Barbara Witkowska Journaliste

Changement de cap pour Delvaux. La célèbre maison bruxelloise féminise son style et renoue avec la création. Pour mieux s’inscrire dans l’air du temps.

Parce que toutes les élégantes ne jurent plus que par elles, voici le nec plus ultra de l’automne-hiver 05-06 : trois pochettes exclusives, habillées de vernis. Leur point commun ? Lignes modernes et épurées, traitées en cuir de belle qualité, finitions irréprochables respectant le savoir-faire ancestral, agrémentées de grigris pour une touche très tendance. Les modèles s’appellent Delvaux, Atomium et Manneken Pis, un clin d’£il sympathique pour fêter 175 ans de vie commune entre  » une ancienne maison et un jeune pays  » ( sic). Parmi les modèles phares de la collection hivernale, on épingle aussi le sac alluré baptisé Le Astrid Mini, mariant l’aspect brut de l’étonnante peau de saumon et les subtiles sophistications des détails. Le Colette, interprété en de multiples versions, fait vibrer l’éclat du métal doré brossé sur fond de palette neutre raffiné. Porté à l’épaule, ce sac aux proportions justes et féminines, multiplie les poches et les rangements ultrapratiques. L’élégance intemporelle, pimentée de touches très actuelles, se décline encore en écharpes, tours de cou en orylag, foulards et gants, et s’ouvre aussi à l’homme avec une belle collection de cravates en soie. Surfant sur les matières nobles et voluptueuses, la maison Delvaux parie donc sur l’audace, tout en jouant sur la qualité et son énorme savoir-faire.

Un peu d’histoire

Le saviez-vous ? Née en 1829, Delvaux est la plus ancienne maison de maroquinerie en Europe. A l’époque les ateliers s’installent sur le très chic boulevard Adolphe Max. La boutique est située juste à côté. Charles Delvaux  » cible  » les élégants voyageurs de l’époque qui se déplacent en chemin de fer et se spécialise dans la réalisation de malles et de sacs de voyage. Un siècle plus tard, le maroquinier jouit d’une belle réputation. En 1933, un certain Franz Schwennicke tombe amoureux de cette maison centenaire devenue fournisseur officiel de la cour, et la rachète à Edmond Delvaux. Homme de marketing avant la lettre, Franz Schwennicke capte à merveille les changements de comportements et les tendances naissantes. En observant les femmes, il constate qu’elles se promènent toujours avec des bourses en satin, vestiges des habitudes bourgeoises du siècle passé. Or, elles commencent à travailler, à s’émanciper, à gagner en indépendance. Plus libres, elles ont besoin d’un contenant plus grand pour transporter une foule d’objets et d’accessoires qui deviennent indispensables dans la journée d’une femme active. Tout en continuant la fabrication d’articles de voyage, Franz Schwennicke engage donc, dès 1938, une styliste qui dessine deux collections de sacs par an. Du jamais-vu ! La maison innove déjà. Ce concept de deux collections annuelles, complètement inédit à l’époque, sera reconduit tout au long du xxe siècle, dans un souci de recherche et d’innovation permanentes. Lors de l’exposition universelle de 1958, Delvaux surprend une fois de plus en lançant le sac Brillant. Contrairement à la majorité des modèles précédents qui étaient équipés d’un fermoir métallique, le concept Brillant se ferme à l’aide d’une sangle, terminée par une boucle en forme de  » D « . C’est la première fois qu’une maison affiche ses origines. Le logo est né !

