Il existe entre les femmes et le champagne des affinités effervescentes. Pour les fêtes, six d’entre elles, évoluant au sein de grandes maisons, nous révèlent leur accord mets et vin fétiche.

« Le champagne est le seul vin qui laisse la femme belle après boire.  » On prête la citation à la marquise de Pompadour, élégante favorite du roi Louis XV. La phrase a beau être anecdotique, elle souligne l’un de ces pernicieux a priori : ce serait la coquetterie et le goût du luxe qui se trouveraient derrière le lien fort qui unit les femmes au vin de Champagne… Autant dire qu’outre ses relents machistes, le préjugé est erroné. L’implication de la gente féminine dans le vignoble champenois est autrement plus concrète et réaliste. Les premières femmes à avoir lié leur nom à celui du célèbre vin effervescent sont des veuves qui étaient tout sauf de petits êtres de salon fragiles et éthérés. Souvent par nécessité, ces pasionarias sont devenues de véritables chefs d’entreprise à une époque où ce privilège était généralement réservé aux hommes. Les exemples ne manquent pas. D’emblée, on pense à la célèbre Veuve Clicquot surnommée  » La Grande Dame de Champagne  » dont la réussite commerciale – qui date de la première moitié du XIXe siècle – a été remarquable. À tel point que Prosper Mérimée a dit d’elle qu’elle  » abreuvait la Russie « , ce qui était à peine exagéré. Mais il y a d’autres noms. Celui de Madame Pommery est resté dans l’histoire de la célèbre appellation pour avoir apporté un soin tout particulier au vieillissement du vin et également pour avoir allégé le caractère pénible des travaux manuels en cave. Plus récemment, impossible de ne pas mentionner Madame Bollinger qui, outre le succès de ses flacons auprès des amateurs, est passée à la postérité pour un bon mot. À un journaliste qui la questionnait sur le rapport qu’elle entretenait avec son propre champagne, elle a fait cette réponse qui ne manque pas d’humour :  » Je le bois quand je suis heureuse et quand je suis triste. Je le bois parfois quand je suis seule. Quand je ne le suis pas, je le considère comme obligatoire. Dans les autres circonstances, je n’y touche jamais sauf si j’ai soif. « 

Aujourd’hui, de nombreuses femmes sont à la tête – et dans les coulisses – de ce terroir associé à la fête et à la réussite aux quatre coins du monde. Le Vif Weekend s’est penché sur six noms emblématiques de cette présence du féminin parmi les bulles. Un choix qui ne doit pas faire oublier la présence de belles et fortes personnalités au sein de plus petits domaines. Telles qu’Evelyne Roques-Boizel, cinquième génération de la maison Boizel, Clotilde Chauvet des champagnes Marc Chauvet ou Caroline Milan, associée à son frère à la tête du domaine Jean Milan… Impossible de citer tous ces talents qui font du champagne une affaire de femmes.

LAURENT-PERRIER ALEXANDRA PEREYRE DE NONANCOURT ET STÉPHANIE MENEUX DE NONANCOURT

Ces deux s£urs sont les héritières des champagnes Laurent-Perrier, marque diffusée aux quatre coins du globe et qui est aujourd’hui à la veille de fêter son bicentenaire. Quand il s’agit de représenter la maison, c’est Alexandra Pereyre de Nonancourt (à droite sur la photo) qui monte au créneau. Mise impeccable et taille mannequin, celle qui a fait ses armes en tant que conseil artistique des parfums Paco Rabanne a rejoint le domaine familial en 1992 à la demande de son père, Bernard de Nonancourt, véritable légende du champagne. De ce héros de la résistance, Alexandra Pereyre de Nonancourt a gardé une prédilection gaullienne pour l’indépendance. Aux côtés de sa s£ur cadette, elle se bat pour que Laurent-Perrier demeure un fleuron du luxe français dans lequel la famille reste un actionnaire majoritaire. Depuis son fief de Tours-sur-Marne, elle entend défendre l’image de la marque – c’est l’une de ses fonctions officielles – mais également perpétuer une approche  » pure  » du champagne dans laquelle la vivacité prend le pas sur les notes oxydatives. Le tout pour une signature gustative contemporaine dont on peut prendre la mesure avec l’Ultra Brut, un champagne zéro dosage imaginé bien avant que ce ne soit la mode.

DUVAL-LEROY CAROL DUVAL-LEROY

 » Une femme de tête pour des champagnes de caractère « , le slogan de la maison Duval-Leroy en dit long sur la personnalité de Carol Duval-Leroy. C’est que celle-ci a inscrit son destin dans la tradition des veuves champenoises. Le pitch ? De ceux qui forcent le respect. En 1991, Carol, mère de trois enfants, se retrouve à la tête de la Maison de Champagne familiale suite au décès prématuré de son époux Jean-Charles Duval-Leroy. En vingt ans, cette infatigable activiste de la bulle va accomplir un travail remarquable. La féminité chez cette battante est plus qu’assumée, elle est presque une stratégie. Dès 1991, elle nomme Sandrine Logette-Jardin au poste-clé de chef de cave. Leur objectif ? Elaborer des champagnes légers et… féminins. Ensemble, elles iront jusqu’à imaginer une cuvée d’exception assez symptomatique de leur vision des choses : Femme de Champagne. Celle-ci est élaborée exclusivement à partir de raisins Grands Crus et seulement lors des années exceptionnelles. Tel un parfumeur, Sandrine Logette-Jardin assemble les fragrances de l’année et les associe de façon à créer la cuvée comme la conçoit Carol Duval-Leroy :  » vibrante, étourdissante, inoubliable « . Carol Duval-Leroy fait également valoir un autre exploit : entre 2007 et 2010, elle a été nommée à la présidence de l’Association Viticole Champenoise, première femme dans ce bastion radicalement masculin.

