Douze architectes et designers nous dévoilent leur vision de l’habitat du futur.

Christine Conix  » Les constructions ou rénovations d’aujourd’hui seront les habitats de demain. « 

 » L’habitat de demain devra être conçu comme l’espace d’interaction entre l’homme et son environnement. La demande d’énergie devra être réduite au minimum et il faudra même chercher des solutions pour en produire avec nos bâtiments. La flexibilité de l’habitat sera aussi un point clé. Un habitat qui  » dure  » doit être en mesure de s’adapter, sans trop de travaux lourds, aux modes de vie des occupants à différentes époques de leur vie, mais aussi à ceux des générations à venir. Il conviendra donc de ne pas trop  » figer  » les locaux dans une destination unique et de prévoir d’éventuelles extensions. Globalement, il faut que l’architecte suscite quelque chose de plus dans l’habitat et ne se contente pas de traduire le programme. Et il faut qu’il garde en mémoire que les constructions ou rénovations d’aujourd’hui seront les habitats de demain. « 

Cette architecte anversoise, auteure entre autres de la rénovation de l’Atomium, a conçu le pavillon belge pour l’Expo universelle de Shanghai qui ouvrira en mai prochain. En marge de ses projets à grande échelle, elle réalise également de nombreux projets pour des particuliers (photo).

Jean-Marie Massaud  » Une maison pour vivre sans toucher le sol. « 

 » Il s’agit d’un axe central vertical où viennent s’accrocher de nombreuses cellules d’habitation, préfabriquées, en kit, les plus légères et simples possible. Cet ensemble n’a pas de fondations, ni de racines, tout reste concentré dans ce mât. Ainsi, en l’enlevant, comme une herbe que l’on coupe, on ne laisse aucune trace, le sol ne subit aucun dommage, aucune pollution ou contamination. La maison du futur, désormais, ne peut fonctionner que comme un laboratoire. « 

Designer français dont les créations sont éditées entre autres par B&B Italia (photo), il développe avec l’Onera (Office

national d’études et recherches aérospatiales), le Manned Cloud, un hôtel volant de 20 chambres.

Ronan et Erwan Bouroullec  » Ramener le végétal et les animaux dans la maison. « 

 » Elle sera avant tout moins spécifique que les constructions actuelles, où les espaces sont trop cloisonnés. Les volumes devront être le plus ouvert possible, les cloisons transparentes, légères, mobiles. L’uniformité sera aussi à éviter. Pour l’ameublement, il faut garder des traces du passé en mélangeant meubles et objets ayant une histoire, à des créations contemporaines. « 

Les deux frères dessinent pour de nombreuses maisons d’édition, telles que Magis, Ligne Roset ou encore Vitra, pour qui ils ont imaginé, en 2009, la Chaise Végétale (photo).

Christian de Portzamparc  » On ouvre la porte, et hop on passe de la ville à la savane. « 

 » Ouverte sur la ville le matin, sur un lieu sauvage à midi et le soir sur un lointain fabuleux, cette maison sera multiple. Selon le principe d’un train fantôme, c’est une maison linéaire, elle s’ouvre, dans chaque pièce, sur un paysage différent. Elle partirait d’une placette urbaine, s’immergerait dans la forêt, ressortirait au bord d’une crique où elle recevrait du bas la lumière réfléchie par l’eau. Et puis je ne m’y vois pas seul. Concevoir et habiter, ce sont deux choses. Si je les fonds, c’est avec Elizabeth, ma femme. Cette maison linéaire aurait commencé il y a vingt ans, se déroulant comme une métaphore de la vie. « 

L’architecte français a signé le musée Hergé (photo), inauguré à Louvain-la-Neuve en 2009, et planche sur la refonte du quartier européen, à Bruxelles.

