Léonard, le label à l’orchidée, ne perd pas les pétales. En l’an de grâce 2002, la griffe quasi quinquagénaire a tout d’une belle plante. Engrais miracle? Non, fusion sans querelle des anciens et des modernes.

Les plus jolies fleurs sont aussi celles qui avouent les plus solides racines et le meilleur terreau. A l’instar de la maison Léonard, fondée dans les années 1950 et cultivée avec soin, dès 1958, par un jardinier du style nommé Daniel Tribouillard. Pour éviter  » l’effet de serre  » d’une mode internationale, aseptisée et sans véritable identité, celui-ci a décidé de greffer des  » jeunes pousses  » (Michèle et Olivier Chatenet, tandem parisien virtuose et mordu de vintage) aux tiges originelles de son label. L’opération est une réussite, Daniel Tribouillard et le couple de stylistes partageant la même passion du geste artisanal, des matières raffinées et de l’individualité vestimentaire. En clair, la collection été 2002 par Olivier et Michèle Chatenet pour Léonard a le charme buccolique d’un poème virgilien mêlé à l’ambiance chicissime d’une balade sur les rivages d’Ibiza.  » On pourrait qualifier ces vêtements de leasure wear version luxe, constatent Michèle et Olivier. Ils s’adressent à des femmes qui voyagent, qui ont beaucoup de loisirs et partent volontiers à la recherche du soleil, en été mais aussi en hiver. A la limite, ils sont de toutes les saisons « .

On aimerait, en effet, traverser les mois et les climats dans ces blouses diaphanes, ces robes dont le décolleté dorsal (dé)voile un début de string, ces polos seconde peau dotés d’un col bénitier tombant jusqu’au nombril, ces pantalons frais comme la rosée matinale, ces djellabas coulant littéralement sur le corps ou ces capes-tuniques parsemées d’une pluie neigeuse… Entre nonchalance et sensualité, les fleurs, les rayures et les motifs animaliers impriment à l’ensemble un rythme soutenu dont l’effervescence est tempérée par des coloris tendres et des  » plages  » apaisantes de tissu uni. Inspiration, respiration…

 » Nous avions flashé depuis longtemps sur cette marque, enchaînent Olivier et Michèle Chatenet ( NDLR: celle-ci est une fan et possède plusieurs robes vintage). C’est une aventure excitante et si Daniel Tribouillard nous avait déjà proposé, voici dix ans, de rejoindre son équipe, nous serions arrivés dare-dare. Chez Léonard, outre le savoir-faire original et originel, il y a une volonté de ne pas entrer tête baissée dans le système actuel de la mode. Il s’agit d’un des rares labels qui, comme Chanel, repose sur des codes et une image spécifique qui permettent de l’identifier immédiatement « .

Avec Chanel en effet, ou encore Hermès, Gaultier et Cacharel, Léonard incarne l’un des derniers bastions du chic français à ne pas être tombé dans l’escarcelle de l’un ou l’autre méga-groupe de luxe.  » Ma société est une affaire strictement familiale et financièrement indépendante, déclare Daniel Tribouillard, PDG et initiateur de Léonard. Mes deux filles, Virginie et Nathalie, occupent d’ailleurs des postes clés au sein de l’entreprise. Si nous réussissons à maintenir une telle structure, c’est parce que nous nous appuyons sur des interlocuteurs de choix, et ce tant au niveau des vêtements et du parfum ( NDLR: lancé en 2001, Léonara, le  » jus  » maison composé de 60 % d’orchidées symbolise la première étape de rafraîchissement de la griffe) que des licences chargées de la réalisation des accessoires, de l’horlogerie et de la porcelaine de table. Tous ces collaborateurs, à commencer par Michèle et Olivier Chatenet, contribuent à donner à la marque une aura de modernité sans cependant la priver de son patrimoine artistique.  »

