Pour séduire la clientèle, les marques de luxe élargissent considérablement le champ de vision. Pour se démarquer de la concurrence, plus question, désormais, de se contenter d’exhiber en vitrine une exquise paire de talons aiguilles ou de diriger un spot sur un sublime tailleur. C’est au travers de l’architecture commerciale, pensée dans son ensemble et dans ses moindres détails, que les « griffes » entendent désormais faire parler d’elles. Révolutionnaire? Raymond Loewy, designer visionnaire des années 1930, conseillait déjà de faire le vide intégral des étalages pour mettre en valeur les produits proposés à la vente. Depuis, la formule s’est affinée et surtout enrichie… En témoignent la boutique Prada, à New York, imaginée par l’architecte star hollandais Rem Koolhas (qui a entre autres dessiné les plans du bâtiment Lille Grand Palais et du quartier d’Euralille) ou l’immeuble Hermès, à Tokyo, de Renzo Piano (le « père » de Beaubourg). Les ambitions des créateurs et des commanditaires varient selon les moyens mais la recette, elle, est identique : confier les travaux à un créateur médiatisé qui donnera au projet une importante valeur ajoutée. Paris, comme les autres grandes capitales du monde, n’échappe pas à la règle.

Rue du Faubourg Saint-Honoré, adresse prestigieuse du VIIIe arrondissement, le styliste Jean-Claude Jitrois a confié la transformation de sa boutique à Christophe Pillet. Personnalité phare de la « french touch », à qui l’on doit, entre autres, le fauteuil Y’s édité par Cappellini, le designer a imaginé un espace gigogne couleur carbone. Le rez-de-chaussée, occupé par une abondance de miroirs, est la « bande-annonce » du sous-sol. Aux confins du fétichisme (même la rampe d’escalier de style a été gainée de cuir noir), des parois coulissantes, commandées électroniquement, dévoilent des salons d’essayage et des cabines couleur or. Une érotisation subtile de l’espace que vient à peine troubler un éclairage mémorable : des stalactites en plastique translucide néo-pop dignes du film « Barbarella ».

Le bottier Rodolphe Ménudier, installé à deux pas de la place Vendôme, a fait lui aussi appel à la créativité de Christophe Pillet. Résultat? Une atmosphère nocturne (variété de teintes ardoise, anthracite et ébène) et chic que le créateur situe entre les films de « James Bond et Helmut Newton »… Un décor inquiétant où des éclats de couleurs saturent la rétine : canapé en croco métallique surdimensionné et salle de stockage peinte en rouge sang. Les vitrines, deux rectangles de lumière, « découpées » dans une façade laquée en noir, n’hésitent pas à jouer la provocation : cet hiver on y voit des coeurs et artères en PVC « nourrissant », de chaussure en chaussure, les créations du bottier hype. Une intervention « gore » peu commune pour un commerce de ce type.

A l’exact opposé des ambiances souterraines de Pillet, les jeunes frères Ronan et Erwan Bouroullec, les coqueluches des plus grands éditeurs comme Cappellini, Ligne Roset ou encore Domeau et Perez, se sont vu confier l’aménagement de « A-poc » (pour « A Piece of Cloth »…), la lumineuse boutique d’Issey Miyake dans le quartier branché du Marais. Proche de la galerie d’art contemporaine, l’espace (100 mètres carrés) est découpé par un réseau de portants high-tech. Ces rails filent le long des murs sur trois niveaux, contournent les angles, et offrent une esthétique de la vitesse, proche de la création numérique. Caractérisé par un recours systématique au Corian (les présentoirs, les tables et la plupart des accessoires sont moulés dans cette matière biodégradable lisse et veloutée), « A-poc » s’impose comme le lieu de la modernité…

Plus rétro, l’architecte d’intérieur Laurent Buttazzoni, auteur de la récente boutique du chausseur Manolo Blahnik, a signé pour Maria Luisa, à côté du jardin des Tuileries, une boutique de vêtements pensée comme « une luxueuse voiture de sport ». Voilà pourquoi le chrome y est omniprésent, tout comme le noyer (pour des vitrines aux contours cintrés, très années 1970), à l’image des légendaires Aston Martin britanniques.Chez Buttazzoni, la création, qui ne peut s’envisager sans une touche ludique, est l’antidote rêvé à l’ennui.

C’est le même penchant pour le spectaculaire qui a incité l’architecte et designer Kristian Gavoille à confier au botaniste Patrick Blanc un mur végétal intérieur, cultivé sur les quatre niveaux du magasin Marithé & François Girbaud, rue du Cherche-Midi.Largement vitrés, les lieux baignent dans une lumière « chlorophyllique ». Une nature prise en sandwich entre les parois de verre et une architecture de la blancheur où plane l’esprit des seventies… Les plafonds sont sculptés dans le Baristol, une matière synthétique très en vogue dans les années 1970.

Une autre métamorphose de l’architecture commerciale de ces dernières années consiste à enrichir l’espace de vente par d’autres fonctions. Camper, rue du Faubourg Saint-Honoré, s’apprête à dédier son troisième niveau aux consommateurs stressés. Salon de massage ou de relaxation, la vocation est encore à l’étude mais le cadre dessiné par le bureau d’architecture japonais Shiro Miura dans cet appartement haussmannien est déjà en place. Une forêt de tubes de plastique opaque enrobés de vannerie bambou et de tables basses en forme de vagues pour rappeler les paysages insulaires du Japon…

Shiseido, lui, vient d’inaugurer, place de la Madeleine, son « studio » au coeur d’un espace de soins. Cette salle d’exposition artistique fait face à un imposant « perspective wall » (un mur qui met en perspective les produits de la marque) serti de boîtes lumineuses. Le « studio », qui accueille des expos temporaires, gratifie les lieux d’un plus culturel. Du mascara aux muses, il n’y a qu’un pas. Andy Warhol qui annonça l’art marchandise avait décidément tout compris…

Texte et photos: Antoine Moreno [{ssquf}], Carnet d’adresses en page 63.,

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