Barbara Witkowska Journaliste

Derrière la texture réconfortante dont nous enduisons avec volupté notre visage se cachent des mois de brainstorming, des recherches HYPERpointues et des tests en cascade. Enquête au fond des éprouvettes, dans les laboratoires LVMH.

L e temps est révolu où un chimiste ou une esthéticienne surdouée concoctait des onguents selon des recettes ancestrales. Aujourd’hui, des scientifiques venant de tous horizons planchent pour nous faire la peau plus jeune et pour nous remonter le moral. Ce rapprochement entre les laboratoires cosmétiques et la communauté scientifique s’est réellement opéré dans le courant des années 1980, lorsque la cosmétique est vraiment entrée dans l’ère technologique.  » Dans les années 1990, Dior, Guerlain et Givenchy ont rejoint le groupe de luxe LVMH, explique Laurent Nogueira, directeur de la communication scientifique pour Givenchy. Chacun avait son propre labo de recherche. Or, dans la recherche, certains thèmes sont communs ; par exemple, les fonctions de la peau, étudiées par les biologistes. On a donc eu l’idée de réunir notre savoir-faire et de créer un même tronc commun de recherche fondamentale. Le département Recherche & Développement est né en 2000. Au total, 250 personnes se côtoient dans les labos, notamment des ingénieurs, des chimistes, des médecins, des pharmaciens, des coloristes, des spécialistes de biologie moléculaire. Certains chercheurs travaillent pour les trois marques, d’autres sont Givenchy, Guerlain ou Dior.  »

Le département Recherche & Développement propose de nouveaux concepts scientifiques et techniques et travaille main dans la main avec le marketing. Ce dernier étudie à la loupe notre mode de vie, nos achats préférentiels, l’évolution de notre environnement, les tendances à venir et aussi… les propositions de la concurrence. A cet environnement scientifique et culturel, il faut ajouter encore un vaste réseau de partenaires extérieurs. On fait fréquemment appel à des philosophes ou à des psychologues qui ont l’art de décortiquer les  » états d’âme  » de notre société. Lors de la conception de No Surgetics, le soin high-tech qui propose une alternative cosmétique pour retarder la chirurgie, Givenchy a £uvré longtemps avec un groupe de chirurgiens plasticiens.

Tous les  » acteurs  » alimentent la réflexion qui aboutit à la définition d’un plan de lancements de trois à cinq ans. A partir de là, l’empirisme n’est plus de mise. On recherche la sécurité, la stabilité et des principes actifs qui marchent. Et quand ça marche, on veut savoir pourquoi, comment et grâce à quoi. Autrefois, le monde de la cosmétique était régi par la législation de chaque pays. Aujourd’hui, tout a changé. La réglementation européenne est effective depuis la fin des années 1990 et chaque argument de vente (hydratation, effet antirides, effet autobronzant) doit être rigoureusement prouvé. Les composants doivent être indiqués sur les emballages. Très bientôt entrera en vigueur une loi imposant la mention de la date limite d’utilisation du produit après l’ouverture du pot. Pour mesurer l’efficacité d’une crème, on utilise des appareils ultraperfectionnés, issus de la physique, de l’électronique, de l’informatique, de l’optique, de la mécanique. On sait aussi fabriquer de la fausse vraie peau qui bronze sous UV, s’altère sous des détergents ou se régénère sous l’action de certains principes actifs. Les tests sur les animaux ? Ils sont interdits depuis longtemps. Pourtant, toutes les marques sont tenues, pour fabriquer leurs crèmes, d’acheter des matières premières testées, elles, sur animaux. Ces tests sont et demeurent encore obligatoires. Un projet européen vise toutefois à étendre les méthodes alternatives de tests (tests in vitro et sur peau artificielle) et à interdire bientôt tous les tests sur les animaux.

Les chercheurs sont confrontés à d’autres contraintes. Parfois, on dispose d’une bonne idée et de bonnes connaissances au niveau des matières premières, mais faute de techniques appropriées, le projet ne peut aboutir. Autre cas de figure : un produit fini au laboratoire s’avère impossible à réaliser à l’échelle industrielle. Sans oublier le choix du nom, moins innocent qu’on ne le croit. Il y a quelques années, Yves Saint Laurent s’est vu interdire, suite à un procès, d’utiliser le nom Champagne pour l’un de ses parfums. Un produit cosmétique touche aujourd’hui le marché mondial et doit répondre, de ce fait, à toutes les exigences réglementaires. Un réseau d’avocats dans le monde entier conseille la recherche d’un nom percutant, compréhensible dans toutes les langues et ne froissant aucune susceptibilité.

L’élaboration concrète d’un produit commence par la détermination de plusieurs facteurs : la cible, le concept, la formule et le packaging. La provenance des matières premières est variable. On n’utilise plus de principes actifs d’origine animale, on se tourne plutôt vers les actifs marins et vers le monde végétal. Sans oublier l’importance des molécules de synthèse.  » Ces dernières sont parfois plus intéressantes que les molécules naturelles, rappelle Laurent Nogueira. Dans les plantes, on rencontre des éléments toxiques. La composition des plantes peut varier selon les saisons. Or, lors de la synthèse, on réussit à mettre au point des molécules exemptes de tout  » poison  » et parfaitement stables. Dans No Surgetics, l’ingrédient phare est un lipopeptide d’origine synthétique. Il détend la peau à travers le système nerveux et repasse les rides d’expression.  » Vient ensuite le travail sur la texture. Les chimistes collaborent avec les physiciens pour évaluer les interactions entre les différentes molécules, mesurer la bonne pénétration des crèmes, leur tolérance, la stabilité des actifs sur la peau et l’adéquation de la texture et de son packaging. Si l’on prévoit un flacon-pompe, par exemple, la texture ne peut pas être trop épaisse. Cela dit, des formules bardées de diplômes, brevetées et intégrant les molécules les plus high-tech ne suffisent pas pour qu’une consommatrice les adopte. Si le soin n’est pas, en plus, doux, fondant, agréable…, elle ne l’utilisera pas ! Voilà pourquoi la cellule Connaissance des femmes alimente en permanence la réflexion du département Recherche & Développement. Chaque produit en cours d’élaboration est systématiquement analysé par des spécialistes qui jugent son odeur, sa préhension, s’il colle ou non, s’il brille ou non, s’il s’étale et pénètre bien, etc. Aujourd’hui, rien n’est laissé au hasard et surtout pas la dimension plaisir. Lorsque toutes les conditions sont réunies, à savoir l’efficacité, la sécurité, la stabilité et le plaisir, on entre concrètement dans le développement du produit. Commence alors la série des allers-retours entre le marketing et le labo. Objectif ? Peaufiner l’évolution et la perfection du soin. No Surgetics a effectué ainsi environ 30 allers-retours (ce qui a pris plus d’un an) avant de recevoir le feu vert et de pouvoir ainsi passer du laboratoire pilote à la réalisation industrielle.

Barbara Witkowska

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