Barbara Witkowska Journaliste

Un parfum, c’est aussi une belle histoire. Mais comment les grands parfumeurs traduisent-ils nos désirs en images et en flacons ? Quels sont les signes qui vont susciter en nous l’envie d’acquérir une nouvelle fragrance ? Ou de racheter un grand classique ? Avec Weekend, glissez-vous dans les coulisses de la création, au pays de l’imagination et des rêves.

Des diamants qui dessinent le mythique chiffre 5 sur l’une des plus belles chutes de reins du monde, une sirène blonde sensuellement lovée dans des draps en soie de couleur or, le regard lumineux d’une femme solaire… Ces images ultraglamour qui accompagnent trois parfums de légende ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont le reflet d’un long et passionnant parcours intellectuel dont le but est de surprendre et titiller notre imaginaire, de nous faire rêver. Aujourd’hui, pour dynamiser les ventes et rester dans la course, il faut innover, se faire remarquer, étonner à tout prix. Sans pub, point de salut. Si les marques dépensent des fortunes pour lancer leurs derniers-nés, elles ne doivent pas pour autant négliger les valeurs sûres que l’on habille de neuf régulièrement. Pour garder le N° 5 au sommet (il reste le parfum le plus vendu de la planète), Chanel ne lésine pas sur les moyens. Après Catherine Deneuve et Carole Bouquet, l’actrice Nicole Kidman prête sa plastique irréprochable à la nouvelle campagne publicitaire.  » Nous l’avons choisie pour sa présence et sa manière dont elle communique la séduction, s’enthousiasme Jacques Helleu, directeur artistique de Chanel. C’est une fée de la séduction. J’aime ses yeux, la manière dont elle vous charme avec son regard immense, et tout ce qui fait qu’elle magnétise le public de tout son être.  » La belle Australienne joue la plus grande star du monde dans un film de deux minutes, signé Baz Luhrmann qui l’a déjà dirigée dans  » Moulin Rouge « . L’histoire raconte un amour fou avec un inconnu qui débouchera sur une rupture, la belle préférant une vie de glamour et de paillettes à celle de l’anonymat. Nicole Kidman reste dans son rôle, celui d’une femme universellement adulée, somptueusement habillée par Karl Lagerfeld et parée de rivières de diamants.  » Le N° 5 est un mythe absolu, conclut Jacques Helleu. L’idée du rêve est éternelle et les gens ont envie de rêver. Ici, le rêve, c’est un personnage incarné.  »

Casting de rêve, aussi, pour la nouvelle campagne J’Adore de Dior : Charlize Theron devant l’objectif, Nick Knight à la caméra et John Galliano à la direction artistique. Oscarisée pour son rôle dans  » Monster « , actuellement à l’affiche dans  » La Vie et la mort de Peter Sellers  » plusieurs tournages en cours, l’actrice américaine finit l’année en beauté. Pourquoi elle ?  » Elle s’est imposée, a déclaré John Galliano. De toutes les icônes blondes du cinéma hollywoodien qui ont sublimé l’image du glamour et de la féminité, de Marilyn à Grace Kelly, Charlize n’est-elle pas la plus digne héritière ? » Pour nous immerger dans le rêve nostalgique, Charlize Theron évolue dans la plus pure ambiance hollywoodienne des années 1950. Imaginez un bâtiment immense, plongé dans le noir. Seul, un plateau est éclairé par une lumière dorée. L’icône platinée s’abandonne aux draps d’or qui caressent avec volupté les courbes de son corps. Après la déesse mi-sacrée, mi-païenne, plongée dans un bain d’or qui, pendant cinq ans, a fait chavirer d’émotion des millions de femmes dans le monde, Dior signe avec maestria un nouveau chapitre de la légende J’Adore.

Chez Lancôme, le rêve ne s’inscrit pas dans la nostalgie. Il a une connotation spirituelle,  » new age « , très contemporaine. L’actrice allemande Diane Kruger succède à Uma Thurman et prête désormais sa sensualité à Miracle. Elle s’est fait remarquer, en 2003, dans  » Mon idole  » de Guillaume Canet. Cette année, sa carrière a pris une dimension internationale. Elle était Hélène de Troie dans le film  » Troie  » de Wolfgang Peterse et on la verra dans  » National Treasure « , aux côtés de Nicolas Cage. Les atouts qui lui ont permis de décrocher le rôle enviable de l’ambassadrice de Lancôme ?  » Une beauté solaire, un talent fou, et un mélange irrésistible de grâce et de détermination, a indiqué Marc Dubrule, directeur général international de la marque. Nous ne pouvions rêver mieux que Diane Kruger pour incarner le parfum Miracle et transmettre son message d’énergie positive et d’accomplissement de soi aux femmes du monde entier.  » La jolie blonde glisse telle une danseuse dans un paysage urbain sous un ciel gris et menaçant. D’un geste gracieux de la main, elle déchire la couche opaque de nuages. Le ciel devient rose et limpide. La jeune femme rayonnante et tout sourire s’offre en spectacle, incarnation parfaite du rêve d’une vie nouvelle, paisible et sereine.