KRUG MARGARETH HENRIQUEZ

Pour de nombreux amateurs, la marque Krug incarne l’excellence champenoise. En cause, une palette aromatique bluffante et un positionnement très haut de gamme – le prix des bouteilles commence à 200 euros. Krug était le champagne préféré de Serge Gainsbourg et de Maria Callas… Depuis deux ans, il est également celui de Margareth Henriquez qui a été propulsée à la tête de cette griffe prestigieuse par le Belge Christophe Navarre, patron de Moët Hennessy. Qualifiée de  » haut potentiel  » par tous ceux qui l’ont côtoyée et ont été frappés par son intelligence, cette Vénézuélienne de 55 ans n’en est pas à son premier fait d’armes. Auparavant, elle a présidé Seagram dans son pays natal, ainsi que Nabisco au Mexique. Depuis 2001, cette mère de deux enfants a rejoint le groupe Moët par le biais de sa filiale Bodegas Chandon. Elle s’y est fait remarquer en imposant les vins de la marque – Cheval des Andes, Terrazas… – dans le contexte difficile de l’après 11 septembre. Forte de cela, Maggie, comme on la surnomme, a abordé Krug avec l’ambition de conquérir de nouveaux marchés, surtout les États-Unis, tout en respectant la ligne de conduite élitiste – les volumes sont limités – de cette maison fondée en 1843.

TAITTINGER VITALIE TAITTINGER

Sans elle, on ne saurait rien d’Alfred Courmes, peintre français du siècle précédent. Surnommé  » L’Ange du Mauvais Goût « , Courmes a développé une £uvre décalée qui pratique le détournement humoristique de façon intensive, quelque part entre surréalisme, primitivisme flamand et Renaissance ita- lienne. La fille de Claire et Pierre-Emmanuel Taittinger a sorti Courmes de l’ombre en lui consacrant un ouvrage de référence aux éditions du Cherche-Midi. L’information n’a rien d’anecdotique : Vitalie Taittinger est passionnée d’art et de dessin depuis toujours. Née en 1979, elle s’est formée à l’École de Design Emile Cohl de Lyon et a pendant plusieurs années exercé le métier d’illustratrice. Ce n’est qu’en 2007 qu’elle a rejoint l’entreprise familiale au moment où son père l’a rachetée au fonds américain Starwood Capital. Depuis, elle joue avec talent le rôle de directrice artistique et s’emploie à renforcer la perception et l’identité visuelle du champagne familial.

PIPER-HEIDSIECK ET CHARLES HEIDSIECK CÉCILE BONNEFOND

Après dix ans de bons et loyaux services au sein du groupe LVMH, Cécile Bonnefond vient tout juste de revenir en Champagne pour  » accroître la notoriété des maisons Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck « . Diplômée de l’European Business School, Cécile Bonnefond a commencé sa carrière chez Danone et l’a poursuivie chez Kellogg’s où la directrice marketing a gravi les échelons, devenant directrice générale France et Benelux, puis PDG en Italie. De 1995 à 2000, présidente de Grand Metropolitan Food France, Cécile Bonnefond veille aux destinées de la marque Brossard et dirige au niveau européen l’ensemble des activités pâtisserie. En 2001, elle prend les rênes de Veuve Clicquot jusqu’en 2009 où elle participe à la rénovation du grand magasin parisien Franck & Fils. De son expérience, cette battante dit avoir tiré un  » vrai goût pour diriger des équipes par tous les temps « . D’après elle,  » c’est là que se place l’engagement personnel « . Pour le reste, elle évoque l’importance qu’elle accorde  » aux détails, à la précision, à la créativité « . Autant d’éléments avec lesquels elle entend écrire la suite de l’histoire de deux marques fortes d’un précieux héritage.

MOËT & CHANDON AXELLE ARAUD

Si elle n’est pas à la tête de cette maison de champagne dont Scarlett Johansson est l’égérie, Axelle Araud n’en est pas moins une femme-clé de la marque. Elle fait partie des intervenants cruciaux qui façonnent le goût du vin, preuve que là aussi le palais féminin a une pertinence à apporter. Ce, même si cette Nantaise a débarqué récemment chez Moët, soit en 2010 au moment des vendanges. Forte d’une formation d’ingénieur agronome, Axelle Araud s’est spécialisée en viticulture et £nologie. Par la suite, elle a parcouru la planète viticole – notamment la Californie, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – pour appréhender le vin d’une façon globale. C’est plus particulièrement dans la Nappa Valley qu’elle découvre les vinifications et l’art de l’assemblage. Cette expérience lui a permis d’acquérir une culture du vin mixte, à la fois influencée par l’Europe – elle est passée par Cheval Blanc, cru bordelais de référence – et par le Nouveau Monde. Après avoir exercé une fonction d’organisation des lignes de production pour Vrancken- Pommery, Axelle Araud a voulu retrouver un  » contact £nologique moins désincarné  » avec ce breuvage. Désormais, six mois par an, elle se charge des dégustations des vins et des assemblages au sein d’une équipe de douze personnes – dont trois femmes. Le reste du temps, Axelle Araud voyage pour faire connaître son travail sur les différents marchés. À la question de savoir si le palais des femmes est plus précis que celui des hommes, Axelle Araud répond diplomatiquement :  » L’approche est différente… et c’est cette différence qui apporte de la diversité et de la complexité au processus £nologique. « 

PAR MICHEL VERLINDEN

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