Le nouveau directeur de création chez Delvaux adore relever les défis. Et déteste faire les choses à moitié. Deux traits de caractère qui l’ont mené de la scène à la mode, de Liège à Bruxelles et de Tokyo à Paris. Rencontre avec un créatif polymorphe.

Certains posent les jalons de leur existence selon un ordre prévisible, rigoureux et linéaire. D’autres voient leur vie se construire de manière plus anarchique, ricochant sur un coup de c£ur, bifurquant au fil de petits bonheurs ou de grandes rencontres, rebondissant sur la magie de l’instant. Didier Vervaeren fait partie de ceux-là. L’homme aurait pu être scénographe, il fait autorité dans le milieu de la mode belge. Né à Liège, il a Bruxelles dans la peau. A contre-courant de tout plan de carrière, il a lancé ses propres griffes avant d’explorer les chemins de traverse de la mode. Mais, pour lui comme pour d’autres, ce chaos n’est qu’apparent : qui scrute dans le détail la trame complexe de son destin verra qu’elle aussi obéit à un ordre puissant, dans lequel le hasard a finalement moins d’importance que le besoin irrépressible de s’exprimer à travers la création.

 » J’ai toujours eu une sensibilité artistique et l’envie de dessiner, décrypte celui qui occupe depuis octobre dernier le poste de directeur du studio de création chez Delvaux. A 18 ans, la mode m’intéressait mais La Cambre (NDLR : Ecole nationale supérieure des arts visuels) en était encore à ses balbutiements, je n’étais pas trop au courant des programmes.  » Se sentant malgré tout à l’étroit dans sa ville de Liège, Didier Vervaeren débarque à Bruxelles.  » J’avais besoin d’espace, de perspectives ouvertes, se souvient-il. Pour cela, Bruxelles est la ville idéale. Elle permet d’être à la fois dans la proximité et dans l’anonymat. On n’y ressent pas cet étouffement dont on peut souffrir dans un univers plus étriqué, où l’on est engoncé dans des habitudes.  »

C’est finalement via la section scénographie des Beaux-Arts que Didier Vervaeren prend son premier envol. Au fil de différents projets théâtraux, il réalise cependant que le vêtement l’intéresse par-dessus tout. Il étudie alors le stylisme à La Cambre, tout en continuant à travailler comme scénographe. Depuis une petite dizaine d’années seulement, il a coupé le fil qui le rattachait à la scène. Aujourd’hui, il ne reste plus de cette période que quelques souvenirs de moments fabuleux, au National ou à la Balsamine.

D’Hyères au Japon

Parallèlement, Didier Vervaeren, encore en deuxième année de stylisme, fonde le label Union pour le vêtement avec les futurs Own, qui terminent alors leurs études de sérigraphie, à La Cambre également. Le Festival à Hyères, qui promeut les jeunes créateurs, sert de catalyseur à une carrière qui démarre en force : les trois comparses s’y voient en effet décerner le prix de la meilleure collection mixte. Dans la foulée, ils présentent celle-ci à Paris. Séduits, des clients nippons achètent leurs créations, assurant ainsi la pérennité de la toute jeune griffe trois années durant.  » Un autre projet s’est rapidement greffé sur le premier, explique Didier Vervaeren : on nous a proposé de dessiner une collection pour une nouvelle marque japonaise du groupe Yohji Yamamoto, désireuse de s’implanter à Paris.  » Pendant trois ans, sous l’étiquette Transcontinents Transcoopérative, les jeunes Belges continuent à appliquer les codes définis au sein de l’Union pour le vêtement. Une collaboration qui amène Didier Vervaeren à maîtriser les rouages complexes de la commercialisation d’une griffe…

Encore impliqué dans le théâtre, toujours étudiant à La Cambre, déjà plongé corps et âme dans la mode belge, le futur directeur de création de Delvaux vit plus qu’intensément. Début 1998, brutal changement de cap : la fin de ses études coïncide, hasard de la vie, avec la rupture avec les Own.  » Ce qu’on avait commencé pour s’amuser était devenu, par la force des choses, plus contraignant, analyse-t-il. Et puis, en trois ans, on avait tous mûri, on ressentait d’autres envies, j’avais acquis un regard différent. On n’était plus du tout sur la même longueur d’onde.  » Radicalisme de la jeunesse oblige, l’Union pour le vêtement se découd du jour au lendemain.

