Deux villes, Bruxelles et Anvers. Deux styles, deux origines, deux horizons de mode particuliers. Mais un seul amour de la (belle) mode belge pour Chris Janssens et Fabienne Kriwin.

On dirait la chanson de Jacques Brel intitulée  » Le Plat pays « , où le Sud rencontre le Nord et où  » Frida la Blonde devient Margot « . Sauf qu’ici, l’allusion à la France se mue en réalité francophone: Fabienne Kriwin, dans la capitale, et Chris Janssens, au coeur de la belle cité scaldienne, ont, quelque part, un destin croisé. Celui d’artistes du vêtement, inspirées par cette Belgique unique et multiple à la fois. Celui, aussi, de femmes d’affaires capables d’assurer l’indépendance et la (bonne) santé de leur business de mode sans avoir, autour du cou, la bride d’un méga-groupe de mode ou d’un financier mêle-tout. Celui, enfin, de mères soucieuses, malgré leurs responsabilités professionnelles, de gérer sans parcimonie leur  » patrimoine famille « . Naturellement, l’Anversoise et la Bruxelloise possèdent chacune, à l’aune de leurs racines, de leurs cultures et de leurs coups de coeur, une façon bien à elles d’appréhender le vêtement, d’interpréter l’allure au féminin. Rencontres…

César & Rosalie: scénario stylé

 » Je puise mes inspirations tous azimuts, confie Fabienne Kriwin (40 ans), initiatrice de César & Rosalie. Nous voyageons pas mal, j’aime les spectacles d’humoristes comme Valérie Lemercier et j’ai un faible pour le 7e art, en particulier les films qui relatent des tranches de vie.  » Voilà pourquoi la créatrice bruxelloise a baptisé, il y a déjà douze ans de cela, sa collection  » César & Rosalie « , en hommage au film éponyme où évoluent Romy Schneider, Sami Frey et Yves Montand. Fabienne Kriwin a étudié le droit à l’Université libre de Bruxelles, comme papa. Mais ce n’est pas sur la trame de la carrière juridique que la jeune femme tissera les fils de sa passion.  » Je suis née dans une famille d’industriels textiles ( NDLR: les ex-établissements Salik qui fabriquaient du jeans, des pantalons en laine ou velours, des manteaux, des peausseries…) et c’est, bon sang ne peut mentir, vers le monde vestimentaire que je me sentais attirée. »

Fabienne débute dans le métier, en tant qu’assistante ès style, par la réalisation de pièces à manches. Cette expérience lui donne envie de démarrer son propre business de mode et elle commencera par importer des produits italiens en maille ( NDLR: la maille représente la pierre angulaire de César & Rosalie).  » Ne possédant pas de connaissance spécifique en maille, j’ai voulu prendre langue auprès de pros du tricot… qui se sont empressés de me décourager!  »

N’écoutant pas les  » C’est beaucoup trop technique, tu vas te planter « , Fabienne Kriwin finit par dégotter une excellente formation  » on the field  » en Italie, près de Modène. C’est là, d’ailleurs, que ses collections sont toujours produites aujourd’hui.  » J’y ai fabriqué ma toute première collection principalement composée de pulls amples.  » Elle annonçait déjà mon leitmotiv « easy-to-be », précise celle qui privilégie le confort classe, la spontanéité allurée et le naturel. Je ne m’accroche pas aux tendances comme un naufragé à son radeau; mais je puis volontiers les suivre en douceur « .

Après Saint-Germain-des-Prés et les silhouettes  » jolie môme  » façon Juliette Gréco qui illustraient sa collection de l’hiver dernier, César & Rosalie s’articule, pour ce printemps-été 2002, autour d’une ode à la lumière et à la légèreté. Les fils, sophistiqués, scintillants ou satinés engendrent une garde-robe  » sportswear chic  » où le coton (mercerisé, au naturel, jersey) flirte avec la fine maille viscose et le Lurex. Spécialiste du détail  » qui tue « , la créatrice a aussi imaginé des pulls ornés d’un drapeau américain rebrodé de pierres de cristal Swarovski et déclinés dans des tons francs (bleu, blanc, rouge, chocolat…). Sans oublier, sur les diverses pièces de vêtement, une myriade de motifs en relief et de broderies réalisées à la main.

Ces ambassadeurs d’une féminité intemporelle traduisent pile-poil la personnalité et la philosophie de Fabienne Kriwin.  » J’aime la discrétion mâtinée de personnalité, à mille lieues des labels sur-logotisés et m’as-tu-vu, souligne cette mère de deux enfants de 4 et 9 ans. Je veux proposer à mes clientes un univers cohérent, peuplé de produits qui sont là pour être reconnus mais pas subis.  » Dont acte: à sa ligne perso, Fabienne ajoute des vêtements, accessoires et objets design triés sur le volet et signés, entre autres, Paul Smith, Isabel Marant, Antik Batik, Sophie Digard (écharpes hors du commun), Puma et Adidas (tennis), l’Artisan Parfumeur, etc.  » J’apprécie ces griffes dont l’identité très forte se couple à un esprit à la fois pur et fantaisiste. « 

Cette manière d’envisager la mode et, plus globalement, l’art de vivre sans dictature de style(s) et sans étiquette, Fabienne l’applique aussi dans ses boutiques à l’enseigne ( NDLR: sept au total plus une quinzaine de points de vente en Belgique).  » A présent, je désire développer César & Rosalie via les multimarques et les détaillants belges. Ensuite, je vais explorer les marchés français et britanniques, des pays pour lesquels j’ai toujours eu un faible.  » Chez César & Rosalie, tout est une question de temps et d’identité à préserver: osons, à ce propos, paraphraser le sage adage du  » chi va piano va sano  » en  » qui veut aller loin ménage sa structure « .