Julien De Smedt  » Construire des habitats à partager. « 

 » La ville devient un lieu où les gens partagent leur existence avec les autres : via le covoiturage, les locations de vélosà Pourquoi ne partagerions-nous pas également notre maison ? J’ai un appartement à Bruxelles et un autre à Copenhague. Avec des amis, nous avons aussi échangé nos clés. J’ai donc également un appartement à New York et deux à Paris. On pourrait, dans le futur, construire des habitats à partager, facilement adaptables aux besoins de leurs habitants. L’architecture doit, elle aussi, évoluer. Aujourd’hui, nous isolons tellement les constructions qu’elles deviennent hermétiques. Il y a d’autres solutions. Si nous concevons des bâtiments avec des façades qui peuvent être aisément remplacées, on pourra bientôt profiter des progrès rapides des technologies du verre. Cela permettra de créer des ouvertures qui apportent davantage de lumière dans la maison, sans pour autant avoir besoin d’énergie supplémentaire. D’ici à cent ans, on aura donc, peut-être, une structure identique de construction, mais avec une  » peau  » différente. « 

L.C. n

L’architecte belge mène des projets d’envergure à travers le monde, notamment le tremplin à ski d’Holmenkollen et un stade de

40 000 places pour les Championnats du monde 2011 à Oslo (photo).

Mario Botta  » Le rêve doit rester un rêve. « 

 » J’aime rechercher une position géographique merveilleuse, avec le lac, la mer, la montagne. La maison est ancrée dans le paysage construit par le travail d’autres hommes avant nous. Quant à l’écologie, il n’y a pas que du bon dans ce qui se dit aujourd’hui. On crie à la  » sustainabilité « , on veut du  » développement durable « . Bien. Mais la vérité est que l’on a perdu le cap. Il faut le retrouver avec les moyens de l’architecture – organisation de l’espace – et pas seulement avec des matériaux technologiques performants. La bonne architecture a toujours été écologique, un abri face aux intempéries, la pluie, le soleil. Des porches, des brise-soleil, des seuils, des filtresà On a brûlé tout cela et on a concentré toutes les contraintes dans l’épaisseur d’une feuille de verre. On le paie très cher ! « 

L’architecte suisse est réputé pour son architecture géométrique aux formes élémentaires. Un exemple : la villa Redaelli à Bernareggio

en Italie (photo).

Xavier Lust  » Le meuble et sa charge émotive garderont une place importante. « 

 » Ce sera un habitat autonome, qui se suffit à lui-même d’un point de vue énergétique. On pourrait même se rapprocher des concepts de certaines sociétés primitives qui vivent depuis longtemps en harmonie avec leur environnement. Plus tard encore, je pense qu’il y aura peut-être une fuite de notre planète vers d’autres plus accueillantes. Dans ce cas, le logement pourrait devenir un élément hypercompact, le quotidien se vivant virtuellement. Quoi qu’il arrive, le meuble gardera néanmoins une place importante dans cette maison futuriste car il contient une grande charge émotiveà D’ailleurs, je pense que dans un avenir plus ou moins lointain, on pourrait voir se développer des maisons mobiles. On ne déménagera plus le contenu d’une maison, on déplacera directement le contenant. « 

Designer bruxellois, Xavier Lust

collabore beaucoup avec MDf Italia qui édite d’ailleurs enfin son

portemanteau Boabab (photo).

Arik Levy  » Le lieu où trouver l’amour. « 

 » Elle n’est pas celle qu’on croit qu’elle sera. Ce dont nous avons besoin est de rester humain, de continuer à être des êtresà La technologie ne compensera pas les émotions, le contact et les sentiments. Il nous faut des espaces bien conçus, avec des volumes respectables et de bonnes proportions. Nous avons besoin de flexibilité pour le corps, la famille et l’esprit. « 

Que ce soit à travers ses créations pour divers éditeurs design, le dessin d’une bouteille pour Issey Miyake ou son

travail sur l’image de Swarovski, le designer

israélien Arik Levy bouscule les codes. Comme avec ce feu ouvert

Planika (photo).

