Tout au plus, 150 millisecondes. C’est le temps qu’il nous faudrait, à nous autres animaux doués de raison, pour déterminer si un de nos congénères est beau… ou pas. Une fulgurance dans le discernement que Nancy Etcoff, post-doctorante en sciences cognitives au MIT, lie à l’instinct primal de perpétuation de l’espèce. La beauté ne serait selon elle qu’un facteur destiné à faciliter la reproduction. Et nous serions, mâle ou femelle, spontanément attirés par ce qui augure de la viabilité et la bonne santé des futurs petits d’hommes : jeunesse, minceur (sans excès) et poitrine haute de la potentielle génitrice, muscles saillants chez le futur procréateur, symétrie des traits dans les deux rangs. Même si l’influence du milieu et de la culture est indéniable, soutient Etcoff dans Survival of the Prettiest : The Science of Beauty, l’humanité dans son ensemble partage donc les mêmes canons esthétiques. Et ce dès la naissance.

Une thèse étayée par Judith Langlois, chercheuse à l’université de Baton Rouge, en Louisiane, qui a soumis des photos de visages, jolis ou laids, à différents groupes témoins, y compris des bébés de 2 mois. Dans le magazine Discover, elle constate que même ces derniers posent plus longuement les yeux sur les beaux… alors que, souligne-t-elle avec humour, on ne peut prétendre qu’ils soient  » influencés par la lecture de Vogue « .

Pour séduisante qu’elle soit dans son £cuménisme, la théorie vacille dès lors qu’on la confronte aux archétypes esthétiques qui jalonnent l’histoire. Quels points communs entre la Vénus de Willendorf exhumée du paléolithique et l’Aphrodite sculptée par Praxitèle au IVe siècle av. JC ? Et même, en rapprochant les unités de temps et de lieu, entre Anita Ekberg se baignant dans la fontaine de Trevi ( La Dolce Vita, 1960) et Twiggy affolant les sixties londoniennes ?  » La beauté est culturelle et relative, défend Elisabeth Azoulay, coordinatrice de l’encyclopédie 100 000 ans d’histoire de la beauté. C’est une donnée de l’histoire, qui intègre aujourd’hui la complexité de notre époque  » ( lire en pages 8 à 12). Et l’ethnologue d’avancer que nos sociétés multiculturelles mettent définitivement à terre le modèle unique de la beauté. Presque deux décennies après les rondeurs voluptueuses de Monica Bellucci exposées sur le calendrier Pirelli au même moment que la minceur juvénile de Kate Moss dans les pubs Calvin Klein, les années 2010 ouvrent la voie à des schémas plus décloisonnés encore. À cet égard, la dernière campagne d’Estée Lauder, associant une mannequin blonde, une portoricaine et une asiatique est exemplative ( lire en page 99). La mondialisation a parfois du bon.

DELPHINE KINDERMANS

150 millisecondes pour déterminer si l’autre est beau… ou pas.

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