Période d’or

Franz Schwennicke disparaît en 1970. Solange, sa jeune épouse, n’a que 33 ans et prend, courageusement, les rênes de la société.  » A l’époque, le sac Delvaux était un signe de reconnaissance pour les femmes mûres, raconte François Schwennicke, fils de Solange et de Franz, administrateur délégué de la maison depuis fin 2003. Les jeunes femmes l’associaient à l’image de leurs mères et le boudaient un peu. Avec son bon sens flamand, ma mère a décidé alors de tout changer et de rajeunir l’image de la marque.  » Première étape : le lancement de modèles plus accessibles. Un sac Delvaux demeure un produit de luxe, par conséquent onéreux, et les femmes plus jeunes ont du mal à se l’offrir. Deuxième étape : introduction de nouvelles matières. En effet, les sacs Delvaux, réalisés dans des cuirs d’excellente qualité, costauds et épais, étaient très rigides. A la fin des années 1970, Solange Schwennicke lance donc Le Pin, un fourre-tout léger et non doublé, taillé dans un cuir souple. Le fond, inspiré d’une mangeoire de cheval, est rythmé par une mosaïque de trous. Pendant plus d’une décennie, Le Pin connaîtra un succès exceptionnel, toutes générations confondues.

Au début des années 1980, la maison réussit un autre  » coup « . Surfant sur la tendance  » BCBG  » typiquement belge, elle lance une petite enveloppe, agrémentée d’une longue bandoulière. Le petit sac léger, élégant, fonctionnel et très bon chic bon genre s’impose à l’épaule de toutes les femmes. Chaque jour et dans chaque circonstance. Delvaux va plus loin encore en lançant un nouveau best-seller, des sacs en cuir tissé, déclinés dans de multiples modèles, colorés et graphiques. Succès garanti pendant de nombreuses années. Les années 1980 voient aussi l’émancipation définitive de la femme. La businesswoman s’impose. Indépendante, bosseuse, sûre d’elle-même et charismatique, Solange Schwennicke est le personnage emblématique de cette génération. De nombreuses femmes s’identifient à elle et adoptent un sac Delvaux. La maison vit son  » époque d’or « , l’essor au niveau national se doublant d’un rayonnement international. Delvaux s’implante au Japon et aux Etats-Unis. Sur le plan économique, on triple le chiffre d’affaires. Les femmes plébiscitent toutes les nouveautés. Martin Szekely, le célèbre designer français, dessine une ligne pour homme.

Femme d’affaires hors pair, Solange Schwennicke est aussi une visionnaire. Deux événements importants témoignent de sa capacité d’anticiper les tendances. Au début des années 1990, elle pressent, très justement, la  » fin  » de l’élégante avenue de la Toison d’Or, synonyme d’une époque appartenant au passé. Delvaux est l’une des premières maisons de luxe à s’installer en face, boulevard de Waterloo. L’hôtel particulier, admirablement lifté, s’ouvre pour la première fois au commerce. Solange Schwennicke décide aussi de quitter les ateliers situés à Rhode-Saint-Genèse pour les installer à l’Arsenal. L’imposante bâtisse en briques rouges de la plaine des Man£uvres, à Bruxelles qui servait à stocker des véhicules militaires, était abandonnée depuis belle lurette. Remarquablement réhabilitée, rénovée et adaptée aux besoins actuels, elle unit désormais parfaitement passé et présent, comme le veut la philosophie Delvaux.

Audace de la création

Changement de décor : début du troisième millénaire, place au nouveau Delvaux. Avec des atouts de choc. La matière, tout d’abord.  » Dans le domaine du cuir, le savoir ancestral commence à se perdre, affirme François Schwennicke. Le cuir est devenu une matière difficile à travailler, il est onéreux. Pour ces raisons, certaines maisons s’en écartent et la tendance consiste à trouver des substituts au cuir. Or, Delvaux possède, depuis ses origines, un grand savoir-faire dans ce domaine, ayant toujours collaboré avec les meilleurs tanneurs et les meilleurs fabricants. Cet aspect sera donc dorénavant mis en évidence. On va miser sur des cuirs exceptionnels, de top qualité, très sensuels. Cette recherche de qualité s’accompagnera d’un vrai conseil à la vente. D’ailleurs, les tanneurs sont ravis de réactiver leur savoir-faire.  » La saison automne-hiver 05-06 voit ainsi l’apparition du cuir de poisson, du saumon, en l’occurrence, ainsi que, et c’est une grande première, de la peau de cerf utilisée jusqu’ici pour les gants. Sans oublier la présence du buffle, du très beau veau velours, ainsi qu’une utilisation ponctuelle, sur demande, de l’autruche, du croco et du lézard. Avec, à la clé, des touchers que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

