Dans un livre aussi pertinent que délicieux, l’historienne Fabienne Casta-Rosaz analyse une cinquantaine d’expressions du vocabulaire amoureux. Nous avons demandé à quatre écrivains de les commenter.

« Avoir un faible « ,  » lune de miel « ,  » septième ciel « ,  » consommer « ,  » conclure « ,  » scène de ménage « ,  » draguer « ,  » séduire « ,  » baiser « ,  » battre la chamade « ,  » la passion « ,  » poser un lapin « ,  » être libre « , mais aussi  » nouer l’aiguillette « ,  » proposer la botte « ,  » mon ami(e) « ,  » kiffer « ,  » une bombe « … Pour L’amour, ça vous dit ? (1), dans le registre ô combien riche du vocabulaire amoureux, Fabienne Casta-Rosaz, auteure de Histoire du flirt (2) et de La Sexualité en Occident (3), a pioché très arbitrairement une cinquantaine de mots et d’expressions qui lui  » parlent « , tout simplement. Et qui parleront, c’est à n’en pas douter, à tout un chacun.

Partant du principe que la plus belle aventure – du latin adventura,  » ce qui doit arriver  » – de la vie reste l’amour, cette dame de c£ur s’est amusée à en explorer les aléas, pour le meilleur et pour le pire.  » Le vocabulaire amoureux est à la fois marqué par une très forte pérennité et par des inflexions très nettes, passant d’un registre à l’autre au cours des siècles « , souligne d’emblée cette jolie brune, diplômée de Sciences po et docteur en histoire. Ainsi,  » battre la chamade « , une expression qui appartient à l’origine au vocabulaire militaire et désignait le signal donné au tambour par des assiégés pour montrer leur intention de parlementer ou de se rendre. La chamade – de l’italien chiamare, appeler -, message envoyé aux troupes ennemies, appel à la raison, voire à l’abandon, en est venu à évoquer, à partir du xixe siècle, cette perte de contrôle, cet affolement du palpitant résigné à ne plus résister.

 » L’évolution du langage amoureux reflète celle des m£urs, rappelle Fabienne Casta-Rosaz. Les valeurs guerrières ont longtemps été dominantes dans la société féodale, il était glorieux de tomber au champ d’honneur. Avec l’avènement du libertinage au xviiie siècle, c’est l’amour qui devient une forme de guerre, mais en dentelles, comme en témoignent Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos.  » Reste que  » conquérir « ,  » posséder « ,  » rendre les armes « ,  » coup de foudre  » ont la vie dure : à croire que, de tout temps, l’amour est resté un combat… Rude, aussi, ce  » tomber amoureux « , transposition évidente de l’anglais  » to fall in love « , qui a pris le pas sur le  » s’enamourer  » du vieux français.

 » Finalement, on retrouve aujourd’hui cette connotation guerrière lorsqu’on qualifie une femme de  » bombe », comme si elle était devenue une arme en soi, un vrai « canon », avec son « regard qui tue ». La guerre des sexes s’est bel et bien inversée.  » Décryptage de Jean-Paul Goujon, professeur de philologie française à l’université de Séville et auteur d’une Anthologie de la poésie amoureuse française, qui vient de paraître chez Fayard :  » Le Moyen Âge, qui n’était ni chaste ni prude, fait alterner le langage joyeusement cru et obscène de certains trouvères et du lyrisme populaire, avec les douceurs parfois monotones des troubadours et du roman courtois. Forte et pleine de sève, la Renaissance s’affirme souvent païenne, et adopte un langage ardent et direct, qui n’exclut pas la tendresse. Avec le baroque, la parole amoureuse devient pailletée, métaphorique, et parfois éperdue. Au milieu du xviie siècle, le classicisme vient imposer de nouvelles règles au langage, qui se codifie, pour adopter un vocabulaire plus réduit, où les mots, en apparence redevenus neutres, sont chargés d’une signification extrême. Vient le xviiie siècle, avec sa langue limpide, où l’esprit, l’allusion osée, le jeu de mots hardi dominent.  »

Fabienne Casta-Rosaz, elle, ne s’en cache pas : « J’ai choisi des termes qui m’ont marquée, amusée, irritée, qui m’interpellaient car ils en disent long sur notre façon d’aimer. Par exemple, je me souviens avoir dit un jour à quelqu’un qui me courtisait : « Je ne suis pas libre. » Comme si être amoureux signifiait une sorte d’aliénation, un manque de liberté.  » Autre choix, toujours aussi subjectif : le verbe  » kiffer « , qui vient de l’arabe et renvoie directement au haschisch.  » Je ne connaissais pas ce mot, qui dit bien l’état d’hébétude, l’ivresse de la rencontre, combien l’amour est stupéfiant…  » Du  » baiser  » à  » baiser « , le basculement s’est lui aussi produit de longue date :  » Baiserai-je mon père ? » se demandait déjà le jeune Thomas Diafoirus dans Le Malade imaginaire, faisant rire les spectateurs de Molière. Mais c’est au xixe siècle que l’expression rimera avec  » berner « , avant de passer à la  » baise  » autrement plus argotique.

