A nouvelle vie, nouveau décor. Christina Zeller, aux commandes de la création de la maroquinerie belge, a pris racine à Bruxelles, avec armes et bagages. Dans la symétrie et le paradoxe, sans que rien ne soit  » téléguidé « .

On entre chez elle par le jardin tapi derrière un mur de briques qui ne laisse pratiquement rien deviner de cette oasis urbaine. Un lapin en résine rouge y monte la garde tandis que les buis prennent racine dans leur pot de terre et que les roses intrépides montent à l’assaut de la terrasse. Au bel-étage, la grande porte-fenêtre du salon laisse entrer le flot de lumière, les rayons de soleil ricochent sur une tapisserie fin XVIIIe siècle qui a trouvé grâce aux yeux de la maîtresse de maison uniquement parce que c’est un souvenir d’enfance cher à son compagnon – un objet chargé d’émotion, c’est sacré. Dans un coin, dans une version XXL, un Brillant mandarine siglé Delvaux, rien d’étonnant, Christina Zeller est la directrice artistique de cette histoire belge née en 1829, qui peut se targuer d’être la plus ancienne maroquinerie du monde –  » nous avons la chance d’avoir un passé, dit-elle, autant le mettre en scène de la manière la plus charmante et la plus enjouée possible « . Enjouée, voilà un adjectif qui lui colle parfaitement à la peau, elle virevolte dans ce matin clair, sur ses talons de 14 cm, pas de demi-mesure, et réitère l’exploit de monter, descendre puis monter encore les escaliers de ce cocon bruxellois qu’elle a décoré selon ses goûts, en prenant le temps, au hasard de ses trouvailles mais toujours avec fils conducteurs –  » les lignes radicales, graphiques, architecturées, j’aime la symétrie, je suis plus « palladienne » que fouillis « .

UNE HISTOIRE DE TRADITION

On n’a rien dit du comment du pourquoi si l’on se contente de préciser que Christina Zeller a d’emblée été séduite par le calme, le jardin, les espaces dégagés, le ping-pong de la lumière, l’escalier en chêne qui rythme le lieu, non. Avec elle, l’infra texte sensible compte, cette demeure est celle de François Schwennicke, le fils de Solange, dont le titre de noblesse, outre celui de baronne, est d’avoir été Madame Delvaux. Vivre ici,  » cela fait sens « . Elle a beau avoir grandi à Paris, revendiquer ses racines suisses,  » c’est exotique « , ce sont celles de sa mère qui fut mannequin cabine chez Chanel  » il y a longtemps  » ; elle a beau avoir rêvé d’être interprète, appris le russe à 13 ans, fait ses armes chez Karl Lagerfeld, Christian Lacroix et Givenchy, elle clame que c’est la maison qui lui correspond le mieux, que c’est le plus beau job de sa carrière, qu’elle a l’impression d’y être comme un poisson dans l’eau, que  » peut-être étais-je madame Schwennicke avant  » et que, ultime preuve, le Brillant, son préféré, a été dessiné en 1958, l’année de sa naissance.  » Je me sens en osmose.  » Et cela dure depuis novembre 2011.

A l’époque, la maroquinerie belge traverse une zone de turbulences et vient de tomber dans l’escarcelle des frères Fung, via leur société Fung Brands Limited basée à Hong Kong, avec prise de participation majoritaire dans le capital. Christina Zeller est alors directrice du produit et du merchandising, il lui faudra traverser des années  » difficiles « ,  » passer d’un business model à un autre « ,  » former des artisans « ,  » accélérer le rythme du développement « ,  » imposer une nouvelle image à un réseau belge, qui était un peu en perte de vitesse « . Désormais à la tête de la direction artistique, elle avoue sa fierté –  » J’avais à faire mes preuves et un apprentissage de la maison, je suis encore plus heureuse de l’avoir mérité, ce poste. C’est une petite entreprise, nous travaillons en binôme, en trinôme, c’est important. Nous avons tous la sensation d’avoir une responsabilité vis-à-vis de cette marque qui existe depuis 1929. Elle m’a été confiée et un jour, je devrai passer le relais à quelqu’un d’autre et ce sera bien.  »