Pique-nique magique

Entre-temps, Didier Vervaeren a rencontré Xavier Delcour, qui prépare alors sa deuxième collection.  » Je lui ai lancé : on va défiler à Paris. C’est le moyen le plus efficace d’imposer ton esthétique, ton point de vue sur la mode, le corps et le vêtement « , sourit celui qui partage, aujourd’hui encore, la vie privée et professionnelle du talentueux styliste bruxellois. Perfectionniste dans l’âme, Didier Vervaeren frappe aux portes des meilleurs pros. Etienne Russo, qui orchestre les défilés des pointures de la mode à Paris, New York ou Berlin, accepte d’emblée de collaborer avec eux. Au même titre que Laurent Dombrowicz, un des incontournables du milieu (il a notamment découvert Olivier Theyskens), qui convainc Michel Gaubert, metteur en sons des plus grands fashion shows, de les suivre dans l’aventure. En janvier 1999, le premier défilé de Xavier Delcour a lieu à La Cigale, à Paris. Depuis, Didier Vervaeren continue non seulement à échanger avec lui son point de vue sur la création, mais aussi à organiser sa communication, ses défilés, ses ventes ou encore le suivi de ses productions. Entre autres. Car, comme il le concède, il a  » besoin de travailler. Ça me fait peur de me l’entendre dire, mais les vacances ne me sont pas nécessaires « . Petits et grands projets ponctuels viennent donc nourrir une carrière tentaculaire. On retiendra notamment son rôle de directeur artistique lors de la célébration des 10 ans de Modo Bruxellæ, en octobre 2004.  » Quand on m’en a fait la proposition, j’ai sauté dans le projet à pieds joints : pour moi, faire parler de la mode à Bruxelles est une nécessité « , insiste-t-il. A cette occasion, il met notamment sur pied l’exposition  » You are my favourite « , dans laquelle des personnalités bruxelloises éclectiques livrent des éléments de leur dressing et expriment leur rapport intime au vêtement.

A nouveau, ces réalisations en amènent d’autres : un an et demi plus tard, Didier Vervaeren embarque avec le même enthousiasme pour Mode Design Brussels 2006, projet de grande envergure qui fera vibrer la capitale au rythme de la création une année durant. Il monte notamment, au Cinquantenaire, l’expo  » New Harmonies « , qui confronte le patrimoine bruxellois de la mode à des créations contemporaines.  » En point d’orgue de Mode Design Brussels 2006, un pique-nique blanc était prévu sur la Grand-Place, enchaîne-t-il. Elvis Pompilio, qui en était le concepteur artistique, m’avait chargé de la coordination. Je voulais que tout soit parfait, cela a représenté six semaines de boulot intense avec le Bureau des Grands Evénements, 180 invités triés sur le volet, autant de personnel pour assurer le montage, le service, la mise en place…  »

L’univers Delvaux

La date fatidique du 17 août approche, et la pluie ne s’arrête pas, hypothéquant la réussite de ce déjeuner sur l’herbe exceptionnel.  » Le jour même, il a pourtant fait très beau et très chaud, sourit Didier Vervaeren. Je retiens de tout cela la magie de l’instant.  »

Peut-être parce que François Schwennicke, administrateur délégué de Delvaux, est lui aussi sous le charme, sans doute parce que ses qualités à la fois créatives et organisationnelles le rendent incontournable, certainement parce que son destin protéiforme en a décidé ainsi, Didier Vervaeren se voit proposer, en septembre dernier, le poste de directeur du studio de création du célèbre maroquinier. En octobre, il prend donc la relève de la créatrice belge Laetitia Crahay, qui se consacre désormais uniquement à Chanel. Aux commandes du  » studio  » de Delvaux, il s’agit pour lui de diriger les collections mais aussi de canaliser les collaborations avec les partenaires extérieurs sur des projets ponctuels. Très vite, plusieurs chantiers sont menés de front, visant à redéfinir un  » vocabulaire  » Delvaux et à étoffer les collections, notamment avec des accessoires, des foulards…  » Je voulais proposer un univers plus riche, pour arriver à raconter une histoire autour de chaque sac emblématique « , explique-t-il. Le défi est d’autant plus complexe qu’il s’inscrit dans la tradition d’une grande maison.  » Il fallait donc proposer de la nouveauté, mais mise en abîme par rapport à un patrimoine « , souligne-t-il. Pari gagné haut la main, puisque les quelque 250 pièces de la collection hiver 07-08 ont en commun une identité forte, précieux alliage de codes dépoussiérés et de lignes contemporaines très graphiques.  » Mes proches me disent souvent que, chez Delvaux, j’ai trouvé ma place « , conclut Didier Vervaeren. Jusqu’au prochain défi ?

Delphine Kindermans

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