La tentation de l’innocence

De nos jours, créer un nouveau parfum relève du défi et son élaboration dure des années. Comment  » habiller  » un parfum, lui donner une enveloppe, une forme et une identité visuelle ? L’exploitation du rêve, une fois de plus, s’avère d’un grand secours. Aujourd’hui, plus que jamais, les femmes ont besoin de féerie pour nourrir leur quotidien ou pour s’en évader. Cette  » obligation  » de faire rêver touche aussi le parfum. Christian Dior aimait à répéter que le parfum est une porte ouverte sur le monde de l’imaginaire. Et il soulignait que les couturiers ont un très beau rôle à tenir, car dans la mesure où la marraine de Cendrillon n’exerce plus, dans notre monde privé d’éblouissement, le couturier joue à l’enchanteur.  » Aujourd’hui, rien n’a changé, la mission de Dior consiste toujours à raconter des histoires, explique Thomas du Pré de Saint Maur, directeur marketing international produits parfumants chez Dior. Prenez les défilés de John Galliano. A chaque fois, on a l’impression d’ouvrir un livre de contes…  » Pour construire les premières esquisses du nouveau parfum, il s’est donc plongé dans les histoires et dans les légendes universelles. Il a fait aussi un tour dans les archives de la maison. Alors, il est tombé sur la légende de la Belle et la Bête, racontée déjà dans un parfum singulier, nommé Poison, sorti en 1985. Thomas du Pré de Saint Maur s’est dit qu’il serait dommage de faire mourir cette légende de grande séductrice qui a fait tant parler d’elle. D’où l’envie de la raconter à nouveau, mais différemment.  » Aujourd’hui, séduire, ce n’est pas dézipper une jupe ou enlever un top, précise le directeur marketing. La séduction est une histoire plus sophistiquée et plus complexe.  » Consultée, la maman de Thomas du Pré de Saint Maur s’est montrée d’un grand secours. C’est elle qui a soufflé que Blanche Neige et Cendrillon restaient toujours, dans l’inconscient collectif, les séductrices les plus pures. Le nom, Pure Poison, s’est donc imposé tout naturellement.  » Nous avions ce trésor, Poison, et avons décidé une réécriture moderne de la même histoire, elle le mérite. Cette interprétation fait partie de la logique d’une maison de luxe qui consiste à garder un pied dans l’éternité et un pied dans la modernité .  » Le jus ? C’est un grand floral. La séductrice contemporaine privilégie un grand bouquet de fleurs blanches, composé de tubéreuse, de lys, de jasmin et de fleur d’oranger. Elle aime la dualité entre leur couleur immaculée et virginale et leur arôme charnel, puissant et enivrant. Le flacon emprunte ses rondeurs à l’écrin de Poison, mais il est blanc, laiteux, animé par un arc-en-ciel de reflets irisés. Il ressemble à un miroir, premier témoin de la séduction. En contraste, la boîte de couleur pourpre, couleur de l’empoisonneuse, met en valeur la puissance du blanc.  » Il semblerait que ce parfum ait un réel effet aphrodisiaque sur les hommes, souffle Thomas du Pré de Saint Maur. Il sent la chair, il est à la fois sexy et rassurant. Bref, il sent… maman.  »