 » Ce mot « baiser » embrasse particulièrement les contradictions de la psyché, estime Fabienne Casta-Rosaz. Les mots derrière les mots ont une histoire propre, les mots ont des idées, sont des images.  » Mots émouvants et mouvants, sous-entendus et malentendus… Assurément, le c£ur n’a toujours pas sa langue dans la poche !

(1) L’amour, ça vous dit ? Petit vocabulaire amoureux. Ed. Textuel, 141 pages.

(2) Ed. Grasset, 2000.

(3) Ed. La Martinière, 2004.

Sortir ensemble (1) Par David Foenkinos

 » Je trouve incroyable cette expression « sortir ensemble ». Mais pour aller où ? Nulle part ! Quand je sors avec quelqu’un, je veux rester chez moi. Je veux entrer sous ma couette, et m’enfermer. Alors je me demande : ça veut dire quoi, sortir ensemble ? Pour les ados, je crois que c’est sortir sa langue. Sortir avec quelqu’un, c’est s’embrasser. Je me dis d’une manière plus poétique que sortir ensemble, c’est décider de quitter ce monde où l’on est un. On entre dans une histoire en sortant. On sort de sa vie d’avant, celle où l’on ne connaissait pas cette personne qu’on embrasse maintenant. Pour moi, c’est ça, sortir ensemble, et certainement pas aller au restaurant ou au cinéma. On extirpe de la masse des humains la personne qu’on va aimer. On lui prend la main, et on lui dit : « Viens avec moi, on fuit les autres, on sort ensemble »… « 

Auteur de Lennon, Plon. Lire aussi en page 89.

Poser un lapin (2) Par Catherine Cusset

 » Il est huit heures cinq. J’ai couru comme une folle. J’arrive en sueur au pied de la statue, où d’autres gens attendent. Il n’est pas là. Je suis sûre que ce n’est pas parce qu’il est pris dans les embouteillages ou qu’il est parti en retard comme moi. Je me rappelle ma peur quand j’ai composé son numéro avant-hier, mon étonnement qu’il me reconnaisse et qu’il accepte de faire quelque chose le vendredi soir. Ma conviction le lendemain, quand le téléphone a sonné, qu’il rappelait pour décommander. Mon soulagement quand le vendredi est arrivé sans qu’il ait annulé. Mon hésitation devant mon placard, les heures passées à choisir la tenue qui m’aille bien, qui soit cool. Ma joie croissante sur le chemin du rendez-vous. Il m’a posé un lapin, bien sûr. Ce qu’on désire, on ne l’obtient pas, sauf après avoir renoncé, peut-être. C’est comme ça. C’est la loi. « 

Auteure de Un brillant avenir, Folio.

Tomber amoureux (3) Par Colombe Schneck

 » Tomber amoureux est certainement l’expression la plus inadéquate de ce dictionnaire. On ne tombe pas amoureux. N’importe qui ayant fait l’expérience de ce sentiment merveilleux sait qu’il s’agit exactement du contraire. On s’élève amoureux, on monte amoureux, on s’envole amoureux, on plane amoureux, on escalade amoureux, on atteint des sommets amoureux, on survole amoureux, on voltige amoureux, on devient l’un pour l’autre au-dessus du commun, beau, inaccessible, génial, drôle, infini, vos gestes, vos mots, votre peau, vos organes, le contenu de votre réfrigérateur, vos souvenirs d’enfance, vos défauts deviennent les choses les plus passionnantes du monde. Le reste, tout ce qui n’est pas l’autre et vous, reste à plat, vous nagez dans un ciel délicieux, en attendant les jours, les mois, les années où vous tomberez à nouveau dans un état normal. « 

Auteure de Une femme célèbre, Stock.

Passion (4) Par Régis Jauffret

 » Sans passion, la vie m’épuise. Les amours paisibles sont comme des pantoufles, elles ont le charme du laisser-aller. Mais on ne peut pas aller très loin quand on les chausse, et on tourne en rond de la chambre au salon en se demandant pourquoi il ne se passe rien. La passion n’est pas toujours liée à l’amour. Si l’activité qui occupe vos jours ne vous dévore pas, vous pouvez être sûr que vous ratez votre vie. L’humain est une mèche qui doit produire une flamme vive, et pas se consumer comme un boulet de charbon. On reconnaît un cadavre à son calme, à sa sérénité, à son absolue sobriété. Le vivant est un ogre jamais repu. La passion, c’est cette façon d’être toujours sur le qui-vive, comme une bête sauvage, un félin dans la brousse. Sans passion, on mène une vie d’animal domestique, et on lèche la main du maître. « 

Auteur de Tibère et Marjorie, Seuil.

Par Delphine Peras

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