Après l’hyperféminité façon Mad Men de la saison passée, la sphère fashion opère un revirement à 180 ° en lançant cet hiver la tendance Tomboy. Ou le style garçonne des années 20, version 2.0.

Si l’on prend le cas Dolce & Gabbana, la métamorphose est totale. La Femme du printemps affichait un déluge de glam avec jupons, corsets et tuniques. Celle de cet hiver s’habille en costume avec cravate et même derbies très… virils. Source intarissable d’inspiration pour les créateurs, le masculin-féminin revient en force. La lady(boy) Chanel, que Mademoiselle avait libérée du corset, porte un pantalon à la coupe très masculine. La diva d’Yves Saint Laurent, inventeur du smoking féminin, arbore, elle, un costume prince-de-galles. Une mutation des genres subtile. Plus encore que la gabardine XXL griffée Céline et que le n£ud papillon de Dsquared2.

Mais la mode ne se contente pas de masculiniser les vêtements. Les mannequins aussi se conjuguent au troisième sexe. La saison passée déjà, on avait vu Jean Paul Gaultier habiller le Serbo-croate androgyne Andrej Pejic d’une robe de mariée. Un mouvement lancé par Riccardo Tisci, qui a fait du top transsexuel Léa T. son égérie. Les hommes défilent en femmes. Et les femmes qui cheminent ont parfois des allures d’hommes. Exemple : la Danoise Freja Beha Erichsen, muse filiforme de Karl Lagerfeld, et la Néerlandaise Saskia de Brauw, dont la carrière a explosé malgré (ou grâce à) des sourcils fournis et des cheveux à la Twiggy. Fascinant pour les uns. Dérangeant pour les autres.  » Le monde de la mode aime dépasser certaines frontières, jouer avec les ambiguités et les tabous de la société, choquer, être en rupture avec certaines normes établies, souligne Valérie Piette, professeure d’histoire contemporaine à l’ULB. L’androgynie hypnotise depuis longtemps mais ébranle, trouble, met à mal les identités sexuées. « 

RETOUR VERS LE FUTUR

Tout comme la garçonne des Années folles qui fume comme un pompier, danse comme un cavalier et… exhibe ses genoux.  » Jusqu’alors le vêtement féminin était contraignant, voire asphyxiant. Après la Première Guerre mondiale, la minceur devient un phénomène de mode, rappelle Valérie Piette. Les femmes coupent leurs cheveux, leurs seins sont effacés par des robes droites de plus en plus courtes. Les moralistes attaquent avec virulence cette nouvelle créature souvent taxée de lesbienne. Les rumeurs vont bon train : les tifs courts accélèreraient la naissance d’une calvitie et les jupes courtes favoriseraient les varices !  » Malgré ces racontars, le vestiaire féminin continue à se simplifier, redessiné par des créatrices en vogue telles que Madeleine Vionnet, Jeanne Lanvin et Coco Chanel. Mais le fantasme d’une mode unisexe ne stimule pas seulement le sexe faible. Et pas uniquement dans les années de l’après-guerre. En 1985, Jean Paul Gaultier lance la jupe pour homme dans une collection intitulée  » Une garde-robe pour deux « . Et l’on voit souvent parader des hommes portant des sacs, petits ou grands, sur les catwalks de Dolce & Gabbana ou Dior, notamment. Mais les exemples restent malgré tout (beaucoup) plus rares côté garçon. Et les tentatives se soldent (souvent) par un échec une fois confrontées à la réalité de la rue.  » Cette jupe pour homme pose des questions et contrarie les gens. Peut-être que, tout comme la femme gagne un pouvoir symbolique en portant le pantalon, l’homme le perd en l’enlevant « , explique l’universitaire à l’origine du projet Normes, genre et sexualitéà l’ULB, rappelant que l’association militante Hommes en jupe a vu le jour en 2007. Seulement.

DE MAD MEN À TOMBOY

Simple hasard du calendrier ou signe précurseur ? Tomboy, de la réalisatrice française Céline Sciamma, sorti sur les écrans en avril dernier, raconte l’histoire de la petite Laure, qui se fait passer auprès de ses nouveaux amis pour un gamin prénommé Michael. Coïncidence ou présage, peu importe, son titre offrait sur un plateau d’argent une nouvelle notion aux rédactrices de mode : le style Tomboy (ou garçon manqué en français) était né. Et la planète fashion n’est pas seule à succomber au concept. La campagne de L’Air, nouveau parfum de la griffe Nina Ricci, s’inspire d’ailleurs largement de la bande-annonce du film À bout de souffle, avec Jean Seberg. Et son égérie, Noreen Carmody, arbore le même look androgyne et la coupe à la garçonne de l’iconique actrice américaine. Idem chez Lancôme, où l’on craque pour Emma Watson pour incarner Trésor Midnight Rose, après que la petite sorcière d’ Harry Potter a coupé court ses boucles brunes. Et quand même la science s’intéresse au sujet, la confusion (des genres) devient totale. Car, selon une étude menée par des anthropologues de l’Université de Caroline du Nord, la structure osseuse du visage de la femme se serait rapprochée de celle de l’homme au cours des siècles derniers, grâce notamment à une meilleure alimentation. De quoi ravir les créateurs, perpétuellement en quête du Graal que représente la mode unisexe. De quoi aussi exciter l’intérêt des rédacteurs de mode. La femme serait-elle un homme comme les autres ?

À lire : Une histoire politique du pantalon, par Christine Bard, Seuil, Paris, 2010.

PAR CORALIE RAMON

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