Chris Janssens: recherches et simplicité

 » Mon métier est l’aboutissement d’un désir d’enfant: nous étions une famille nombreuse et, budget oblige, ma mère fabriquait elle-même nos vêtements. Moi, je l’observais et puis je l’imitais en habillant mes poupées », se souvient Chris Janssens (34 ans). Pour donner de l’étoffe à ses rêves, Chris étudiera la technique de l’habillement durant ses humanités. Elle entreprendra aussi une formation en dessin, histoire d’être acceptée à la prestigieuse Académie d’Anvers…  » J’ai abandonné en route car le processus pour réussir à l’Académie me semblait trop long. Moi, je voulais travailler directement.  » Ce sera chose faite: la jeune femme met le cap sur Bruxelles où elle va collaborer à Salut l’Artiste, la collection de Guillaume Thijs ( NDLR: le  » boss  » du label Chine) puis à 22 Octobre chez Olivier Strelli, de 1989 à 1992.  » Ces expériences m’ont ouvert des horizons nouveaux: j’ai touché à pas mal d’aspects du métier de styliste et j’ai acquis une confiance en moi-même qui m’a poussée à voler de mes propres ailes.  » Il y a dix ans, Chris Janssens démarre une mini-collection de pulls baptisée Let it Be.  » Je n’avais pas d’investissements trop lourds à supporter et je savais que ce type d’article partirait facilement.  »

Chris, qui a passé six ans à Bruxelles, décide alors de revenir à Anvers, sa ville natale, où elle se met en quête d’un show-room pour présenter ses créations. Son affaire croît rapidement et la créatrice, qui a déjà deux enfants ( NDLR: aujourd’hui, ils sont trois, âgés de 6, 3 et 1 an), éprouve le besoin de s’établir dans un endroit nettement plus vaste. Partie de quasi rien en 1994, elle dirige actuellement une entreprise d’une dizaine de personnes dont son époux,  » préposé aux paiements et aux finances « , précise-t-elle avec un sourire malicieux.

 » Au début de l’an 2000, nous avons trouvé cette superbe maison de maître, une ancienne école d’infirmières en fait et nous y avons installé nos pénates, les bureaux, l’atelier et le show-room.  » Soit dit en passant, entre boulot et famille – nombreuse -, la  » tribu  » Janssens est drôlement bien organisée…

Chris crée des vêtements destinés à une femme rayonnante, confiante en elle-même et sachant écouter les voix de sa personnalité plutôt que les  » sirènes  » des tendances:  » Je privilégie le geste artisanal – broderies appliquées à la main, sérigraphie -, les finitions léchées et la qualité des matières premières presque exclusivement importées d’Italie. Quant à la façon, je fais confiance à des unités de production belges dont le talent n’est plus à démontrer.  » Ses modèles véhiculent une valeur ajoutée tout en restant simples: ici, pas de détails superflus ou de fanfreluches responsables de la hausse fulgurante du prix d’un vêtement.  » En outre, je ne veux pas obéir aux tendances car si je les applique à la lettre, mes vêtements se retrouveront en moins de deux copiés et vendus dans des réseaux de grosse distribution. « 

Qu’elle se rassure, sa collection printemps-été 2002, où élégance rime avec ambivalence, où les lignes droites épousent les formes ludiques et où les contrastes s’effleurent sans se froisser, dégage une identité imparable. Le coton (mousseline, prélavé…), la viscose Stretch, le cupro (soie lavable) et la maille ultrafine s’entendent pour présenter une mode agréable et légère. Aux vestes non doublées –  » un best-seller absolu!  » s’exclame Chris -, aux chemises interprétées de mille façons (en cache-coeur, robe-chemisier, tunique, etc.), aux costumes d’homme judicieusement féminisés répondent des robes et des jupes aux plissés délicats et… pleins d’éclat.

 » Avant d’entreprendre une nouvelle collection, j’avale un maximum d’informations (magazines, livres, TV, le monde autour de moi…) et je me rends au salon Première Vision ( NDLR: la Mecque des tissus) où je sélectionne toutes sortes de tissus rehaussés de détails originaux. Ensuite, j’élabore les croquis, patronnages et prototypes avec mes collaborateurs. Et là, nous réfléchissons ensemble aux moyens de rendre telle ou telle pièce encore plus percutante.  »

Les modèles signés Chris Janssens subissent donc une évolution marquante et patiente, à l’instar de son réseau de points de vente. Hormis le flagship store d’Anvers, la griffe compte une quarantaine de points de vente en Belgique –  » Vu ses ambiances cosmopolites, c’est un pays génial pour tester un label  » -, et des présences ciblées à l’étranger tel Liberty’s à Londres, Paris, Saint-Tropez, Rome, le Japon et, récemment, les Pays-Bas et Vienne.  » Vendre hors Belgique signifie mettre en place une stratégie particulière. Développer une deuxième collection adaptée au goût étranger, avoir des agents sur place qui assurent la promotion de la marque, faire de la pub, s’afficher dans les salons internationaux de la mode, etc. C’est jouable, du moment que l’on avance à pas comptés et pas tête baissée… Je compare volontiers mon business avec ma famille: tout est venu petit à petit. Et le résultat en vaut la peine, non? « 

Carnet d’adresses en page 162

photos 1 et 2 page 90

Marianne Hublet

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