Pendant l’été, Le Vif Weekend zoome sur ceux qui ont choisi la Belgique. épisode 1/7 : Erna Ómarsdóttir, danseuse mais pas seulement. Sur scène, en sus, elle chante, crie, éructe, rit, charrie les émotions à sa façon. Islandaise et universelle.

Une scène sans rideau. émergeant d’un nuage de fumée, un quintet qui file illico la chair de poule, pas de trouille, mais d’émotion, venue des tréfonds. Cinq femmes, cheveux dans les yeux, cachés derrière une longue, très longue tignasse, l’attribut féminin par excellence. Bientôt, elles seront en état de transe. Puis nonnes, sorcières, s£urs, putains, mères, amies, épouses polygames et filles de secte.

Parmi elles, une boule de feu, une femme au regard translucide, à la voix animale, Erna Ómarsdóttir, danseuse et chorégraphe, auteur de cet inclassable et grandiose Teach us to outgrow our madness, ce qui signifie Apprenez-nous à dépasser notre folie, tout un programme.  » J’ai toujours été exhibitionniste « , dit-elle. Depuis la nuit des temps, Erna danse:  » C’est dans mes gènes.  » Depuis l’enfance, elle se donne en spectacle, avec son frère, à la fenêtre de sa maison. Cela se passait à la fin des années 70, à Kópavogur, petite ville islandaise, pas très loin de Reykjavik. Aujourd’hui, Erna soutient que la danse l’a  » sauvée « ,  » même si cela sonne un peu cucul « . Sans elle, elle serait quelque part dans l’espace. Ou ailleurs. Alors que là, elle est dans son corps et avec ce corps, dans ce monde-ci, bien vivante.

Ce qui frappe chez elle ? Son énergie, qu’elle fait parfois taire d’un rapide mouvement, une main qui attrape une boucle de cheveux bruns et la caresse répétitivement, une épaule rejetée en arrière, une chute sur scène et puis cette voix qu’elle a si douce et qui soudain dans un micro ressemble à celle d’une sorcière en furie, tendance métal.  » J’ai été un peu choquée moi-même quand j’ai entendu pour la première fois cette voix qui venait de mes entrailles « . S’il ne faut s’étonner de rien avec elle, c’est parce qu’elle fait tout pour s’étonner elle-même. On ne peut pas regarder Erna Ómarsdóttir sans être renvoyé à un monde intérieur, celui de nos démons. D’ailleurs, elle adore les monstres, les films d’horreur, tous ces traumas qui la hantent parce que petite, elle a vu Halloween et que ce n’était pas de son âge. Alors quand elle fait travailler ses danseuses sur Teach us to outgrow our madness, en résidence à Turnhout, dans un couvent désert, elle n’hésite pas à leur faire voir sa collection de films d’horreur. L’endroit s’y prête parfaitement, au point qu’elles ont vraiment la trouille et décident de s’astreindre à les regarder non plus le soir mais le matin, pour  » l’esthétique « , matière première très théâtrale.

Ajouté à cela tout ce qui habite son estomac, Erna pose la main sur son ventre, là où nichent  » des choses qui l’effraient ou l’intriguent  » depuis longtemps et qui finissent par trouver leur chemin vers la réalité.  » Je ne sais comment expliquer « , murmure-t-elle en rappelant que si elle danse, chante, crie, c’est parce que parler n’est pas sa spécialité. Elle l’a vraiment compris par illumination. Vu un spectacle de la chorégraphe Maguy Marin, pressenti qu’on pouvait faire quelque chose d’autre avec la danse que ce qu’elle avait appris jusque-là. Quitté l’Islande pour Rotterdam et l’Académie de danse, qui  » tua  » à petit feu technique sa  » passion de bouger « . Elle découvre alors Anne Teresa De Keersmaeker et file s’inscrire dans son école, à Bruxelles, promotion P.A.R.T.S. 1998. C’est le début d’une carrière, le mot lui convient si peu, qui enchaîne les collaborations audacieuses et protéiformes, avec Jan Fabre, Sidi Larbi Cherkaoui, Björk, Placebo ou l’Iceland Dance Company, la liste est loin d’être complète.

Depuis quinze ans, Erna est donc un peu d’ici. Elle en aime la bière, son verre de Leffe corrobore l’aveu, et le reste,  » le côté multiculturel  » de la capitale, la place du Samedi qui ne ressemble guère à une place. Ce qui ne l’empêche pas de fantasmer souvent : elle s’achèterait une ferme perdue au milieu de nulle part, dans le Grand Nord islandais, à Isafjordur, elle la retaperait et y inviterait des artistes en résidence. Elle y apprendrait à dépasser notre folie.

Anne-Françoise Moyson

Apprenez-nous à dépasser notre folie.

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