Johan Muyle produit depuis plus de vingt ans une ouvre où se mêlent l’émerveillement et une réflexion profonde sur le monde. En exclusivité pour Weekend, l’artiste contemporain nous ouvre les portes de sa maison, près de Liège. Une demeure tout aussi atypique et inclassable que lui.

Pas le temps de souffler après l’immense succès de l’expo Sioux in Paradise qui a attiré la grande foule, en automne dernier, au palais des Beaux-Arts à Bruxelles. Secondé par son équipe d’assistants, Johan Muyle met aujourd’hui la dernière main aux sculptures qui seront présentées prochainement à Art Paris et à Art Brussels. Il propose de nous rencontrer dans le calme, un samedi après-midi. Après plusieurs déménagements, l’artiste s’est posé dans une vaste maison située dans la banlieue de Liège, occupée, jadis, par un liquoriste. L’espace, très généreux, permet de réunir au même endroit ses activités professionnelles et privées.

On commence par faire un tour de l’atelier. Devant le visiteur, toute la  » philosophie  » de l’artiste se dévoile d’un coup. Des milliers d’objets hétéroclites, éclectiques, précieux, sophistiqués ou  » pauvres  » (boîtes, statuettes, tasses, verres, roues, lampes, tuyauxà) envahissent tables, étagères et sol. Un jour, ils finiront dans ces sculptures invraisemblables et singulières que les collectionneurs s’arrachent.  » Mes sculptures fonctionnent par ajouts et retraits, explique Johan Muyle. Je les rends mobiles en y intégrant des éléments de narration. Je fictionnalise le quotidien et me construis ainsi au fur et à mesure ma propre réalité. Comme dit Panamarenko :  » On se fait en faisant son art « . « 

Puis, nous nous dirigeons vers la cage d’escalier qui mène aux espaces privés de la maison. Théâtralisée, elle est peinte en rouge et vert, décorée d’affiches, de tableaux et d’une superbe robe rouge, dessinée pour la performance Plus d’opium pour le peuple. Notre hôte nous invite à lever les yeux. Au plafond, notre regard capteà le sien, admirablement saisi, en version XXL, par un peintre indien.  » Cette peinture prend tout son sens en montant l’escalier, s’esclaffe Johan Muyle. A plus modeste échelle, elle représente le regard de Dieu. Les créateurs doivent avoir un peu de prétention et se mettre en concurrence avec Dieu.  »

A l’étage, le hall d’entrée est entièrement tapissé, portes comprises, de journaux indiens. Un jour, l’artiste a eu sous la main un paquet d’anciens exemplaires périmés et il a eu l’idée de les utiliser comme papier peint, histoire d’accrocher et pérenniser les histoires qu’ils racontent. Une façon originale, aussi, de dissimuler les neuf portes, si peu décoratives. Pour les différencier et pour faciliter le parcours d’un visiteur distrait, les portraits de différentes personnalités signalent les pièces. Les W-C se trouvent derrière Staline, la salle de bains derrière Lénineà Une foule d’objets, tambours, lampions chinois, moult petits tableaux et dessins, une collection de croix de procession, complètent la décoration.

Dans le salon, Johan Muyle a fait fabriquer par ses amis designers Georges Lonneux et Pierre Jeghers, de la société liégeoise Naos, une  » bibliothèque à objets  » qui tapisse quasi tous les murs. On y épingle une collection de coucous, des nains de jardin, des objets publicitaires, des étuis, des boîtes musicales, des personnages en terre cuite, des soldats de plomb, des lampes à pétrole, une médaille commémorative de Barack Obama, le chapeau pachtoune du commandant Massoudà La liste est infinie. Au plafond,  » flotte  » une ancienne hélice récupérée à l’aéroport d’Ostende. Dans un coin, un mannequin indien habillé d’un boubou commémorant la visite de la reine Fabiola au Congo sourit au visiteur. Comment ne pas être émerveillé devant tant de fantaisie et d’imagination ?

La cuisine, en revanche, paraît quasi minimaliste avec ses murs peints d’un vert rafraîchissant, le mobilier intégré en zébrano dessiné par Naos et la grande table en chêne massif. Du plafond dégoulinent quelques objets volumineux et insolites, un gille de Binche, une antilope, un sac à dos, souvenirs d’une autre vie où Johan Muyle créait des décors pour le théâtre et pour le cinéma.

On s’installe, en compagnie de son épouse Hélène autour d’une tasse de thé vert pour un dernier point sur la décoration.  » Chez nous, rien n’est figé, s’enthousiasme l’artiste. Je n’ai pas de stock de mes £uvres. Je ne suis pas collectionneur, je garde juste quelques souvenirs et quelques £uvres d’amis. Les objets sont  » en devenir « , tout est en mouvement perpétuel. « 

Cet univers intime reflète son propre parcours et son évolution. Né à Charleroi de parents flamands, Johan Muyle suit des études d’arts à Charleroi, Namur et Bruxelles et s’installe, enfin, à Liège. Il débute en réalisant des décors de films et des scénographies de théâtre. Puis produit des  » sculptures d’assemblages  » en utilisant des animaux taxidermés, remplacés rapidement par des objets trouvés dans des brocantes dans le monde entier et, plus tard, sur Internet. Suit la période indienne, après la découverte, à Madras, du travail artisanal de peintres qui réalisent des affiches géantes, d’environ 3,50 m de hauteur, destinées à promouvoir le cinéma de Bollywood. Fasciné par cet art à la fois populaire et sacré, il effectue dix-sept voyages en Inde où il fait réaliser ses propres projets par ces artistes en voie de disparition.

Il y a cinq ans, il revient à ses premiers amours : les sculptures d’assemblages.  » Pour moi, l’art est une manière de regarder le monde, souligne Johan Muyle. Il me permet de formuler une place d’acteur dans le monde. J’ai du mal avec des courants artistiques tels le symbolisme ou le surréalisme. Ma préoccupation est  » humaniste « . Je regarde le monde au travers des objets des humains. Je ne peux pas me départir de l’ancrage populaire. Je veux être dans la réalité du monde. Plus je vais vers les autres et plus je me découvre moi-même. « 

Parmi ces milliers d’objets, quel est son préféré ?  » Peut-être la Harley-Davidson, confie-t-il. Je l’ai depuis vingt-cinq ans. Quoiqueà Un jour, elle pourrait finir dans une sculpture. Je tiens par ailleurs vraiment à ma  » cabane  » en bois, maison-sculpture-atelier perché dans les arbres sur les bords d’une ancienne carrière près de Liège. Ce n’est pas une démarche écolo. C’est mon bout du monde à moi. De temps en temps, j’ai besoin de me mettre  » en congé du monde « . « 

Carnet d’adresses en page 134.

Barbara Witkowska l Photos : Renaud Callebaut

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