Daniel Tribouillard, qui démarra son prêt-à-porter en jersey de soie à l’aube des années 1970 – une période faste en matière d’audace, de gaieté et d’innovation -, recherchait des adeptes, comme lui, d’une mode optimiste.  » Les femmes en noir et gris de la tête aux pieds? Très peu pour moi! Non pas que je trouve le noir dénué de séduction… mais il faut que le vêtement enjolive la femme au lieu de la transformer en éteignoir « , dit-il. Daniel Tribouillard recherchait aussi des gens capables de conférer un souffle contemporain à Léonard, de lui assurer un avenir heureux mais sans flanquer toute son histoire aux oubliettes.

Or le tandem Chatenet, présent dans les circuits du style depuis un bon moment, n’a pas son pareil pour donner un nouveau vécu aux vêtements… Quand Michèle et Olivier se rencontrent en 1985, ils bossent déjà dans le milieu: elle chez Comme des Garçons et lui chez Mugler, sans omettre leurs expériences respectives chez Chanel, Hermès et Alaïa. Après avoir défilé en haute couture sous l’appellation Mariot Chanet, ils fondent en 1999 le label E2 ( NDLR: une jolie abréviation mathématique d' » eux d’eux « ): ils détournent et rafraîchissent les vêtements millésimés (vintage) signés de grands noms de la mode, rapportés de voyages lointains ou chinés sur les marchés aux puces. Et présentent, durant la semaine des défilés couture, leurs créations exclusives dans leur appartement-atelier.

 » En général, nos goûts sont semblables et nos sensibilités, très proches: nous travaillons littéralement à quatre mains et nous ne nous distribuons pas de rôles spécifiques quant au bâti d’une collection. Nous mélangeons simplement nos expériences respectives. « 

Hier, aujourd’hui, demain

Entre l’ancien hippy chic et le duo de  » bobos « , le courant ne pouvait donc que passer puisque tous trois jouent la carte de l’authentique, du geste couturier et du style perso.  » Notre mission chez Léonard diffère quand même de E2, précisent Michèle et Olivier Chatenet: ici, il y a un studio, une équipe de six personnes qui travaille en permanence avec nous… bref, toute une structure préétablie et dans laquelle nous nous insérons. Côté initiatives, Daniel Tribouillard nous laisse relativement libres; il sait que nous respectons le modus vivendi en vigueur chez Léonard. Mais il intervient sur la sélection des dessins et des couleurs, et c’est tout à fait normal. Cela dit, c’est un fameux privilège d’avoir un atelier de sérigraphie intégré dans la maison pour laquelle on crée des collections. Nous sommes sur la même longueur d’onde que les ouvrières et leur talent couplé à leur faculté d’adaptation nous permet de gagner pas mal de temps. « 

Du temps, il en faut certes beaucoup car les imprimés, le fleuron de la maison, sont exécutés longtemps à l’avance et à la main.  » Je suis un ardent défenseur du travail manuel, déclare Daniel Tribouillard. J’estime que l’on peut fort bien développer une entreprise en lui conservant ses techniques artisanales.  » Ceci explique cela: le choix des dessins, la mise au point des gravures, la sélection des couleurs – un même motif peut contenir jusqu’à vingt-cinq couleurs différentes -, etc. nécessitent un an et demi de préparation en moyenne. Ensuite, ces imprimés partiront pour les unités de production sises à Milan et à Lyon.  » L’appellation Léonard Couture n’est pas galvaudée: il s’agit d’un prêt-à-porter de luxe confectionné d’une manière pas du tout industrielle  » (1).

