La Wallonie a enfanté une belle brochette de grandes gueules partageant un goût prononcé pour la cocasserie doucement frondeuse et le rire sauce poivrée. Une marque de fabrique ?

Que serait le cultissime C’est arrivé près de chez vous sans l’accent provincial de ses ignobles protagonistes ? Les  » Perduuuu « ,  » Mer amère marâtre  » et autres  » Reviens gamin, c’était pour rire  » sans les  » r  » roulés, les voyelles traînantes et les éructations verbales crachées par le nez ? Imaginer un seul instant Benoît Poelvoorde asséner ses mantras de philosophe-tueur avec la suffisance pincée d’un Parisien de souche propulse le film dans un univers impossible, froid comme une lame. La coloration régionale chaleureuse et faussement bon enfant de cette pépite de provocation en noir et blanc constitue clairement un des ingrédients essentiels pour que la sauce du film prenne. Indigeste et succulente.

Un peu comme les tartes préparées avec amour-haine par Noël Godin, alias Le Gloupier, Bruxellois d’adoption, né en 1945 au pays de Tchantès et Nanesse.  » Liège est plus drôle que Bruxelles, assume le doux anarchiste. Plus démesurée, plus spitante. J’ai beaucoup de tendresse pour ma ville d’origine, j’aime son électricité affectueuse, son humour sauvage et facétieux.  » Une manière de rire incarnée selon lui par des artistes tels que Jacques Charlier, flingueur des snobismes dont le monde de l’art se gargarise ou par Jacques Lizène,  » Petit Maître liégeois « , apologiste de la médiocrité et fondateur de l’Institut de l’Art Stupide.  » Ils partagent une espièglerie frondeuse, le goût du canular et de la farce, un état d’esprit euphorique permanent, s’enthousiasme Godin. J’aime leur truculence truffée de néologismes et d’expressions de terroir. « 

Parlant tarte à la crème, la question idoine ? Poelvoorde, Godin et les néodadaïstes liégeois – appelons-les comme ça – seraient-ils les enfants d’un éventuel surréalisme wallon ?  » Même si cela me fait beaucoup rire, ce n’est pas parce que l’on entarte des célébrités que l’on est surréaliste, répond Xavier Canonne, directeur du Musée de la photographie à Charleroi, par ailleurs auteur d’une somme sur le surréalisme belge (1). Certaines personnes ont été étonnées de ne pas retrouver Le Gloupier et Charlier dans mon livre. Mais le surréalisme, c’est une éthique bétonnée par un programme politique, artistique et intellectuel. Eux sont dans la provoca-tion, le nihilisme, la critique d’un système, ce qui n’est pas tout à fait pareil.  » Cela dit, relève néanmoins Xavier Canonne,  » cette éthique n’empêchait pas les surréalistes de faire des farces, l’humour étant très important pour eux. A cet égard, René Magritte et Louis Scutenaire, tous deux Wallons, adoraient jouer les andouilles de province avec une certaine gouaille, dans une ambiance « entre nous ». Un exemple : Magritte, qui a roulé les « r » jusqu’à la fin de sa vie, adorait jouer aux échecs. Ça se passe à la taverne Le Greenwich, à Bruxelles. Un jour, il met le grand Chambellan échec et mat et lui lâche : « Vous avez joué comme une grosse biesse. » « 

Aujourd’hui, cette tendance à surjouer les consonances provinciales reste effectivement un moyen vivace pour faire se poiler l’assemblée et dédramatiser les ambiances cul-serré. Pour Jacques Charlier qui réfute avec hilarité la quelconque existence d’un humour wallon –  » un humour wallon ! Ahahahaha  » – les incrustations de dialectes intraduisibles en bon français au c£ur d’une conversation peuvent le  » faire pleurer de rire alors qu’elles ne feront pas mouche ailleurs. Voilà peut-être une particularité, qui réside plus dans la forme que dans le fond « . Avec une autodérision sans concessions, mâtinée de tendresse pour ses nobles origines, la belle ville de Theux, Philippe Gouders alias Raoul Reyers alias Super Wallon avait ainsi fait de son personnage confit de  » bon sens wallon  » un des personnages les plus tordants de feu La Télé Infernale, sur la RTBF.  » Certaines situations en Wallonie sont tellement hallucinantes qu’il vaut mieux en rire plutôt que de catastropher « , réagit l’intéressé, producteur du Jeu des Dictionnaires et de la Semaine Infernale sur la Première. Où sévit la relève de la dérision sudiste : le flamboyant Sérésien Benjamin Schoos, alias Miam Monster Miam. Qui caresse les oreilles des auditeurs avec ses parodies de baraki de kermesse, djôsant comme  » Papa « , amateurs de rap franglais, de caisses  » tunées  » et de gomina. Du foutage de gueule en règle qui reste ici encore succulent parce que conscient, comme le dit le styliste liégeois Jean-Paul Lespagnard (lire en pages 39 à 41), qu’on  » est toujours le binâmé d’un autre « . n

(1) Le Surréalisme en Belgique, 1924-2000, Fonds Mercator, 2006.

Par Baudouin Galler

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