Accrochée à un des coteaux à l’orée des Ardennes liégeoises, la maison en béton du paysagiste Serge Delsemme s’étage vers la cime des arbres. Conçue par l’architecte Bruno Albert, elle allie la pureté et la personnalité de ses lignes à un beau camaïeu de verts.

Au moment ou Serge Delsemme acquiert cette parcelle, elle compte, dans sa partie inférieure, quelques très beaux arbres centenaires, dont trois gros chênes, un charme, un tilleul, des robiniers, des érables et une cépée de hêtres. Un rêve. Propriétaire et architecte se quittent sur un consensus : on n’abattra aucun de ces grands spécimens.  » Le terrain était long et large, se souvient Bruno Albert. Je n’avais donc pas la moindre idée de qui allait ressortir de ma première esquisse : un cube, une barre allongée ? Et ce fut ce volume compact, vertical et élancé, réparti sur cinq niveaux.  » Le dessin prévoit d’emblée une avancée dans le vide ; un petit casse-tête pour ingénieurs en bâtiment que le bureau liégeois Greisch (les concepteurs techniques du célèbre viaduc de Millau, inauguré en décembre dernier) résout rapidement.

L’esquisse trace aussi un quadrillage de grandes vitres dans la partie basse de l’édifice, du côté de la façade avant, celle qui a vue sur la vallée et qui est illuminée au soleil couchant. C’est là, au-dessus des garages, qu’est logé sur deux niveaux – un étage plein et une mezzanine – le bureau-bibliothèque de Serge Delsemme. Amoureux des belles choses et des livres qui parlent de sa profession, le paysagiste souhaitait, en effet, disposer d’un vaste espace pour cultiver ses passions.  » Bruno Albert voulait cet espace ouvert sur la vallée, souligne-t-il. Il a délibérément positionné la maison vers le tiers de la pente du terrain, soit quelques mètres au-dessus du niveau de la rue. Ainsi la vue qui m’est offerte lorsque je suis assis à mon bureau se situe dans les frondaisons des arbres, au-dessus des toits et des architectures existantes.  »

En montant d’un étage, on est surpris par un autre choix de l’architecte : celui de maintenir la façade avant aveugle au niveau des pièces de jour. Il pratique, en revanche, deux belles ouvertures dans le monolithe de béton. La grande porte-fenêtre positionnée au sud permet d’avoir une vue plongeante sur le jardin structuré. Elle donne accès à une longue passerelle qui assure la liaison avec la partie haute de la parcelle.  » Ce passage est si large et si long, explique Serge Delsemme, que, par beau temps, nous l’utilisons comme une terrasse.  »

Reste un étage, celui situé au sommet de l’édifice qui comprend une chambre et son dressing, une salle de bains et sa douche indépendante ainsi qu’un petit bureau. Ici, les ouvertures et vues ont été ménagées sur toutes les faces de l’édifice. Il y a l’étroite fenêtre allongée offerte à celui qui s’allonge dans le bain (signé Norman Foster), puis la magnifique fenêtre  » panoramique  » qui découpe toute la façade avant. Il y a aussi la fenêtre placée en haut de la cage d’escalier, puis, enfin, la grande fenêtre coulissante de la chambre, réplique de celle qui se trouve à l’étage inférieur.

Tous ces niveaux sont reliés les uns aux autres par un ascenseur mais également par un escalier en colimaçon, exécuté en acier. Cet escalier et la protubérance qu’il a générée sur la façade nord est la seule grande modification qui fut apportée aux volumes de la première esquisse.  » En soi, la surface au sol n’est pas très importante, note Serge Delsemme. La maison s’inscrit dans un rectangle de 13 sur 6,40 m. Placer un escalier à l’intérieur de ce périmètre l’aurait vraiment trop réduit.  »

Grand amateur de mobilier du XXe siècle, Serge Delsemme a laissé s’exprimer ses inclinations de manière très sélective. Dans les deux étages  » privés « , on croise tour à tour la chaise à bascule de Eames, un canapé de Charlotte Perriand récemment édité par Cassina, un fauteuil et des chaises de Jean Prouvé. Quant à Le Corbusier, il semble avoir les faveurs de la maison puisqu’on y trouve sa chaise longue LC4, la table LC6, elle-même entourée des sièges à dossier pivotant LC7. La bibliothèque et sa mezzanine ont entièrement été aménagées sur mesure. Elles sont le fruit d’une étroite concertation entre l’architecte et le maître d’ouvrage. Ici comme ailleurs, de très beaux bois ont été utilisés : l’érable, le merisier, le wengé, le noyer et l’ébène. Certaines essences ont été appliquées en grandes surfaces, comme le platane verni.

A l’intérieur comme à l’extérieur, des artistes contemporains sont à l’honneur : Léon Wuidar pour plusieurs sérigraphies sur verre et Florence Freson qui est intervenue en tant que sculpteur pour réaliser une fontaine en pierre bleue, dessinée par Bruno Albert. Reste à Serge Delsemme à parachever l’ouvrage dans le jardin qu’il a d’ores et déjà voulu couleur feuillages, en plantant un damier régulier de 13 boules de buis et, sur les pentes, quantités de houx ainsi que des massifs de rhododendrons. Cette harmonie de verts se conjugue à la peau du béton, un exercice qu’on admire aussi chez les grands maîtres japonais.  » J’emploie volontiers cette expression très antinomique de peau du béton pour imager combien un tel travail d’abstraction est risqué, conclut Serge Delsemme. On n’a pas le droit de se tromper car il n’y a rien pour masquer les erreurs.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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