Le Guide Rouge Michelin Benelux 2003 vient de sortir de presse. L’occasion de rencontrer Derek Brown, le directeur des publications Michelin et grand patron du Guide Rouge. Au menu: les grandes tendances qui secouent aujourd’hui le monde de la gastronomie.

« Il n’est pas nécessaire d’être français pour apprécier la gastronomie! », estime le britannique Derek Brown, grand patron, depuis le 1er janvier 2001, du célèbre Guide Rouge Michelin. Sa nomination a certes bousculé la France gastronomique, mais, rappelle cet homme pétri de courtoisie et d’élégance very british, « Michelin est une maison internationale » et tout est affaire « de compétence et d’expérience ». Inspecteur dès le début des années 1970, Derek Brown est ensuite devenu éditeur du Guide Rouge en Grande-Bretagne, responsable de vente des produits marketing et de la communication, de la publicité pour la Grande-Bretagne et l’international, avant d’accéder au poste prestigieux de directeur des publications Michelin. Sa vision du monde de la gastronomie se double donc d’un solide savoir-faire acquis au fil de plus de trois décennies

Weekend Le Vif/L’Express: Malgré sa réputation de « référence inégalée », le Guide Rouge Michelin (1) est souvent taxé de guide conservateur. A tort ou à raison?

Derek Brown: La qualité, la fidélité, la régularité, la confiance sont les valeurs de base auxquelles nous nous attachons. Nous sommes et restons effectivement « la référence » pour des milliers d’utilisateurs mais cela ne nous empêche pas d’être attentifs à ce qui est « mode » malgré l’énergie que cela demande. Et puis, il faut ajouter que le phénomène « mode » se situe essentiellement dans les grandes villes. Cela réduit le champ d’action et d’attention. J’ajouterai que, contrairement à ce que l’on pense souvent, la clientèle dite mode ou branchée est aussi exigeante qu’une clientèle plus traditionnelle. Elle a les moyens et ne se laisse plus « avoir » par la médiocrité, elle demande de plus en plus un rapport qualité-prix correct. L’autre jour, j’étais dans un restaurant hype et j’entendais des propos à une table voisine confirmant ce souci de qualité de l’assiette, cette connaissance de la table qu’a un public plus jeune, plus branché. Chez Michelin, nous suivons l’évolution de ces endroits avec une grande prudence car les changements y sont fréquents: nous faisons un test d’une quinzaine de restaurants branchés par an, mais 70% ont déjà disparu lors de la parution du guide suivant. De toute façon, il n’est pas question pour nous de conseiller des restaurants en utilisant des bémols du style, « très bon restaurant mais attention, n’y allez pas le mercredi midi, le chef n’est jamaisà ses fourneaux « .

Comment se positionne le Guide Rouge Michelin face à l’évolution de la gastronomie?

Nous recevons 45 000 lettres par an de toute l’Europe. Chacune comprend environ 3 appréciations. Cela nous permet ainsi d’avoir une bonne idée de ce que le public cherche, des tendances en cours, de l’évolution. Par ailleurs, notre métier est, outre l’écoute, d’être nous-mêmes à table et de loger dans les hôtels, de nous faire notre propre opinion par rapport aux critères de qualité, notamment, fixés pour tout et tous. Nous cherchons ce que la clientèle souhaite et restons attentif aux besoins mais aussi aux modes.

Quelles sont les grandes tendances actuelles?

On constate un grand retour vers les bonnes bases, les produits de terroir. Certains chefs abandonnent les complications, épurent leur façon de travailler, retournent à la simplicité. J’applaudis car c’est une erreur, par exemple, de mettre une multitude de produits différents ensemble. Les chefs comprennent que le public veut revenir au naturel, à la qualité des produits. L’influence de la cuisine asiatique est aussi très à la mode. Mais on oublie que les mélanges, les épices, existent depuis longtemps en Occident: cela a commencé avec le poivre, la cannelle. La cuisine française permet particulièrement d’intégrer, de fusionner avec d’autres cuisines mais, à mon sens, un bon cuisinier ne fera jamais de mélanges trop difficiles, trop hasardeux. Aujourd’hui nous profitons des expériences des années 1970 où tout, ou presque, a été essayé. Ce n’était pas mauvais comme démarche, il en reste toujours quelque chose qui permet de faire avancer, de faire évoluer, de s’enrichir. Dans les grandes villes, la diversité des cuisines est très importantes. Aujourd’hui, on compte 12 cuisines différentes à Bruxelles, 18 à Paris et même plus à Londres.

Londres est-elle la capitale de la cuisine fusion?

Là-bas, la cuisine est plus segmentée car les Britanniques bénéficient depuis longtemps de cette richesse de cuisine ethnique ramenée des colonies. Les Britanniques ont ainsi eu l’habitude de tester un peu de tout, d’accepter d’autres cuisines, d’autres produits, car ils n’avaient pas une tradition forte leur étant propre. Contrairement à la France ou à l’Italie où la tradition est prépondérante. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer cet engouement pour les cuisines d’ailleurs et une telle variété de styles.

Pour Michelin, quelles sont les perspectives, les projets, les innovations?

En étant constamment à l’écoute de notre lectorat composé de personnes qui voyagent, nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions désormais traiter toute l’information en un seul guide. Aussi, nous venons de créer les Guides Gourmands, une série de guides locaux présentant une région, ses produits, ses bons restaurants à petits prix (moins de 25 euros), ses cavistes, ses petites épiceries fines et commerces gourmands de tradition. Le premier, paru en décembre dernier, était consacré à la région Rhône-Alpes. Six autres sont en préparation pour sortir d’ici à la fin de l’année. Autre nouveauté: le Guide « Coups de coeur »(2) reprenant les petits hôtels (1 000 en France) et les maisons d’hôtes et de charme à moins de 80 euros pour deux personnes et 200 adresses à moins de 40 euros pour deux. Des endroits simples où l’on trouve toujours un élément sortant de l’ordinaire (accueil, jardin, aménagement). Illustré par de belles photos (uniquement prises par Michelin), ce guide donne une bonne idée de l’endroit conseillé. Et notre projet serait de nous pencher rapidement sur d’autres pays que la France. En matière d’évolution même du Guide Rouge, le seul conseil que je puisse vous donner est de vérifier ce que nous disons au fil des ans sur une même maison. Vous constaterez que les commentaires évoluent, changent tout autant que les appréciations. Il faut aussi ajouter que contrairement à l’idée répandue, nous traitons davantage (à 80%) les petites maisons que les toutes grandes et cela dans le souci de nous mettre toujours à la place de l’utilisateur, du voyageur. Bref, à la portée de tout un chacun plus soucieux aujourd’hui que jamais du meilleur rapport qualité-prix et, vraisemblablement, de la meilleure qualité de vie, et de voyage, possible.

Propos recueillis par Joëlle Rochette [{ssquf}], (1) Le Guide Rouge Michelin France 2003 paraîtra l

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