À l’ouest de la Sicile, Levanzo, Favignana et Marettimo ont le charme des villégiatures hors des modes et les vraies fausses couleurs d’anciennes cartes postales. Andiamo !

Pour oublier Palerme et ses vacarmes baroques, il suffit de faire une centaine de kilomètres jusqu’aux quais du port assoupi de Trapani, de mettre le cap plein ouest et de partir à l’abordage de trois îles très singulières de l’archipel des Egades, classé récemment réserve marine protégée. À pied, à dos de mulet ou à bicyclette, sur une barque ou avec des palmes, et surtout sans voiture, on s’enchante de leurs chemins bucoliques et de leurs criques aux eaux limpides irradiées de soleil.

L’île intime : Levanzo

Les maisons toutes simples de ses 200 habitants s’accrochent au pied d’un amphithéâtre de pics gris striés de taches de verdure qui se prolongent en vagues de garrigues. Une île de poche sans voitures, où ne pas avoir l’embarras du choix devient un plaisir : promenades et baignades, un point c’est tout. Un beau jour comme les autres, on commence par s’étirer dans une chambre spartiate de l’unique hôtel du village, avant de faire quelques pas jusqu’au bout de la jetée, où tanguent des barques indolentes. Un sentier côtier face au soleil serpente jusqu’à la cala Minolla, une crique aux eaux vraiment émeraude. Plongeons, pique-nique, sieste à l’ombre de la pinède ou promenade digestive en grimpant avec les chèvres au milieu des câpriers.

Plus à l’ouest, la cala Tramontana fait miroiter sa piscine naturelle de roches rougeoyantes. Le crépuscule violet au Faraglione, gros rocher solitaire jeté face au soleil couchant, enveloppe la passeggiata des amoureux d’une romantique mélancolie. Le soir venu, c’est poisson frais et fruits de mer à toutes les tables du restaurant de l’hôtel et, pour les noctambules, une grappa servie sur le bar en Formica jaune du café du bout du quai, en trinquant avec des locaux vite familiers.

L’île fortunée : Favignana

C’est la villégiature favorite des familles huppées de Palerme et le zéphyr y chante pour toujours.  » Nel blu dipinto di bluà  » : yachts effilés et barques bleues, maisons pastel et piazzettas dallées, guirlandes de lampions et auvents rayés sur fond de mer forcément turquoise et de sables laiteux. Des carrières abandonnées ont dévoré depuis des siècles les pierres tendres et dorées de cette île presque plate que l’on découvre à vélo. Les routes zigzaguent au milieu d’une campagne dont le sol se dérobe parfois, là où sont taillées dans la roche tendre du tufo de gigantesques cavités. Au fond de ces architectures du vide poussent des jardins potagers et s’étagent les parcs d’étonnantes villas d’où surgissent les plumets des palmiers. Sur les rivages, les excavations s’enfoncent dans la falaise comme des labyrinthes que la mer continue de ronger. Tous les palais baroques de Palerme naquirent de ces blocs chargés dans la spectaculaire baie de Bue Marino.

Aujourd’hui, les bateaux mouillent à la cala Stornello, dont on explore les anfractuosités à la nage en pêchant des oursins avec Clemente, pêcheur reconverti dans la navigation de plaisance. Avant d’être le favori des  » belle donne del sole « , il fut un légendaire  » raïs  » du rituel de la mattanza, corrida nautique datant de l’occupation arabe, où les thons, pas plus que les taureaux, ne sont supposés s’en sortir : pris aux pièges des réseaux de filets de la  » camera della morte  » (la chambre de la mort), dans le vacarme des chants scandés par le  » raïs « , huit hommes plongent d’énormes harpons dans les flancs des poissons, qui se cabrent et se défendent de leurs ailerons affûtés avant d’être hissés sur le pont et achevés dans des éclaboussures de sang.

Le port, fief de la famille Florio, qui jusqu’en 1937 possédait tout l’archipel, est encadré par deux édifices emblématiques de la fortune de cette dynastie poissonnière. D’un côté, leur palazzo néogothique, où ils reçurent la fleur de l’aristocratie européenne, et, de l’autre, la tonnara aux immenses salles voûtées où tous les thons de la Méditerranée, ou presque, finirent dans les boîtes de conserve rouge et or estampillées à leur nom. Fermée en 1973, faute de matière première, la fabrique est devenue un centre culturel (inauguré l’an dernier) où installations vidéo, films d’archives et photos des stars de l’agence Magnum, menés par Herbert List, Sebastião Salgado ou René Burri, illustrent lyriquement ces massacres d’un autre temps tandis que les splendeurs du palais abandonné ternissent sous la poussière.

L’île lointaine : Marettimo

Devant le cercle des amis de la marine de Scalo Nuovo, le minuscule port de l’île, Toto, Pepe, Beppe et Lucio tapent le carton. Un £il sur les cartes, l’autre sur l’accostage de l’aliscafo que tous attendent. Depuis trois jours, une mer houleuse les coupe du reste du monde. À côté d’eux, la statue en bronze de deux dauphins dansant et flirtant museau à museau est ornée d’une citation qui dit tout sur leur île :  » Le vent se lève, il faut tenter de vivre.  » Car, au moindre coup de sirocco, l’isolement sur Marettimo prend tout son sens pour 150 familles dont l’arrivée hasardeuse des bateaux rythme l’existence.

Aujourd’hui, la vie est belle comme la mer et, au coin des ruelles aux maisons blanches à volets bleus, des madones fardées du sel des embruns surveillent du fond de leurs alcôves un petit monde de touristes excités. Qui part ? Qui arrive ? Une Scandinave aux cheveux pâles s’en va avec dans son carton à dessin de minutieuses aquarelles d’espèces qui ne fleurissent que sur les pentes du monte Falcone, telle la scabieuse mauve aux pétales effilochés. Une bande de doctes scientifiques en chemisette viennent répertorier la flore jaspée des fonds sous-marins sous haute protection des grottes dont l’île est criblée. Des mulets promènent sur les sentiers escarpés bordés d’euphorbes les amateurs de paysages panoramiques. Ils trottineront jusqu’au semaforo, d’où certains jureront apercevoir les côtes de l’Arabie tandis que d’autres s’attarderont à l’ombre des ruines d’une basilique byzantine. Marettimo, la plus éloignée des Egades, est aux avant-postes de l’Orient.

Par Jean-Pascal Baillaud / Photos : Thierry Dudoit

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