La création bénéficiera aussi désormais d’une approche plus audacieuse.  » La création s’est un peu endormie, souffle François Schwennicke. Il faut la réveiller, être plus tendance. Depuis 2000, l’accessoire est devenu essentiel. Il exprime plus qu’un vêtement. D’où le désir de la femme d’investir plus dans les bijoux, les sacs et les chaussures. Or, nous avons perdu notre faculté à créer le désir.  » Lorsque, à la fin de l’année 2003, François Schwennicke prend les rênes de la société, il engage, au poste de directeur artistique, Laetitia Crahay, diplômée en stylisme de La Cambre et également créatrice d’accessoires pour Chanel. Aujourd’hui, la jeune femme se partage entre les deux maisons. Chez Delvaux, elle supervise le studio de création, l’image extérieure de la société et l’image des boutiques. En perpétuelle ébullition, le studio de création s’adjoint de manière éphémère la collaboration de jeunes stylistes belges issus des grandes écoles de mode, histoire d’être irrigué en permanence par des idées neuves. En ce moment, Delphine Monteau de La Cambre travaille sur les briefings de Laetitia Crahay, tandis que Bruno Pieters de l’Académie d’Anvers planche sur le lifting de la gamme homme. Le secteur homme est plus  » lent  » que celui de la femme et la collection ne verra le jour qu’à la rentrée 2006.  » Les jeunes stylistes doivent nous aider à trouver des codes qui parlent à la jeune génération, note François Schwennicke. Cela dit, il n’est pas question de tomber dans la catégorie de  » fashion victim « . Chez nous, on travaille pour la marque et dans le respect d’une maison, pas pour notre ego. Notre propos est de trouver le juste milieu entre le savoir-faire et l’air du temps.  »

Rafraîchissants, les modèles actuels puisent donc toutefois leur inspiration à la source du patrimoine de la maison car, comme le souligne joliment François Schwennicke,  » il y a chez tous les Belges une histoire liée à Delvaux, une histoire belge dans le beau sens du terme « . Difficile d’oublier en effet 175 ans de création. Cela dit, les formes s’épurent, les lignes évoluent et les détails sont remis au goût du jour. Ainsi, les clous du modèle Astrid existaient déjà en 1950. Le grand D, présent depuis plusieurs décennies en cuir, est réalisé aujourd’hui en métal brossé. Brillant, le célèbre modèle faisant partie de la collection les Pierres Précieuses, en 1958, a été relancé trente ans plus tard avec une bandoulière. En 1998, il a été proposé en différentes versions, personnalisées et sur mesure. Et on pense déjà à son cinquantième anniversaire : en 2008, le Brillant sera légèrement lifté. Le modèle Grand Bonheur, adopté par la princesse Paola lors de ses fiançailles avec le prince Albert, est un autre modèle mythique qui sera sans doute relancé prochainement.  » Il est nécessaire de retrouver un équilibre entre l’esprit de la maison et l’esprit de la femme actuelle, résume François Schwennicke. Le mot du jour est le retour à la féminité. L’époque où Delvaux avait une réputation féministe est bien révolue.  »

Des projets de diversification ? Delvaux demeurera une maison dédiée à l’accessoire. Une ligne de prêt-à-porter n’est donc pas à l’ordre du jour. En revanche, le département d’étoles et de foulards sera dynamisé. Les collections s’inscriront davantage dans les palettes chromatiques des sacs. La ligne de bijoux, lancée il y a quatre ans, pourrait également évoluer vers une ligne de petite joaillerie. On songe sérieusement aussi à un projet d’horlogerie, bénéficiant d’une vraie démarche professionnelle. Autre urgence : réaffirmer la présence de Delvaux sur la scène internationale. Avec, notamment, des séries très limitées proposées dans les boutiques les plus pointues en Europe, au Japon et aux Etats-Unis.

Barbara Witkowska

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