Une espièglerie olfactive

Né en 1992, Angel de Thierry Mugler ouvrait un tout nouveau chapitre de la parfumerie. Ce praliné-chocolat-caramel, présenté dans une belle étoile de verre, annonçait la famille des jus  » orientaux gourmands « . Enveloppant et charnel, il a séduit et fidélisé des milliers de femmes. Mais les adeptes très jeunes, tous comptes faits, l’auraient préféré un rien plus frais et léger, moins capiteux. En 1998, Thierry Mugler leur a proposé Angel Innocent. Tout en ayant beaucoup d’affinités avec Angel, ce jus est une vraie création olfactive. Dragée, praline, confiserie y sont toujours, mais le côté oriental est atténué, tandis que les notes d’agrumes sont surdosées. Ludique, il offre aussi une nouvelle gestuelle, car son flacon en aluminium brossé s’inspire d’une bombe aérosol.  » Le jus a énormément plu, se réjouit Daphné Léopold, responsable de la communication internationale chez Thierry Mugler. Il y a eu une vraie acceptation de la part de la consommatrice. Angel Innocent a pris son véritable envol en 2002 et s’est placé parmi les 35 parfums les plus vendus au monde. Nous avons donc décidé de couper ses liens avec Angel et de lui offrir son indépendance .  » Il ne restait plus qu’à inventer une histoire à Innocent et lui tailler un nouvel habit, digne d’un vrai parfum. En verre, donc. Thierry Mugler a dessiné un élégant fourreau cylindrique, inspiré des lignes rigoureuses Art déco, période clé pour le couturier. La symbolique étoile traverse le flacon de part et d’autre. On la retrouve en creux dans le bas, en relief sur le capot. L’histoire d’Innocent s’invente petit à petit et impose l’image d’une femme espiègle, sophistiquée mais accessible, savamment séductrice mais innocente.  » Légère comme un elfe, troublante comme un félin, elle séduit par une sensualité nonchalante et insouciante, tout en nuances, note Christophe de la Taillade, directeur de l’image chez Thierry Mugler. On est loin du glamour flamboyant incarné par Angel.  » La femme-chatte évolue sur un terrain de jeu onirique. Elle est nue et masquée, pour sublimer le jeu et accentuer son regard perçant. D’où ce parti pris de renoncer aux référents urbains trop marqués et de choisir un univers minéral. L’image finale évoque une carrière de Carrare, sous un ciel bleu opalescent. En réalité, il s’agit d’un faux couloir de marbre, recréé en studio. Il est profond de 14 mètres et construit avec trois tonnes de sable. Puis s’est posé le choix du photographe. Dans le passé, Thierry Mugler en personne (il est aussi photographe professionnel) assurait toutes les prises de vue des campagnes publicitaires de ses parfums. Pour Innocent, il a souhaité que ce soit  » une femme qui s’exprime sur une femme « . Il a pensé à Françoise Huguier. Certes, elle a filmé ses défilés de couture, mais est spécialisée, avant tout, dans le photo-reportage. Françoise a donc abordé la femme féline avec un £il particulier, bien à elle. Le maquilleur Topolino a habillé le mannequin avec des poudres nacrées pour sublimer la pureté de son corps. La lumière est irisée, presque blanche. Dans cette atmosphère irréelle, la belle affiche sa nudité simplement et naturellement. Dans ce spectacle, rien n’évoque l’indécence, mais bien l’innocence…

Le rêve, toujours

Fondée en 1932, la maison Nina Ricci est une maison parisienne par excellence. Dans le monde entier, elle évoque le luxe à la française et symbolise le rêve romantique. Les parfums ont rejoint la couture juste après la Seconde Guerre mondiale et s’accompagnaient d’un idéal fort. C£ur Joie, né en 1946, tournait la page des années sombres et annonçait une ère nouvelle, pleine d’optimisme. En 1948, le célèbre L’Air du Temps, dans son joli flacon coiffé de deux colombes, se faisait le messager de paix, de liberté, d’amour et de pureté ( lire aussi pages 32 à 35). Très attentif à la personnalité de ses parfums, Robert Ricci, le fils de Nina, voulait que chacun d’eux soit une histoire d’amour.  » Robert Ricci souhaitait donner à la réalité les couleurs du rêve, indique Margerie Barbès-Petit, directrice internationale marketing Nina Ricci. Notre griffe fait rêver. Cela dit, le rêve est accessible, à la portée de toutes les femmes. C’est une marque-amie.  » Love in Paris, le dernier-né, est un parfum qui déclenche  » le rêve de l’amour « , très romantique, ouvert et fantasmé.  » C’est le premier parfum qui exprime Paris de manière aussi forte et directe « , ajoute Margerie Barbès-Petit. Le nom, composé de plusieurs mots, s’inscrit dans la lignée de la maison. Exprimé en anglais, il donne au parfum une touche de modernité, tout en respectant la poésie, l’une des valeurs de Nina Ricci. Le travail sur le flacon s’inscrit dans l’histoire et se place idéalement entre le classicisme de l’écrin de L’Air du Temps et le sobre minimalisme de Premier Jour (la fragrance précédente). La forme est moins épurée (certains y voient un sac stylisé) et empreinte d’une symbolique forte. Sa silhouette contemporaine mais sophistiquée évoque un n£ud, motif emblématique de la maison. Le travail sur le verre, très recherché avec ses gravures subtiles, interprète bien la personnalité de Nina Ricci, toute en féminité et en délicatesse. La fragrance ? C’est un joli floral sensuel avec un départ très frais, comme un coup de foudre. Dans le c£ur s’épanouit un grand bouquet de roses et de pivoines, accompagné, dans le fond, par des accents chaleureux de vanille et de bois. Le sillage, sans être envahissant, est tenace et présent, car  » une femme qui rêve d’amour ne passe pas inaperçue « . L’image publicitaire exprime d’une façon très juste cette volonté de flottement entre le rêve et la réalité. Dans le fond, la tour Eiffel scintille, la lumière est féerique et magique, la jeune femme parée d’une robe de soie aux reflets azurés semble prête à toutes les surprises que le destin lui réserve. Le rêve Love in Paris peut commencer.

Barbara Witkowska

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