Léonard recèle aussi de fabuleuses archives, où les Chatenet vont se plonger avec délectation. Pour cet été, Michèle y a déjà repéré un imprimé  » caviar  » remontant à 1975 et qu’elle a recolorié afin d’obtenir, au final, un effet  » pluie neigeuse  » des plus charmants.  » A notre arrivée chez Léonard, nous avons remarqué que les dessins et les couleurs, présents en abondance, ne dégageaient pas l’homogénéité et la cohésion nécessaires à l’image globale d’une collection. Voilà pourquoi nous avons, par exemple, recolorié plusieurs dessins dans une même gamme de couleurs. « 

La  » seconde vie  » du label à l’orchidée s’appuie donc sur les coloris, distillés de façon plus douce (le fuchsia et le turquoise cèdent la place aux tons poudrés par exemple), les coupes audacieuses mais équilibrées ou encore l’ajout, dans une collection dévolue au jersey de soie italien ( NDLR: la matière fétiche de Daniel Tribouillard), de matières telles que le velours côtelé et l’éponge à laquelle les imprimés  » tigre  » donnent une allure de fourrure estivale.

Portée en 1958 par Daniel Tribouillard sur les fonts baptismaux, la griffe Léonard débute de façon étonnante:  » En 1953, à l’âge de 19 ans, j’ai commencé à travailler avec Jacques Léonard qui dirigeait une entreprise de textiles haut de gamme. Mon rôle consistait à présenter les gammes de tissus aux maisons idoines, à savoir Dior, Givenchy, Balenciaga, etc., se souvient Daniel Tribouillard. En 1958, sentant qu’il valait mieux troquer le textile contre le prêt-à-porter, Jacques Léonard me nomme responsable de la création. J’étais tout seul, je n’avais pas d’atelier, ni même un établi « . Qu’à cela ne tienne, l’inventif jeune homme se débrouille à ravir: en 1959, il met au point le  » Fully Fashioned « , une méthode, brevetée et exclusive, d’impression sur les pulls. En parallèle, Daniel Tribouillard vend ses dessins à la crème de la crème des créateurs parisiens (Lanvin, Dior, Hermès…) avant de les distribuer dans le monde entier. A la fin des sixties, toutes les femmes ont des pulls  » Fully Fashioned  » tandis que dans le jargon des gens de mode, un  » léonard  » désigne un pull-over à motif fleuri ou animalier.

 » J’avais envie d’autre chose, confie Daniel Tribouillard et c’est à cette époque-là que j’ai lancé la collection Léonard avec le jersey de soie comme tissu favori et l’orchidée comme fleur phare. L’idée de départ consistait à poser une fleur sur de la soie et elle est toujours en vigueur, quarante-trois ans après « . A propos de la somptueuse orchidée de Léonard, signalons cette anecdote amusante: quand Daniel Tribouillard commence à dessiner cette fleur à la sensualité exacerbée, c’est en se basant sur ce qu’il a vu dans les livres.  » Jadis, on n’importait pas en France des fleurs aussi rares Mais en 1969, j’ai eu l’opportunité de me rendre au Japon et là, les autochtones se sont montrés aussi ravis que stupéfaits par la qualité de mes dessins. Pragmatiques et poétiques, les Japonais en ont conclu que, dans une vie antérieure, j’étais jardinier au pays du Soleil-Levant. « 

Après le Chevalier à la Rose, voici l’homme à l’orchidée: Daniel Tribouillard jouit d’ailleurs encore d’une réputation exceptionnelle en Extrême-Orient où le label Léonard compte 104 boutiques, sur 122 à travers le monde.  » A présent, nous voulons davantage investir dans d’autres pays ( NDLR: Léonard est déjà présent à New York chez Bergdorff Goodman, Barney’s et Sak’s et possède 3 flagshipstores à Paris), histoire de rééquilibrer nos différents marchés.  » Et de rêver, entre autres, à une implantation à Bruxelles où Léonard, voici trente ans, séduisait les élégantes dans un grand vent de fleurs…

(1) Léonard appartient depuis huit ans à la très sélecte (et sélective) Fédération française de la Couture, du Prêt-à-Porter et des Créateurs de Mode.

Carnet d’adresses en page 144.

Marianne Hublet

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