féministe, vous êtes tout à fait séduisante ( rires) !

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