UNE PARFAITE ALCHIMIE

Sur la table en marbre, un bouquet de fleurs, mariage blanc de pivoines, hortensias, roses et azalées, l’Aubépine embaume l’air, c’est signé Dyptique, la flammèche de la bougie danse joyeusement, sa petite madeleine de Proust à elle, mais accommodée car elle préfère l’Héliotrope, comme chez Karl (Lagerfeld),  » il y en avait toujours dans son appartement rue de l’Université  » mais hélas la fragrance n’existe plus, on se rattrape comme on peut. Dans la pièce du milieu, si typique de l’architecture bruxelloise, le regard s’accroche avec aller-retour sur un cheval grandeur nature, une armure de samouraï et sur les marches de l’escalier, en guise de garde-fou, une collection de livres anciens – d’habitude elle déteste ça, les vieux bouquins, mais mis en scène de cette manière, pourquoi pas, en réalité ce sont ceux de son compagnon, ils sont eux aussi  » chargés d’émotion « , le genre de concession qu’elle fait avec élégance. Elle détaille avec une belle exubérance son  » Dark Vador « , daté fin XVIIIe siècle et trouvé dans la galerie d’art de Cécile Kerner, au Sablon.  » Elle a tout ce qui me fait flasher : des animaux empaillés, des lions, des tigres, des zèbres, des casques et des robots, la parfaite alchimie de tout ce que j’aime. Et je suis tombée amoureuse de ce personnage, je le trouve beau, j’en adore la patine, le mat et le brillant, les rubans, ce côté guerrier extrêmement sophistiqué – à mon avis la guerre est terminée avant qu’il ait eu le temps d’enfiler totalement son armure…  » Elle prévient qu’il n’y a aucune obligation à ce que tout aille ensemble, pas même ce Furby, petite peluche robotique interactive qu’on pourrait sans peine qualifier de kitsch, il lui a été offert par sa fille ; elle pouvait le nourrir, lui envoyer de la salade ou des McDo,  » et il vous faisait des yeux avec des tas de coeur  » mais il est désormais silencieux et statique,  » on  » lui a enlevé les piles  » de manière diabolique « .

LA SIMPLICITÉ PARADOXALE

Dans le salon trône une télé comme on n’en fait plus, une antiquité avec vrai tube cathodique, qui ne parvient pourtant pas à faire de l’ombre aux trois têtes perlées de guerrier masaï posées sur la table basse. Elles lui rappellent sa passion pour l’Afrique,  » c’est un continent qui me correspond, à la fois dramatique et d’une gaieté absolument extraordinaire. J’ai la chance d’avoir une maison sur une petite île qui n’a de kenyan que le nom tant elle ressemble à une médina, c’était un comptoir entre le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine, elle doit faire 40 km2, un mouchoir de poche. J’aime la simplicité de cet endroit.  » Et de citer Léonard de Vinci, un peu plus tard, pour tout autre chose et en anglais dans le texte  » Simplicity is the ultimate sophistication « , elle faisait alors référence à Delvaux,  » maison d’exception par ses produits, son savoir-faire et son charme « .

A faire ainsi l’inventaire de son chez-soi, elle tire quelques conclusions qui n’ont rien de hâtives :  » Je suis paradoxale, je pense, mais j’ai appris l’art du paradoxe avec Karl, c’est le roi, il peut vous expliquer à la fin d’un défilé où il n’y a que du noir que le blanc c’est le nouveau noir, c’est une grande liberté. Mais il faut toujours un fil conducteur derrière les paradoxes, ne pas être éparpillé, juste s’autoriser d’autres choses, ne pas s’enfermer.  » Dans son dressing, des chemises blanches,  » de toutes les longueurs et de tous les styles, je n’en ai jamais assez « . Pour le reste, du noir surtout, quand on a travaillé avec Karl Lagerfeld et Riccardo Tisci chez Givenchy, cela laisse des traces. Sur un mur, dans sa chambre, elle accroche ses colliers comme des oeuvres d’art, et les préfère imposants, et s’ils sont ethniques, en os de mammouth, signés Monies, Hervé Van der Straeten, Taher Chemirik, ou Kris Ruhs, c’est encore mieux. Aujourd’hui pourtant, Christina Zeller a privilégié la simplicité doublée de sa singularité : elle porte un bijou  » maison « , la boucle du sac With Me qu’elle a eu la belle idée d’enfiler sur un lien en cuir, le tour est joué.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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