Ingo Maurer  » Toute espèce de règle en la matière serait un cauchemar. « 

 » Il est essentiel de prendre davantage en compte l’éclairage naturel, et de façon plus intelligente. La lumière du jour pourrait aussi être dirigée de manière à créer des impressions mystiques, spirituelles. Les aspects écologiques devraient également avoir la priorité. Les jardins verticaux, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur, sont une façon très intrigante de combiner esthétique et bénéfice pratique pour l’air et la température. En général, je pense que les lieux dans lesquels nous vivons, quelle que soit leur forme ou leur taille, peuvent prendre une importance plus grande dans nos vies si on les conçoit comme lieu de retraite (refuge) pour nos familles et nous-mêmes. « 

Ce designer allemand a réalisé l’éclairage de la station de métro Münchner Freiheit

à Munich, inaugurée en novembre 2009. Il crée également nombre de nombreux

modèles de luminaires aux formes novatrices (photo).

Marcel Wanders  » Elle ne fera pas table rase du passé. « 

 » Ma maison rêvée est un vieux château très beau où la technologie, qui n’est pas une chose très intéressante, sera invisible, dissimulée derrière les murs. Mais comme nous sommes des êtres humains avec un corps, il y aura toujours des lits, des tables, des chaises. Et comme nous avons tous une mémoire et une histoire, il y aura des objets traditionnels qui nous relient au passé et disent ce que nous sommes. « 

Le créateur néerlandais a notamment aménagé le Kameha Grand Hotel à Bonn en Allemagne (2009). Il réalise également des intérieurs pour particuliers tels que la Casa son vida à Majorque (photo).

Fernando et Humberto Campana  » Elle s’adaptera à n’importe quel environnement et à la nature. « 

 » Avant tout, nous pensons que la maison du futur sera notre téléphone et notre ordinateur. Nous vivons déjà avec, il nous reste à trouver comment tenir dedans. De manière plus utopique, la maison du futur sera faite d’une sorte de gaz, un gaz qui pourra prendre la forme de murs ou de meubles. Elle pourra s’agrandir et se rétrécir à volonté, sera opaque ou transparente selon les besoins. Ce gaz n’aura aucune odeur, offrira une bonne acoustique et un vrai confort thermique. Et sera source de lumière. « 

Ces deux frères d’origine brésilienne secouent la planète

design avec des concepts à contre-courant, souvent

déjantés. A l’image de ce meuble à roulettes revêtu de cuir vernis, Segreto pour Edra (photo).

Charles Kaisin  » Le container du futur sera mobile. « 

 » Il faut utiliser la bonne terminologie et ne pas parler de maison – car ça fixe déjà une forme – mais bien d’habitat du futur. Pour moi, ce dernier prendra la forme d’un container. Quand j’étais au Japon, j’ai vécu dans 12 m2 mais je ne ressentais pas la petitesse du lieu car j’avais une belle vueà Cette ouverture est le critère principal pour rendre un espace minuscule agréable à vivre. Il faut aussi que ce module intègre un maximum de fonctions – avec des murs qui servent d’armoires par exemple. Une chambre doit pouvoir devenir un salon ou un bureau au fil de la vie des occupants. Enfin, le container du futur sera aussi – même si c’est utopique – mobile. Tout comme ceux qui contiennent des marchandises, il sera acheminé par bateau où les habitants le désireront. Bien sûr, ce genre d’habitat convient davantage à un célibataire ou à un couple sans enfant. Mais pour une famille, on pourrait imaginer de coller plusieurs de ces cellules les unes aux autresà « 

Le designer bruxellois exposera au printemps prochain à Milan. Il est connu tant pour sa réflexion sur les matériaux de réutilisation, qui l’ont mené à la création du Newspaper bench, un banc conçu à partir de journaux, que pour ses aménagements d’intérieur, tel que le bar Pixel (photo) à Bruxelles. Lire aussi en page 66.

COORDINATION : FANNY BOUVRY ET LEEN CREVE, F.BY., E.V., G.B.-C., J.-F.P., M.C., I.F.

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