Il entame une nouvelle carrière dans la photo d’art. David LaChapelle, célèbre dans le monde entier pour ses clichés de mode à haute valeur créative ajoutée, s’en explique à Weekend… qui publie, en exclusivité, et en couverture, ses tout nouveaux opus obnubilés par le thème de la renaissance.

Après 20 ans d’une fabuleuse carrière dans la photographie de mode, David LaChapelle entame aujourd’hui une nouvelle vie dans la photo d’art. Il rompt avec ses photos fashion et ses clichés de célébrités ultrapop et érotiques pour se concentrer, à sa façon, sur des thèmes universels : la fin du monde, la foi, l’humanisme. Pour sa dernière série en date, dont est tirée Awakened : Jesse, la superbe photo qui figure cette semaine en couverture de Weekend, il a immergé ses personnages dans un vaste aquarium. La question est celle de la renaissance : vont-ils se noyer ou trouver la lumière ? Jeans déchiré, bouille ronde et casquette visée sur le crâne, l’artiste exalté s’est confié à Weekend sur son cheminement artistique et personnel, depuis Los Angeles où il vit et travaille.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes un grand photographe de mode. Pourquoi avoir décidé de changer de direction ?

Mon dernier travail pour une galerie d’art remonte à 1987, il y a vingt ans. En 1985, j’avais rencontré Andy Warhol ( NDLR : le pape du pop art, 1928 – 1987) et l’équipe du magazine Interview qui m’avait lancé dans la photo de mode. En vingt ans, j’ai changé. Je ne suis plus le même qu’il y a vingt, dix ou même cinq ans. Chaque époque de la vie est une nouvelle saison… Ma carrière a réellement démarré en 1987, j’avais 22 ans. A la même époque, mon petit ami est mort du sida. Il avait 24 ans. Pendant plusieurs années, j’ai cru que j’allais mourir moi aussi. Je n’osais pas me faire tester. Je pensais que ma vie allait s’éteindre rapidement. Je voulais donc en tirer un maximum, laisser une trace. Quand j’ai appris que j’étais HIV négatif, mes photos ont explosé de couleurs et d’énergie. Elles étaient drôles et joyeuses. Puis, au milieu des années 1990, travaillant toujours pour la presse magazine, j’ai commencé à m’intéresser à de nouvelles choses, à les ressentir différemment. Je voulais transmettre de nouvelles histoires à travers mes photos. Celles-ci ont toujours eu une signification très forte pour moi. Elles racontent une histoire à plusieurs niveaux.

La photo de mode était-elle trop restrictive ?

Il y a une part de ma personnalité qui adore le glamour et les célébrités. Mais les photos de mode ou de célébrités sont souvent prises au premier degré, elles ne sont pas supposées avoir de sous-entendu. Vous devez simplement vous assurer que la personne apparaît à son avantage. Pour moi, pendant des années, ce n’était pas frustrant. Je l’acceptais. Mais j’essayais toujours malgré tout d’y glisser ma petite histoire. Avec le temps, mes idées sont devenues de plus en plus sérieuses, et mes photos ont commencé à raconter leur propre histoire. Je me suis trouvé en conflit avec le monde de la presse magazine, dont le but est surtout d’afficher du glamour et de vendre des vêtements. A un moment donné, les magazines m’ont dit stop !, assez, nous voulons des choses plus légères. J’ai su que c’était la fin.

Quand est survenu ce changement de cap ?

A l’époque, je travaillais à Las Vegas sur le spectacle The Red Piano d’Elton John au Caesars Palace. Elton John est un artiste pop, mais à certains moments, quand vous êtes une star comme lui, vous êtes fatigué de faire le clown, d’être l’amuseur, vous voulez parler d’autre chose. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai découvert les danseurs de krump dans le centre de Los Angeles. Je suis complètement tombé amoureux de cette forme d’expression, entre hip-hop, danse africaine et combat de rue. A la minute où je les ai vus danser pour la première fois, j’ai su que j’allais réaliser un documentaire sur eux. Le sujet me correspondait tout à fait, la danse, l’énergie, l’héroïsme, l’espoir et tellement de couleurs. J’ai eu cette vision. J’ai su que les Européens allaient adorer le documentaire et qu’il allait être un hit au Japon. J’ai eu comme un flash. Je me suis dit :  » Oh mon Dieu, c’est de l’art, quelle joie, c’est si beau, les gens doivent voir ça, où sont les caméras ?  » J’ai réalisé le film documentaire Rize parce que personne d’autre ne voulait le faire. Je n’avais jamais eu auparavant l’intention d’en tourner un. Mes intentions étaient pures. Je voulais juste partager toute cette beauté avec le monde. Je ne me suis jamais dit :  » Ça y est, je vais devenir un grand réalisateur ou faire de l’argent.  »

Mais vos photos sont parfois très érotiques…

Pour moi, elles représentent la liberté. A l’époque où je prenais ces photos, le sexe était dangereux, et il l’est toujours. Il y a toujours beaucoup de peurs. Dans mes photos érotiques, j’essaie toujours de faire face à mes angoisses. C’est vrai, mes photos célèbrent la sexualité, mais dans un contexte où la peur est très présente. J’essaie donc de montrer une sorte de liberté sexuelle que nous avons perdue. D’un autre côté, mes photos ne représentent pas mes fantasmes sexuels à l’image de certains photographes comme Bruce Weber. Elles véhiculent plutôt mes rêves, des humeurs… Elles sont surréalistes.

Dans une interview, vous avez déclaré que Paris Hilton est  » tellement parfaite « . Pourquoi ?

Je ne parlais pas de sa personnalité mais de son image. Tout est tellement artificiellement parfait chez elle : le blond, les lentilles de contact bleues, le bronzage. Ce qui m’interpelle, c’est la fascination des gens pour les célébrités. Le plus étrange c’est qu’en tant que photographe je participe à cette fascination. Je fais partie du processus créatif de la carrière de ces célébrités.

Quel message délivre cette photo, titrée Deluge ?

Elle est inspirée du Déluge de Michel-Ange. C’est une version moderne de la peur d’une nouvelle fin du monde. Elle montre une nouvelle montée des eaux ou une apocalypse. Elle témoigne aussi de l’entraide des êtres humains. Michel-Ange voulait attester de l’existence de Dieu à travers la perfection physique de ses personnages. La beauté de la nature est la preuve de l’existence de Dieu. Or, j’ai réalisé que le concept ne fonctionne pas de la même manière en photo. Un premier casting avec des mannequins, ne me convenait pas. La beauté des corps avait un effet distractif. La photo ressemblait à une pub pour Calvin Klein. J’ai alors organisé un nouveau casting pour rechercher des personnes plus âgées et plus enveloppées. Je voulais montrer que la beauté vient de l’intérieur.

Y a-t-il de l’espoir dans vos photos ?

Nous savons tous que nous allons devoir quitter ce monde un jour, mais nous ne savons pas quand. C’est pour cela qu’il faut prendre soin de la vie, car elle est précieuse.

Propos recueillis par Elodie Perrodil

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